Robinhood, Bux, Freetrade… Ces appli de trading qui s'affranchissent (trop) des codes
Derrière ces start-up qui proposent des interfaces colorées et une expérience digne d'un jeu vidéo se cachent des modèles plus ou moins controversés.
Il s'appelait Alexander Kearns, avait 20 ans et étudiait à l'université du Nebraska. Il s'est suicidé le 12 juin dernier. Selon sa famille, il venait de découvrir un solde négatif de 730 165 dollars sur son compte Robinhood, une application de trading star aux Etats-Unis, avec à ce jour 13 millions d'utilisateurs. Elle cible principalement les jeunes qui n'ont jamais mis un sous en Bourse. Pour les séduire, la start-up utilise des ingrédients classiques : une interface léchée (et très colorée) et un parcours d'achat ultra simplifié. "C'est une application très intuitive sur laquelle on peut acheter et vendre en un clic. Robinhood a réussi à démocratiser le trading comme Winamax l'a fait avec le pari en ligne", observe Tarek Elmarhri, gérant fondateur de Krechendo Trading.
En quelques secondes, n'importe qui peut acheter une action ou une fraction d'action sans avoir aucune connaissance des marchés financiers. Robinhood n'est pas le seul sur ce segment. D'autres acteurs, dont des Européens, se sont lancés ces dernières années. Ils s'appellent Bux, Freetrade, Trade Republic ou encore Webull. "Ils ont réussi là où les courtiers traditionnels ont échoué : attirer le grand public. On n'a pas l'impression de faire de la finance. On a l'impression d'être dans un jeu", note Tarek Elmarhri.
Pour attirer le grand public, ces applications de trading utilisent des canaux d'acquisition peu exploités par les acteurs traditionnels : la publicité sur Internet, les réseaux sociaux et les programmes de parrainage (une action gratuite pour un parrainage, par exemple). "Ils font de la publicité assez agressive en insistant sur le fait qu'ils permettent aux gens de gagner de l'argent en restant chez eux. Un argument imparable surtout en temps de confinement", souligne un connaisseur du secteur. Fin mars 2020, une loi adoptée par le Congrès US a permis à plus de 140 millions d'Américains de toucher une aide financière allant jusqu'à 1 200 dollars. D'après l'agrégateur de données Envestnet Yodlee, cet argent a principalement servi à investir en Bourse.
Ces aides, couplées au krach boursier qui a suivi les annonces de confinement à travers le monde, ont en partie bénéficié aux applications de trading. Au premier trimestre 2020, Robinhood a ainsi ouvert trois millions de comptes. Ajouter des clients en masse c'est bien, mais à quel prix ? Depuis le début de la crise, l'application américaine a crashé à plusieurs reprises pendant plusieurs heures car le volume d'ordres passé était trop important. "C'est un service gratuit mais pas à toute épreuve. C'est problématique. Ça pète pile au moment où ça ne doit pas péter. Pendant cette période, Saxo Banque n'a, elle, pas craqué", fait remarquer Pierre-Antoine Dusoulier, son ancien patron.
Autre problème, cette fois-ci concernant le KYC (know your customer), le processus d'identification des clients. Chez ces nouveaux acteurs, comme l'interface, il est simplifié, et moins strict à en croire les spécialistes du secteur. "Sur les marchés financiers, l'ouverture de compte est assez lourde car il faut demander beaucoup de justificatifs", indique Tarek Elmarhri. Pour ouvrir un compte sur Bux, il faut environ une dizaine de minutes et seule une pièce d'identité est demandée (un rapide tuto et un petit test de connaissances sur le trading sont soumis pendant le processus d'inscription, comme le montre l'image ci-dessous).
Sur Twitter, de nombreuses mères américaines se sont plaintes que leurs enfants aient pu trader sur Robinhood pour financer leurs achats sur le jeu en ligne Fortnite. Et ces enfants, tout comme les adultes, peuvent perdre gros, en raison de l'effet de levier quasi illimité chez certaines applications US. En Europe, l'effet de levier est par exemple limité sur les CFD (contrats pour la différence), des instruments financiers qui permettent de se positionner à la hausse ou à la baisse sur un sous-jacent (action, devises…). "Tant que vous avez des jetons vous pouvez jouer, comme au casino", résume Tarek Elmarhri. "Vous avez beau gagner 100 000 euros ou 1 million, on sait très bien comment ça va se terminer : vous perdrez tout à la fin à cause de l'effet de levier trop important".
Autre ingrédient qui fait le succès de ces applications : l'absence de commission. Contrairement aux courtiers traditionnels, ces start-up ne prélèvent pas de frais pour l'achat ou la vente d'un titre financier. Mais alors comment se rémunèrent ces acteurs ? Avec des formules premium de quelques dollars par mois qui permettent d'avoir accès à des fonctionnalités plus poussées. Mais aussi avec des frais plus ou moins mis en avant comme le taux de change si jamais un Européen achète une action ou un CFD américain. Chez le britannique Freetrade, il s'élève à 0,45% par exemple. Il peut exister aussi des frais d'inactivité. Le néerlandais Bux facture 5 euros par mois pour les comptes qui n'ont pas été utilisés pendant 90 jours. Ce dernier prélève aussi un euro si vous voulez exécuter immédiatement un ordre au lieu d'attendre la fin de journée.
Les app de trading se rémunèrent aussi grâce aux dépôts de leurs utilisateurs. Enfin, les Américaines car le taux de rémunération des dépôts sont positifs outre-Atlantique alors qu'ils sont négatifs en Europe. Certaines prêtent aussi de l'argent pour que leurs clients puissent investir davantage sur les marchés financiers et récupèrent donc des intérêts. Et comme souvent, pour les produits gratuits, les données des utilisateurs sont vendues à des partenaires.
Last but not least, certaines applications, comme Robinhood, pratiquent le selling order flow. Comprendre : revendre des flux d'ordres. Un acteur traditionnel envoie un ordre sur une bourse régulée comme Euronext. Robinhood redirige le flux vers des courtiers, aussi appelés des teneurs de marché (market makers en anglais), qui utilisent le trading haute fréquence. En résumé, le courtier est prêt à payer Robinhood pour que le flux de son client passe chez lui. Par exemple, le courtier achète l'action sur la place boursière avec l'objectif de la revendre un centime au-dessus du prix actuel au client qui souhaite acheter cette action. Sur le centime qu'il gagne, il se rémunère et donne un demi centime à Robinhood. Cette méthode, légale mais peu transparente, est souvent critiquée par les régulateurs et les consommateurs qui y voient des risques de conflits d'intérêts au détriment des investisseurs particuliers. D'après Bloomberg, le trading haute fréquence rapporterait 40% des revenus de Robinhood. "Je prends le pari qu'il y aura un scandale un jour ou l'autre. Il y aura probablement une class action, comme ça arrive souvent aux Etats-Unis, car des ordres auront été mal exécutés", prédit Pierre-Antoine Dusoulier.
Le très strict marché français
Les Etats-Unis ce n'est pas l'Europe. D'ailleurs, Robinhood n'est toujours pas présent sur le Vieux continent et a même annoncé le report de son lancement au Royaume-Uni en avril dernier, évoquant la crise liée au coronavirus. Un lancement en France n'est donc pas pour tout de suite. A ce jour, l'Hexagone compte une seule de ces applications de trading d'un nouveau genre : Bux. La fintech, qui propose une application pour investir dans des CFD (et prochainement une autre pour investir directement dans des actions), revendique 183 000 utilisateurs français. Un chiffre contesté par de nombreux acteurs du secteur.
Par contre, la France est le prochain pays, avec l'Allemagne, que vise le britannique Freetrade. "Nous proposerons des comptes en euros. Nous voulons que le produit soit le plus local possible", précise Viktor Nebehaj, cofondateur de Freetrade. La plateforme de crypto-monnaie autrichienne Bitpanda, qui s'est lancée en France début mai 2020, compte proposer des actions au troisième trimestre 2020. Mais pas de modèle sans commission prévu. "Le gratuit ne marche pas, c'est synonyme de jeu, pas de trading", lâche Eric Demuth, CEO de Bitpanda. Aucune de ces applications ne craint l'arrivée de Robinhood. "Un acteur comme lui aurait des problèmes réglementaires en France. S'il arrive , il va vite repartir", assure Tarek Elmarhri.