Le gouvernement ressuscite la régulation des VTC par la donnée

Le gouvernement ressuscite la régulation des VTC par la donnée Un article de la loi Grandguillaume qui prévoit de forcer les plateformes VTC à transférer aux autorités toutes sortes de données attend depuis cinq ans d'entrer en application.

On a rarement vu un texte prendre si longtemps la poussière. Il y a presque cinq ans, sous la précédente majorité, était votée la loi Grandguillaume. Une réforme majeure du statut du transport public de personnes (T3P) pour prendre en compte l'émergence des plateformes VTC aux côtés des taxis et mettre fin à certaines pratiques vues comme une concurrence déloyale des premières envers les seconds. Pourtant, cinq ans plus tard, un pan majeur de la loi demeure inopérant : son article 2, qui prévoit de forcer les plateformes à remonter aux autorités administratives toutes sortes de données afin de mieux comprendre leur activité et contrôler leur respect des réglementations. Car la loi a été votée, mais son article 2 attend toujours d'être traduit dans la loi via des arrêtés et décrets d'application que le gouvernement est le seul à pouvoir publier.

La nouvelle majorité arrivée au pouvoir en 2017 ne s'est pas saisie du sujet pendant plus de deux ans. Mais face aux demandes répétées des syndicats de taxis et VTC de mise en application de cet article 2, notamment pour prévenir les fraudes (faux chauffeurs VTC, locations de cartes VTC à d'autres, utilisation de véhicules non autorisés…), le gouvernement a fait une partie du chemin en 2019 en publiant un décret précisant quelles institutions pourront demander aux plateformes la communication des données. La liste des élus est longue : les ministères des Transports, de l'Économie et du Travail, ainsi qu'une myriade d'autorités administratives régionales ou nationales dans les transports, le travail, la concurrence, la répression des fraudes ou encore la consommation. 

Le diable se cache dans les arrêtés

Mais notre fameux article 2 demeure inapplicable, en l'absence d'un arrêté essentiel, qui doit définir le type de données que les autorités seront en droit d'exiger. La situation peut sembler incongrue, mais est bien réelle : le gouvernement a défini qui pourrait accéder à des données avant de savoir de quelles données il s'agirait. Il faut dire que c'est le détail le plus le plus crucial du texte. Car avec l'armée de capteurs d'un smartphone ainsi que toutes les données générées par les applis chauffeurs et client, toutes sortes d'informations pourraient être remontées ou déduites : flux de trajets, kilomètres parcourus, nombre de clients, de chauffeurs et de courses, pics et creux d'activité, chiffre d'affaires… De quoi permettre à l'Etat de mieux détecter les fraudes, qui demeurent importantes, ainsi que l'application d'autres lois qui régissent les relations entre plateformes et chauffeurs (notamment la loi mobilités).

Ces données permettraient aussi de mieux évaluer l'activité réelle des plateformes en France, car certaines d'entre elles comme Uber minorent leur activité en France et transfèrent (légalement) une partie de leurs bénéfices chez des voisins à la fiscalité plus clémente comme, les Pays-Bas ou le Luxembourg. Enfin, ces informations ont une portée statistique, car les plateformes ne communiquent pas ou peu d'informations sur leur nombre de courses ou leur typologie de trajets. Une opacité qui empêche l'Etat de se rendre compte de l'impact sur les flux de transport des plateformes VTC.

Trois textes examinés par la Cnil

Depuis ce décret de 2019, la situation semblait à nouveau au point mort. A tel point que l'auteur de la loi, l'ancien député Laurent Grandguillaume accusait le gouvernement fin 2020 de ne pas vouloir mettre en application l'article 2 . "Nous sommes restés à l'ère de la glaciation par rapport à ce qui se passe autour de nous. Par exemple, à New York les chauffeurs sont géolocalisés en temps réel par une agence de régulation, ainsi que leur conformité avec les réglementations en vigueur. Le ministre des Transports est donc pleinement responsable de cette situation de laisser-faire, c'est un choix politique qui vise à protéger certains acteurs plutôt que les chauffeurs et les consommateurs." Interrogé par le JDN sur ce qui expliquait un délai de près de cinq ans entre le vote d'une loi et son entrée en application, le gouvernement n'a pas répondu.

Les choses semblent toutefois être en train de bouger, nous explique le ministère du Transports. "Après avoir établi l'analyse d'impact prévue par le Règlement Général de Protection des Données, (RGPD), le ministère a, comme a demandé par la Cnil, saisi celle-ci en mars dernier de trois projets d'arrêtés qui fixent pour chaque département ministériel concerné, les listes des données susceptibles d'être demandées en lien avec le champ de leurs prérogatives ainsi que la description des traitements prévus." La Cnil a examiné le 22 juillet ces trois projets d'arrêtés, dont on ne connait pas encore le contenu. Le gouvernement se disait prêt à publier ces arrêtés dès que l'avis de la Cnil serait rendu, mais ne l'a visiblement pas encore fait. Les plateformes VTC devraient en tout cas bientôt savoir à quel point l'Etat s'offre un open bar sur leurs données business. A moins que le gouvernement ne joue à nouveau la montre…