La rentabilité des néobanques

Deux grandes difficultés font face à ces banques mobiles : la conquête de nouveaux clients pour constituer une base solide et la complexité à s'extraire du modèle totalement gratuit.

Le secteur bancaire n'a eu de cesse d'évoluer depuis plusieurs années, la digitalisation étant l'un des principaux facteurs de cette transformation. Le marché de la banque en ligne, toutes générations confondues (les premières banques en ligne puis les néobanques), capte aujourd'hui plus de 8 millions de clients particuliers (Source : les chiffres communiqués par les principaux acteurs en ligne en France et arrêtés à fin 2019)

Principalement attirés par une transparence des frais bancaires, c’est également une expérience client simple et fluide qui incite de plus en plus de clients à se tourner vers les établissements digitaux et en faire leur banque principale.

Ces nouveaux acteurs bancaires suscitent en revanche des interrogations quant à leur modèle de rentabilité, comme l’a analysé l’ACPR après avoir interrogé les principaux acteurs du marché offrant des services bancaires en ligne (cette étude fait suite à la première publication réalisée en octobre 2018).

Deux éléments favorisent ce questionnement : comment acquérir une base clients conséquente face à des établissements classiques bénéficiant d’une assise importante et comment générer des revenus, avec une gratuité des services proposés constatée dans la plus plupart des offres.

L’acquisition client : un investissement vital

L’importance des produits proposés est couplée à un autre pilier fondamental pour la construction d’un modèle économique durable : le nombre de clients.

Si l’attractivité tarifaire est l’un des principaux facteurs d’acquisition, les offres de bienvenue et de parrainage sont désormais pratiquées par la plupart des banques en ligne et sont indispensables pour attirer de nouveaux clients. Ces méthodes étant parfois critiquées, elles n’en constituent pas moins des leviers qui s’inscrivent souvent dans un plan stratégique long terme, à l’image de Boursorama Banque (filiale du groupe Société Générale) qui a réussi le tour de force de doubler sa base clients en seulement trois ans.

Évidemment, rémunérer un client impacte inévitablement son coût d’acquisition et c’est la raison pour laquelle les budgets marketing de ces structures constituent des pôles de dépenses importants. Néanmoins, les budgets alloués à ces subventions peuvent être considérés comme des investissements à long terme et non comme dépenses superflues. Par ailleurs, si à une époque le constat était que ces primes attiraient une clientèle de "chasseurs" se transformant très souvent en clients fantômes, ce sont désormais de "véritables clients" qui ouvrent des comptes, séduits par les produits proposés et la simplicité des démarches d’entrée en relation.

La diversification de l’offre

L’offre de produits proposée par les néobanques constitue la vitrine principale pour attirer des nouveaux clients, le produit d’appel restant très souvent le compte courant associé à une carte bancaire. La gratuité de cette dernière ou l’absence de frais de tenue compte est devenue la norme. Certains établissements s’essayent à conditionner l’absence de frais à l’utilisation d’un service et de le facturer en cas de non-respect de cette clause. Deux vertus à cela : éviter d’avoir un stock de clients dormants et générer une source de revenus, ne pouvant néanmoins à terme pas devenir un pôle de revenus suffisamment conséquent.

L’une des forces de certains acteurs est de proposer une diversité de produits, autrement dit une complétude de l’offre. Pourquoi est-ce primordial ? Parce que si une carte bancaire est gratuite, un crédit immobilier générera quant à lui des intérêts, un ordre de bourse sera payant ou encore une assurance vie sera soumise à des frais de gestion.

C’est d’ailleurs ce qui démarque les banques en ligne de la première génération des néobanques, les produits financiers, les offres d’épargne bancaires ou de crédit étant encore absents de leurs catalogues.

Tout l’enjeu pour les néobanques réside dans leur capacité à monétiser les services innovants qui les ont fait connaître et à étendre leur offre de produits, notamment en proposant des services d’investissements financiers.

La différence des modèles et de stratégies

Si le modèle économique des banques traditionnelles diffère de celui des néobanques, il en est de même sur le plan des charges et des frais supportés. Certes, ce ne sont pas des sources de revenus directes mais les coûts fixes d’une entreprise totalement digitalisée ne sont pas comparables avec ceux d’une banque traditionnelle, bien plus conséquents (réseaux d’agences, loyers, charges…).

L’autre paramètre propre aux néobanques est l’externalisation des infrastructures informatiques permettant une diminution des coûts, à l’inverse des grands établissements bancaires qui disposent encore de systèmes parfois dépassés et souvent coûteux. Le secteur de la fintech a établi un nouveau schéma BtoBtoC, en s’appuyant sur les services d’une entreprise existante sans pour autant être contraint d’obtenir un agrément d’établissement de crédit, détenu par ces mêmes fournisseurs. Cette économie d’échelle, ou scalabilité pour reprendre un terme anglais en vogue, a pour principal avantage de pouvoir pénétrer un marché plus rapidement et de répondre à une montée en charge de l’activité sans la contrainte de mettre en place des changements démesurés.

Les banques en ligne de la première génération sont différentes des nouveaux acteurs en termes de stratégies adoptées. En France, toutes les banques en ligne sont rattachées à des grands groupes bancaires, voire télécoms maintenant (avec Orange Bank du groupe Orange) et peuvent disposer de leur soutien financier tout en conservant leur indépendance commerciale. Les néobanques préfèrent quant à elles se tourner vers des investisseurs en levant des fonds pour développer leur propre structure.

L’histoire a montré (et le montrera certainement encore) que l’alliance des grands groupes bancaires avec les néobanques permettait la création de synergies. Le dernier exemple en date, Shine, néobanque pour les entrepreneurs, en est la parfaite illustration. Sans cannibaliser son offre, Société Générale va au contraire la renforcer à travers l’expérience de Shine et mutualiser les développements sur le plan informatique (rappelons également que Shine s’appuie sur les services financiers et l’agrément de Treezor, rachetée par Société Générale en septembre 2018).

Les clients professionnels, véritable relais de croissance

Contrairement aux clients particuliers, les personnes morales constituent une source de revenus plus importante. Les tarifs appliqués à ce segment par les grands établissements bancaires démontrent parfaitement la différence de traitement, les attentes et besoins étant plus fortes notamment sur les offres de crédit.

Historiquement, les néobanques ne couvraient pas cette catégorie de clients et c’est seulement depuis quelques années que des nouveaux acteurs se sont positionnés sur ce marché porteur (citons Qonto, IbanFirst, Manager One ou encore Memo Bank qui a récemment obtenu son agrément bancaire d’établissement de crédit).

Les néobanques présentes sur ce marché l’ont bien compris : la clientèle des professionnels constitue un vivier d’utilisateurs pour lesquels des services sur-mesure et innovants peuvent devenir monétisables.

La solidité d’un marché mais une rentabilité encore délicate

Les dix dernières années ont permis la validation du modèle de la banque en ligne et de rendre les clients particuliers autonomes. Malgré les craintes du début liées à la dématérialisation de la relation bancaire, la maturité digitale des utilisateurs et l’apparition de nouveaux acteurs n’a fait que renforcer la viabilité du modèle.

Néanmoins, la rentabilité demeure encore complexe : d’une part à cause des difficultés à conquérir de nouveaux clients pour constituer une base solide et d'autre part la complexité à s'extraire du modèle totalement gratuit en parvenant à associer des tarifs à des produits et services innovants.

Tout l’enjeu pour ces acteurs digitaux dans les prochaines années sera de parvenir à la fois à recruter de nouveaux clients et de donner l’accès à une gamme plus large de produits en appliquant des tarifs attrayants.