Paiement en magasin : les fintech ne partent pas toujours avec la caisse

Paiement en magasin : les fintech ne partent pas toujours avec la caisse Des start-up comme SumUp et iZettle ont bien pénétré le marché français avec leurs terminaux à bas coûts mais n'arrivent toujours pas à concurrencer les acteurs historiques.

C'est un peu paradoxal. Alors que le paiement en ligne est en plein boom grâce à une belle hausse du e-commerce français (+11,6% en 2019, selon la Fevad), le paiement en magasin ne faiblit pas. Et attire aussi bien les petits que les gros acteurs. La star du paiement en ligne Adyen propose une offre de paiement en magasin à ses clients online et compte déjà de belles références comme Etam. Son concurrent Stripe, qui a une solution similaire, ne l'a pas encore commercialisée en France. Le suédois iZettle, qui fournit un terminal de paiement (TPE) low cost a été racheté par PayPal en mai 2018 pour 2,2 milliards d'euros. Grâce à cette acquisition, le géant américain rajoute une corde à son arc et peut désormais intégrer une offre brick and mortar à ses clients commerçants. L'intégration d'iZettle chez PayPal a commencé mais aucun chiffre n'est encore communiqué. D'après un connaisseur du secteur, il compterait pas moins de 100 000 clients dans l'Hexagone. 

La force de la fintech nordique repose sur son modèle très souple et abordable. Son terminal de paiement est vendu 19 euros HT et ne comprend pas de frais d'installation, d'engagement ou d'autres frais mensuels (en dehors des commissions). Une formule adaptée aux petits commerces et aux indépendants qui n'avaient pas de solution pour accepter les cartes bancaires. iZettle n'est pas seul sur ce segment. Le britannique SumUp, qui a levé 330 millions d'euros en juillet 2019, est présent en France depuis 2012. Depuis six mois, la start-up a mis en place un marketing beaucoup plus agressif, qui va de la publicité en ligne à la télévision en passant par les réseaux sociaux. "Avant, nous faisions du marketing global traduit en différentes langues. Désormais, nous avons une équipe marketing de 15 personnes dédiée à  l'Hexagone", indique Laure Faretti, responsable France depuis fin 2019. A cela s'ajoutent 40 personnes pour le service client français et 15 personnes en charge des partenariats et des ventes. La start-up ne communique pas sur son volume de clients en France mais un expert du secteur nous indique que "SumUp et iZettle ont gagné la bataille sur le secteur des très petits commerçants et freelances". La France est le troisième marché de SumUp, qui a enregistré un chiffre d'affaires global de 200 millions d'euros en 2019.

S'allier avec les banques

Le français Smile&Pay, concurrent des deux fintech étrangères, comptait "seulement" 12 000 clients en France en 2019. Papam, qui propose à la fois des offres avec des terminaux traditionnels et une solution qui transforme un smartphone en TPE, en revendique 30 000. "Avec des TPE si peu chers (19 euros HT, ndlr), on ne peut pas les concurrencer, on n'a pas les mêmes moyens", regrette Nicolas de Labarre, directeur général de Smile&Pay. Pour se différencier, la start-up tricolore vient de lancer un contrat sans engagement et interchangeable. Un client Smile&Pay peut souscrire à une offre standard,à 59 euros le TPE et 1,75% de frais de transactions, puis évoluer quand il le souhaite pour une offre à 29 euros par mois avec un taux de 0,75%. "C'est plus adapté pour les activités qui ont une saisonnalité et pour ceux qui ont un chiffre d'affaires supérieur à 3 000 euros par mois", soutient Nicolas de Labarre.

"SumUp et iZettle ont gagné la bataille sur le secteur des très petits commerçants et freelances"

Ce taux de 1,75%, également proposé par iZettle et SumUp, s'avère bien plus cher que celui pratiqué par les banques traditionnelles, qui travaillent avec les Ingenico et Verifone. Celles-ci peuvent descendre en dessous des 0,5% mais affichent souvent un prix plus élevé pour l'achat ou la location du TPE. Sans compter que le commerçant doit s'engager pour une période d'au moins deux ans minimum avec la banque.

SumUp a entamé des discussions avec des banques françaises pour distribuer son offre low cost en ciblant les entreprises réalisant moins de 15 000 euros de chiffre d'affaires par mois. "Ce sont des clients qui ne sont pas rentables pour les banques", rétorque Nicolas de Labarre chez Smile&Pay.

C'est aussi la stratégie du français Tiller, éditeur de logiciels de caisse, qui a lancé Tiller Pay début 2020. Cette offre comprend un système de paiement et un TPE Ingenico ou Verifone. "On ne fait que l'intermédiaire, le client n'a pas besoin de changer de contrat monétique, il peut garder sa banque au lieu de la remplacer par un autre acteur", précise Dimitri Faber, CEO de Tiller, qui collabore depuis quelques années en parallèle avec iZettle et SumUp dont il distribue également les TPE. Sur ses 8 500 clients, 1 500 ont des terminaux signés par ces derniers. "On ne travaille avec eux que sur des petits clients car ils ont du mal à être compétitif. Ça aide de passer par une banque acquéreur pour avoir des taux plus bas. Pour les gros clients qui font du volume, c'est avant tout un taux bas qui les intéresse", précise Dimitri Faber. Sans compter que ces acteurs étrangers ne sont pas agréés CB. Une certification qui permet de bénéficier d'un taux bien plus bas que ceux pratiqués par Visa et Mastercard. Chez Tiller Pay, le taux s'élève à 0,9% mais peut descendre au taux de la banque partenaire. A cela s'ajoute la location (entre 25 et 40 euros) ou l'achat (entre 150 et 400 euros) du TPE en fonction du fabricant. Tiller, qui a une majorité de clients en restauration, espère équiper 1 600 clients avec Tiller Pay d'ici fin 2020. 300 l'utilisent déjà aujourd'hui. Grâce à ce nouveau business, Tiller entend augmenter de près de 50% ses revenus récurrents.

Des offres verticales

Du côté d'Ingenico, qui revendique le parc de terminaux le plus installé de France, ces coopérations avec des petits acteurs ne sont pas négligeables. "Nous allons accélérer les partenariats de ce type car la digitalisation de nos métiers induit une verticalisation des offres. Des entreprises comme Tiller qui prennent une verticale et créent une solution end to end sont un très bon exemple", explique Michel Léger, directeur de l'innovation d'Ingenico. Payplug (groupe BPCE), qui a lui-aussi choisi Ingenico pour se lancer dans le paiement en magasin en février 2020, pense également en termes de verticale. Il s'est d'ailleurs associé à Tiller Pay en tant que banque acquéreur . "On discute avec d'autres spécialistes sectoriels. Nous suivons par exemple beaucoup la tendance des DNVB (digital native vertical brand, ndlr)", confie Antoine Grimaud, patron de Payplug qui compte 10 000 clients en France et en Italie.

Pour toucher les plus petits commerçants, Ingenico réfléchit à de nouveaux modèles. "Pour ceux qui n'ont pas vraiment besoin d'acheter un terminal bancaire, on pourrait proposer du software avec un business model adapté à leur nombre de transactions", avance-t-il. En revanche, pas question de supprimer le TPE du catalogue. "Ce n'est pas un sujet. Le terminal répond à un besoin en termes de sécurité et de flexibilité", assure le dirigeant, qui table sur des nouveaux terminaux plus sécurisés et plus intelligents (sous Android par exemple). Et les moyens seront au rendez-vous. Wordline a annoncé début 2020 le rachat d'Ingenico pour 7,8 milliards d'euros. Un duo qui sera valorisé un peu moins de 20 milliards d'euros.