Louer son réseau, le nouveau business d'Uber auprès du transport public

Louer son réseau, le nouveau business d'Uber auprès du transport public L'entreprise se lance dans les navettes à la demande avec un abonnement SaaS payé par les autorités de transport pour utiliser ses technologies et proposer leurs courses dans son appli.

Uber et le service public, c'est une histoire compliquée. Pas facile pour une entreprise qui s'est construite en opposition avec les villes et les lois locales de leur proposer à présent de les servir. C'est pourtant ce qu'essaie de faire Uber depuis plusieurs années, en démarchant des autorités de transport pour leur proposer d'offrir à leurs usagers des courses en VTC subventionnées en complément du transport public, à des horaires ou endroits dans lesquels il est défaillant. Une approche qui a convaincu des petites villes d'Amérique du Nord, mais quasiment aucune en Europe, à l'exception de quelques tests, comme à Nice en 2018.

A présent, l'entreprise s'essaie à une nouvelle stratégie : fournir ses technologies et ouvrir l'accès à son réseau aux opérateurs de transport des villes. Un premier contrat à toute petite échelle (quatre navettes) a débuté dans le comté de Marin, près de San Francisco. Les habitants peuvent ouvrir l'appli Uber et y trouver une nouvelle option de transit, des vans aux tarifs subventionnés (3 ou 4 dollars payés par l'usager, jusqu'à 5 dollars par la collectivité).

Pas de commissions

De son côté, le comté de Marin a accès à une application chauffeur qui lui indique où s'arrêter pour prendre des passagers et calcule le trajet le plus optimisé, ainsi qu'à des remontées de données sur l'utilisation du service. "Nous offrons aux opérateurs de transport une suite d'outils qui leur permet de paramétrer le service comme ils le souhaitent, par exemple pour ajouter des réductions en faveur des personnes âgées ou des vétérans", explique au JDN David Reich, directeur d'Uber Transit, en charge de la stratégie mondiale d'Uber dans le transport public.

La nouveauté pour Uber se situe du côté du modèle économique : les autorités et opérateurs de transports paient une licence d'utilisation de son appli et l'accès au réseau, comme n'importe quel abonnement SaaS. Ils ne reversent pas de commission sur les trajets à l'entreprise, comme le font les chauffeurs VTC. L'ancien modèle n'a cependant pas disparu. Le contrat avec le comté de Marin permet également de subventionner des trajets en VTC à hauteur de 4 dollars par course.

Un soupçon de VTC pour la flexibilité

Mais il était manifestement difficile pour Uber de couvrir tous les besoins de transport d'une collectivité avec du VTC, qui permet de transporter un nombre de personne très limité, et dont le prix le rend difficilement compatible avec la notion de transport public, à moins de coûter une fortune à la collectivité en subventions. Avec plus de places et la possibilité de partager le trajet entre inconnus ainsi que de le réserver à l'avance, les navettes permettent de réduire les coûts, aussi bien pour la collectivité que pour les passagers, tandis que le modèle économique logiciel permet à Uber se rémunérer malgré ces prix bien plus bas. Pour David Reich, l'ancien modèle basé sur les VTC conserve un intérêt en raison de sa flexibilité. "Avec les VTC, les collectivités paient par trajet, c'est un coût variable, alors que le modèle d'abonnement est un coût fixe. Si une seule personne se trouve dans la navette, il est moins onéreux de payer un VTC que de faire tourner la navette à vide." 

D'autres clients ont d'ailleurs utilisé cette solution plus flexible dans l'urgence pendant le confinement. Par exemple Indygo, l'autorité de transport de la ville américaine d'Indianapolis, qui cherchait une manière sécurisée de transporter ses travailleurs essentiels. "Ils nous ont aidé durant nos heures d'opération, alors que nous avions dû réduire notre offre de transports publics à cause du coronavirus", raconte Lesley Gordon, directrice des partenariats chez Indygo. Ces travailleurs ont pu prendre des Uber pour se rendre au travail et rentrer chez eux contre un abonnement (subventionné) de 60 dollars par mois. A présent, Indygo cherche une manière d'intégrer Uber à une plateforme de dernier kilomètre en cours de développement qui calculera le moyen de transport le plus efficace en fonction du trajet souhaité par un usager et devra pouvoir arbitrer entre l'envoi d'un VTC ou d'une navette collective en fonction de la demande.

Les lignes fixes de Routematch

Afin de renforcer cette nouvelle offre, Uber a acquis en juin Routematch, une société américaine qui fournit des technologies de transport par navette à près de 500 autorités de transport, principalement aux Etats-Unis et en Australie. Elle couvre à la fois des petites villes reculées à la recherche de solutions de transport moins lourdes que le bus, et de plus grosses collectivités avec des applications urbaines.

"Routematch a construit un savoir-faire dans les logiciels, les technologies de paiement et les analytics qui vont nous permettre d'accélérer nos ambitions", précise David Riech. Il ajoute que Routematch s'est surtout concentré sur des trajets avec des itinéraires fixes, plus proches de lignes de bus, ce qui apportera une complémentarité avec l'offre flexible et à la demande d'Uber. Il souhaite également créer des synergies entre les deux sociétés, par exemple sur le transport médical non urgent, qu'Uber pratique aux Etats-Unis (Uber Health), mais qui pourrait croître davantage grâce aux technologies et au réseau de clients de Routematch, qui n'était pas présent sur ce segment.

Cette nouvelle approche du transport public convaincra-t-elle en Europe et en France ? Les opérateurs et autorités de transport ont plutôt tendance à vouloir disposer de leur propre application, et donc de leur propre réseau de transport à la demande fourni par un partenaire en marque blanche. C'est d'ailleurs le business de la start-up new-yorkaise Via, leader mondial des technologies de navettes à la demande, à laquelle l'offre d'Uber constitue clairement une réponse. Comme souvent, Uber compte sur son meilleur atout, la puissance de son réseau de plus de 100 millions d'utilisateurs, pour les faire changer d'avis. "Si vous passez par quelqu'un d'autre, vous devez développer une appli et lui trouver des utilisateurs, alors que les gens ont déjà l'appli Uber installée", résume David Reich. Un argument pas dénué d'intérêt pour une autorité de transport qui aurait besoin de trouver une masse critique d'utilisateurs suffisante pour remplir ses navettes et ainsi assurer un modèle économique. S'accrocher à leur propre petit réseau ou en louer un plus gros hors de leur contrôle, voilà le dilemme qu'Uber présente aux transporteurs publics.