Crise sanitaire : face à l'obligation de repenser la mobilité du quotidien

Créer un terreau favorable à l'adoption de nouveaux usages, à travers des politiques d'aménagement du territoire et des dotations en infrastructures sur le réseau routier et autoroutier.

Au-delà des périodes de confinement, la crise sanitaire a eu des effets structurels sur le travail, le logement et la mobilité. Ces nouvelles dynamiques, couplées à la nécessitée grandissante de décarboner les routes, nécessitent aménagements spécifiques et investissements financiers. Un bouleversement des flux urbains, qui oblige les politiques publiques à penser à l’échelle des bassins de vie et d’emploi.

Le télétravail est sorti de sa dimension jusque-là confidentielle pour être adopté par nécessité, puis par choix, par une partie des entreprises et des actifs, principalement les cadres et professions intermédiaires. Même s’il est trop tôt pour évaluer l’ampleur du phénomène, les pratiques de télétravail semblent désormais durablement installées. Et c’est plutôt une bonne nouvelle pour le climat.

Une étude menée sur le Grand Lyon a montré qu’une seule journée télétravaillée par semaine par ceux qui en ont la possibilité entraîne une baisse potentielle de près de 10% des kilomètres parcourus au quotidien par les actifs travaillant ou résidant dans l’agglomération. Pour le Grand Paris, France Mobilités arrive à une conclusion analogue : le développement du télétravail devrait générer une baisse d’environ 10% des trajets domicile-travail totaux. Mais l’impact de cette baisse ne sera pas uniforme : les destinations de l’ouest du Grand Paris, où se concentrent la majorité des emplois de bureau (et des actifs en télétravail), seront plus fortement impactées. Autrement dit, la réduction des volumes de déplacements dépend fortement de la géographie des emplois, ce qui représente un défi supplémentaire pour les infrastructures existantes.

La « contre-urbanisation » : fuite des grandes métropoles 

La crise sanitaire a également mis en lumière le désir d’un nombre croissant de Français de quitter les tissus urbains denses des métropoles pour s’installer dans des villes moyennes ou dans des territoires ruraux, en quête d’une meilleure qualité de vie. Au point que certains ont parlé d’exode urbain, en référence à un phénomène qui a démarré bien avant la pandémie, et qui pousse certains habitants des grandes villes à fuir l’urbanisation, la pollution, la saturation des transports, l’insécurité, mais également l’augmentation du coût du logement et de la vie.

Avec la crise sanitaire, la population de New York a chuté d’environ 70 000 habitants en 2020, dont une partie se sont installés en banlieue voire beaucoup plus loin. En France aussi, la tendance est là : une enquête de l’Ifop réalisée en mai et en juin 2021 à la demande de la Banque des territoires et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, confirme que 86% des Français considèrent que résider dans une ville de taille moyenne est préférable, soit trois points de plus qu’en 2020, à la sortie du premier confinement. Les chiffres des Notaires-Insee vont dans le même sens : la hausse des prix des logements est tirée par les maisons plutôt que par les appartements, et par la province plus que par l’Île-de-France, et notamment par les zones rurales et les petites villes. Après des mois de confinement dans des appartements plus ou moins exigus, la demande de logements dotés d’un espace extérieur s’est envolée. Selon le dernier rapport de la DARES, entre les mois d’avril 2020 et 2021, les salariés du privé ont d’ailleurs davantage déménagé qu’au cours des douze mois précédents (12,3% contre 11,8%).

Mais selon une étude, commandée par le Réseau rural français et le Plan urbanisme construction architecture (Puca), cet exode est loin d’être massif, même s’il a un impact en termes de dynamique territoriale. Les chercheurs constatent en effet une grande stabilité des équilibres territoriaux et une confirmation des tendances lourdes préexistantes, dont l’attractivité des grands pôles urbains qui concentrent population, emplois et services, la bonne cote des façades littorales et la périurbanisation. De « petits flux » sont néanmoins observés, principalement en provenance des grands pôles urbains vers des villes petites et moyennes, des espaces périurbains ou ruraux. Selon l’étude, ils « participent d’un renforcement de la dynamique, déjà en cours, d’attractivité de certaines zones périurbaines et rurales » et ont un impact en matière de services publics, de planification, de marché du logement et d’activités économiques.

Si ces évolutions se confirment, il conviendra d’« en tirer les implications en matière d’action publique pour les territoires d’origine et pour les territoires d’accueil », souligne Olivier Bouba-Olga, professeur des universités et chef de service études et prospective de la région Nouvelle-Aquitaine. « De nouvelles populations, c’est, entre autres, une montée et une transformation potentielle des besoins en matière de services et d’équipements ».

Mobilités : investir pour décarboner les usages de la route

La transition de la mobilité a été accélérée depuis la pandémie. Les transports publics ont été fragilisés, enregistrant une baisse de fréquentation, tandis que l’utilisation du vélo bondissait et que l’usage de la voiture individuelle progressait de plus de 4 points, représentant désormais 85% des kilomètres parcourus en France. Dès juin 2020, l’indicateur de trafic routier du Cerema a décelé un volume de trafic routier le plus souvent supérieur, hors confinement, à la situation de base. Fin octobre 2021, l’écart était encore de 22%. « S’il était appelé à durer au-delà de la crise sanitaire, ce retournement constituerait pour les acteurs publics un défi supplémentaire à relever pour la conduite de politiques de mobilité durable en capacité de respecter les Accords de Paris sur le climat, estime France Mobilités. Une réflexion élargie doit s’ouvrir sur les infrastructures et aménagements existants, ainsi que sur les usages de ces infrastructures ».

Les effets structurels de la crise sanitaire sur le travail, le logement et la mobilité ne seront donc pas sans conséquences sur les politiques publiques. L’aménagement du territoire doit être pensé à l’échelle des bassins de vie et d’emploi, et tenir compte des dynamiques de mobilité… Sans faire l’impasse sur les des déplacements routiers. Sur 80% du territoire français, il n’existe pas en effet de solution alternative à la voiture individuelle… Et cette dépendance à la voiture ne pourra pas, dans les prochaines années, être reportée facilement vers d’autres modes. Les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone ne seront donc pas atteints sans des investissements massifs dans des infrastructures vertes et dans la conversion environnementale des infrastructures existantes. La décarbonation des transports passe en particulier par l’électrification des véhicules et exige donc des investissements massifs dans les infrastructures routières, pour les adapter aux nouveaux usages et aux nouveaux modes de vie.

Deux rapports publiés récemment apportent un éclairage intéressant sur le sujet. Le Baromètre des Mobilités, publié le 28 mars 2022 par la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH, fondée par Nicolas Hulot), montre que plus de 27% de la population française âgée de 18 ans et plus sont en situation de précarité par rapport à la mobilité. La dépendance à la voiture individuelle, et plus particulièrement aux carburants fossiles, alimente en effet la précarité et les inégalités. Selon cette étude, la « précarité mobilité » est une réalité qui revêt de multiples facettes. Pour 9 millions de Français, elle se matérialise par des budgets carburants déjà élevés, des voitures vieillissantes, des distances à parcourir qui s’allongent ou l’absence de solution alternative à la voiture, souvent couplés à de bas revenus. Et, pour 4,3 millions de personnes, c’est tout simplement le fait de n’avoir ni voiture, ni vélo, ni abonnement aux transports collectifs qui rend le quotidien toujours plus difficile.

Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) alerte de son côté le gouvernement sur le « mur d’investissement » auquel il devra faire face pour rénover, moderniser et étendre les infrastructures de transport. Ce qui lui imposera de « bien choisir ses dépenses ». Le COI confirme que les investissements dans les infrastructures de transport ont bien augmenté ces dernières années, « en partie grâce aux crédits du plan de relance », mais que la dégradation de l’état des routes, des voies d’eau et des chemins de fer n’a été que ralentie. Pour le Conseil, les besoins dépassent les 200 milliards d’euros en dix ans (soit une augmentation de plus de 50% par rapport aux dépenses actuelles) et « les besoins ultérieurs seraient au moins équivalents ». Ce qui nécessitera « un fort volontarisme et une claire affirmation des priorités ». La décarbonation des transports passera en particulier par la décarbonation des usages de la route. Une évolution positive est possible… A condition de définir une stratégie forte et cohérente et de mobiliser les moyens nécessaires.