En France, Kickstarter collecte les déconvenues
Le géant US du crowdfunding a récolté 10 millions d'euros de fonds dans l'Hexagone l'an dernier, contre 25 et 17 millions pour les start-up tricolores Ulule et KisskissBankBank.
Les plateformes de crowdfunding françaises font de la résistance. Deux ans après l'arrivée de Kickstarter en France, les acteurs locaux se portent toujours aussi bien. Selon le baromètre annuel de l'association Financement Participatif France, les fonds collectés sur les plateformes de crowdfunding tricolores ont augmenté de 40% entre 2015 et 2016 (de 166,8 millions à 233,8 millions d'euros). Le nombre de financeurs a aussi progressé pour atteindre 2,6 millions. "Même si la croissance est moins importante qu'entre 2014 et 2015, on a vu une belle progression. C'est très positif pour le secteur", souligne Stéphanie Savel, présidente de Financement Participatif France. Le géant américain aux trois milliards de dollars collectés dans le monde depuis sa création a peut-être stimulé le marché français mais il n'a pas eu le succès escompté.
L'an dernier, 10 millions d'euros auraient été collectés en France sur Kickstarter, selon la plateforme. C'est moins qu'Ulule (25,4 millions d'euros) et que KisskissBankBank (17 millions d'euros). "Avec leur savoir-faire et leur dynamisme aux Etats-Unis, on pensait qu'ils feraient mieux en France. C'est très étrange car le modèle de don avec contrepartie marche très bien ici. Mais je pense que les plateformes françaises ont un avantage : une valeur de marque importante", avance Stéphanie Savel.
Le taux de succès moyen d'un projet sur Kickstarter France est de 35% contre 68% pour KissKissBankBank et Ulule
Les acteurs français redoutaient l'arrivée de Kickstarter sur le marché hexagonal mais ont été rapidement rassurés. "Finalement, leur activité ne marche pas tant que ça. Toutefois, ils ont amélioré la pédagogie autour du financement participatif et ont participé à la maturité du marché", souligne Vincent Ricordeau, cofondateur de KissKissBankBank. "Leur arrivée a été très applaudie puis ils ont connu un désenchantement. Beaucoup de projets n'ont pas abouti ", se souvient Alexandre Boucherot, patron d'Ulule. Sur la version française de Kickstarter, le taux de succès moyen d'un projet est de 35% contre 68% pour KissKissBankBank et Ulule. Ce mauvais pourcentage est en partie dû à la stratégie internationale de Kickstarter. L'Américain est présent dans 21 pays dans le monde avec une forte présence en Europe mais seulement deux collaborateurs sont basés sur le Vieux continent. L'un d'eux partage son temps entre Paris, Londres et Berlin… Difficile de suivre les 2 000 projets français présents sur la plateforme. Dans le monde, le taux de succès est un peu plus élevé : 35,82%. Sur les 223 689 campagnes qui n'ont pas abouti, 22% d'entre-elles se sont terminées sans recevoir un seul engagement.
"Il y a clairement un problème de présence de terrain. Tout est piloté depuis Brooklyn (le siège de Kickstarter, ndlr). Plus on s'éloigne du cœur névralgique de Brooklyn, moins le taux de succès est bon", affirme Alexandre Boucherot. L'équipe en charge des projets internationaux est venue uniquement à deux reprises à Paris en 2016 pour rencontrer des créateurs. La moitié des projets se situent à Paris, le reste se répartit entre Lyon, Toulouse, Bordeaux et Lille. "Cette année, nous irons beaucoup plus en France, pour créer plus de lien avec la communauté française. Pendant les cinq premiers mois de l'année, nous y sommes déjà allés trois fois", répond Sean Leow, director of international chez Kickstarter. Selon lui, l'Europe n'est pas un marché très mur pour le crowdfunding. "Je ne souhaite pas faire de généralisation mais on remarque qu'il n'est pas facile de demander de l'argent publiquement en Europe. C'est plus dans la culture américaine. Cependant, la France possède une histoire culturelle très riche et le crowdfunding est connu", assure-t-il. Sean Leow est bien conscient de la force des plateformes françaises et a bien identifié ses concurrents Ulule et KissKissBankBank. "Elles font du super boulot, je suis très content pour elles", soutient-il.
"Le côté self-service des plateformes américaines laisse beaucoup de personnes sur le côté"
Alexandre Boucherot ne voit pas Kickstarter comme une menace. "En volume, on est des nains face à eux mais on l'assume. Notre objectif n'est pas de collecter plus mais d'aboutir à de meilleurs succès", explique le cofondateur d'Ulule. Contrairement au géant américain, les plateformes françaises mettent l'accent sur l'accompagnement des projets. "Le côté self-service laisse beaucoup de personnes sur le côté. Le boulot d'une plateforme de crowdfunding est aussi d'accompagner les créateurs", estime Alexandre Boucherot. Kickstarter ne prévoit pas d'embauches en France pour soutenir les créateurs mais compte se focaliser sur certains projets. "Nous allons mettre plus d'efforts pour engager les communautés importantes comme la BD ou le roman. Nous allons aussi développer des partenariats avec des écoles d'art, des accélérateurs de hardware ou encore des festivals de films", précise Sean Leow, qui veut s'imprégner davantage de la culture française.
"Le marché américain est tellement puissant que les acteurs font moins d'effort pour comprendre la culture d'autres pays. C'est un peu cliché de dire ça mais c'est plutôt vrai", glisse Alexandre Boucherot. Kickstarter mise davantage sur son énorme audience internationale (30 millions de financeurs à travers le monde) que sur sa capacité à s'adapter à un marché local. Tout le contraire d'Ulule, présent au Canada, au Benelux, et plus récemment en Espagne et en Italie. " Quand nous avons voulu nous implanter en Espagne, on savait qu'il fallait absolument parler castillan et catalan. Nous avons embauché des Espagnols pour bien connaître les usages du pays et l'écosystème en place. La dimension multicanale et multilingue est obligatoire pour que les porteurs de projets adhérent à la plateforme", assure Alexandre Boucherot.