BlaBlaCar et FlixBus : vieux voisins, nouveaux concurrents

BlaBlaCar et FlixBus : vieux voisins, nouveaux concurrents Avec l'arrivée de BlaBlaCar dans le bus et de Flixbus dans le covoiturage, les start-up française et allemande deviennent des concurrents frontaux. A chacun d'apprendre à gérer le business du voisin.

C'est l'histoire de deux champions nationaux des mobilités qui ont grandi chacun de leur côté, levé des centaines de millions d'euros, puis se sont imposés sur leur marché respectif. Jusqu'au jour où leurs routes ont fini par se croiser. Avril 2018 : une grève perlée qui s'étalera jusqu'en juin débute à la SNCF. Comme d'autres acteurs des mobilités, BlaBlaCar y voit une superbe opportunité de doper son chiffre d'affaires et de recruter de nouveaux utilisateurs. Mais la start-up se retrouve incapable d'absorber toute la demande supplémentaire de passagers à la recherche de conducteurs. Après quelques tests en interne pendant l'été, BlaBlaCar fait le grand saut pour combler ces lacunes : l'entreprise annonce en novembre 2018 le rachat à la SNCF de sa filiale d'autocars Ouibus et l'entrée à son capital de la compagnie ferroviaire via une levée de fonds de 101 millions d'euros.

Elle pénètre ainsi sur le territoire de la start-up allemande FlixBus, leader des voyages par autocar en Europe, et devient son plus gros concurrent. La réaction de l'Allemand sera d'ampleur. En mai 2019, FlixBus rachète à Transdev ses deux autres concurrents en France, Eurolines et Isilines, transformant le marché en duopole. Puis lève 500 millions d'euros en juillet selon Reuters (l'entreprise a pour habitude de ne jamais confirmer ou infirmier ses levées). Un record en Allemagne et un montant jamais atteint en France. L'entreprise annonce ensuite le lancement de FlixCar, une offre de covoiturage pour concurrencer BlaBlaCar, aujourd'hui seul sur le marché de la longue distance. Et de deux duopoles !

Diversifier, densifier, affiner

Les deux start-up viennent donc se contester mutuellement sur leur cœur de métier respectif. A chacune ses raisons. Pour BlaBlaCar, c'est une affaire de concurrence et de volumes. Après avoir réussi à prendre des parts de marché au train, l'entreprise a souffert de l'arrivée des "cars Macron" en 2015, à la faveur de la libéralisation du transport par autocars. "Les bus sont meilleurs pour les grands axes comme Paris-Bruxelles ou Paris-Lyon", reconnaît Nicolas Brusson, directeur général de BlaBlaCar. "Avec de bons taux de remplissage, les prix défient toute concurrence." Il y voit aussi une complémentarité avec le covoiturage, depuis que l'entreprise a changé le fonctionnement de son algorithme l'année dernière pour qu'il propose une plus grande finesse dans les points de départ et de dépose, notamment dans les banlieues des grandes villes.

A l'inverse, FlixBus souhaite proposer des trajets plus fins que ceux ces grands axes. "Nous sommes limités par notre réseau et nos lignes d'autocar. Pour faire de la desserte point à point, il n'y a pas grand-chose d'autre que la voiture individuelle, le covoiturage est donc la solution la plus adaptée", estime Yvan Lefranc-Morin, directeur général de Flixbus en France. Il faut aussi voir cette diversification dans le contexte de la libéralisation du marché ferroviaire européen. Car l'entreprise allemande a profité des privatisations déjà intervenues en Allemagne pour y lancer son offe low-cost FlixTrain. Ce sera ensuite au tour de la Suède, puis de la France, dont l'ouverture complète à la concurrence est prévue pour 2021. FlixTrain a manifesté son intérêt pour cinq lignes hexagonales. 

BlaBlaBus a un héritage

Dans ces conditions, impossible pour l'entreprise, de passer à côté d'un moyen de transport qui pourrait se substituer au train et renvoyer des clients potentiels chez BlaBlaCar. "Nous nous sommes lancés dans le train car c'est un business qui génère de gros volumes", explique Yvan Lefranc-Morin. "Mais finalement, tout dépend de l'axe. Selon le trajet, le moyen de transport le plus compétitif peut-être le train, le bus ou le covoiturage". Mieux vaut donc proposer au client le bouquet de services le plus complet.

Reste maintenant pour chacun à apprendre le métier de son concurrent. La marche est moins haute pour BlaBlaCar. L'entreprise hérite du réseau et des clients de Ouibus, présent dans neuf pays d'Europe de l'Ouest, ainsi que des équipes qui ont participé à sa construction : 120 employés de OuiBus ont rejoint BlaBlaCar. Il lui a suffi d'intégrer la plateforme créée par Ouibus pour ses relations avec les PME autocaristes qui opèrent ses lignes. Il lui faudra tout de même gérer la bascule marketing et la disparition de la marque, qui laissera place à BlaBlaBus d'ici la fin de l'année. A terme, le service doit devenir un onglet "bus" au sein de l'appli BlaBlaCar. "Le métier de la mise en relation d'entreprises d'autocars avec des clients est bien plus complexe que celui du covoiturage", tempère Yvan Lefranc-Morin. "Il faut faire vivre un réseau, ce qui nécessite dix personnes à temps plein rien que pour la France, et gérer l'inimaginable complexité des prix dynamiques et de la saisonnalité".

FlixCar part de zéro

A l'inverse, FlixBus part de zéro pour créer son service de covoiturage FlixCar. Une équipe de développeurs dédiée a été formée, avec comme objectif de se lancer au premier trimestre 2020. Pas de marché test, mais une offensive groupée dans tous les "marchés matures" du covoiturage, ajoute Yvan Lefranc-Morin. En clair : les pays européens dans lesquels la pratique s'est imposée et où BlaBlacar prélève une commission, ce qui n'est pas le cas partout. La France semble donc incontournable, bien que Flix refuse de le confirmer. Car sa stratégie pour briser le monopole de BlaBlaCar sera de casser les prix en ne proposant aucune commission, là où BlaBlacar ajoute 20% au tarif de la course. Une bonne manière de se vendre comme moins cher auprès des passagers et plus rentable pour les conducteurs.

"Notre point commun : on ne nous aurait pas attendus il y a cinq ans comme opérateurs de transports longue distance."

Mais l'entreprise devra composer avec de puissants effets de réseau, qui créent d'importantes barrières à l'entrée dans ce genre de services de mise en relation. Et dans le covoiturage en particulier, l'offre est le nerf de la guerre. FlixCar devra réussir à recruter des conducteurs en amont, pour avoir une masse critique de trajets disponibles dès l'ouverture de sa plateforme, sans quoi les utilisateurs n'y reviendront pas. "Nous sommes tout à fait conscients de cet enjeu sur l'offre et avons prévu une stratégie agressive pour y arriver", assure Yvan Lefranc-Morin, sans vouloir en dire davantage.

De son côté, Nicolas, Brusson accueille volontiers cette nouvelle concurrence, car "ce n'est jamais bon de s'endormir sur ses positions". Il relève toutefois que "BaBlaCar et FlixBus sont deux animaux assez différents. Nous sommes plus plateforme et ils sont plus opérateurs. Mais notre point commun, c'est qu'on ne nous aurait pas attendus il y a cinq ans comme opérateurs de services de transport longue distance." Autre point commun de ces deux sociétés : elles perdent encore de l'argent et devront prouver que leur compétitivité est due à autre chose que des tarifs subventionnés par le capital-risque.  

BlaBlaCar et FlixBus en chiffres
  BlaBlaCar, BlaBlaBus, BlaBlaLines FlixBus, FlixTrain
Date de création 2006 2011
Nombre d'employés 550 1300
Nombre de pays desservis 22 29
Nombre de passagers annuels (millions) 70 45
Total de fonds levés (millions €) 380 au moins 500