"Il arrive après la bataille" : Wero peut-il s'imposer comme le moyen de paiement privilégié des Européens ?
Pour l'instant concentré sur le P2P, Wero ambitionne à terme de devenir un acteur majeur du paiement en magasin et du paiement e-commerce. Un sacré défi au vu de la concurrence.
14 millions d'inscrits et 8 millions de transactions traitées en France, Allemagne et Belgique. Voici les premiers résultats de Wero communiqués le 21 novembre par l'EPI pour European Payments Initiative, le conglomérat de banques européennes à l'origine de cette solution de virement entre amis progressivement lancée en France depuis septembre (depuis juillet en Allemagne et novembre en Belgique). Les prochains résultats du remplaçant de Paylib seront également scrutés de près. Car pour l'EPI, le paiement P2P n'est pas une fin en soi. Il constitue une rampe de lancement qui doit permettre à Wero de construire une grande base d'utilisateurs pour atteindre son véritable objectif : devenir un moyen de paiement européen capable de concurrencer des acteurs étrangers comme Paypal, Apple Pay, Google Wallet, Samsung Wallet, Visa ou Mastercard. Mission possible ?
Quelle plus-value ?
S'il faudra attendre au moins 2026 pour payer en ligne ou en magasin avec Wero, on connait déjà les futures modalités. Pour l'e-commerce, deux options existeront : le consommateur qui réalisera un achat via son ordinateur devra simplement scanner un QR code avec son portable. Celui qui sera déjà sur son smartphone au moment de l'achat paiera grâce à la détection de wallet. Concernant le paiement en magasin, il faudra également utiliser son téléphone et passer par le "scan and go".
L'expérience de paiement décrite ci-dessus s'annonce fluide. Avec le sans contact et le paiement mobile désormais généralisés, cette condition semble indispensable pour séduire le grand public. Sera-t-elle suffisante pour que Wero supplante les autres moyens de paiement dont disposent les consommateurs ? "Je suis très sceptique et assez peu enthousiaste", répond un expert de l'écosystème. "La concurrence est immense, j'ai l'impression que l'EPI arrive après la bataille". Cette concurrence est en premier lieu représentée par la carte bancaire qui propose une expérience de paiement très fluide depuis l'essor du sans contact. "Son usage est très bien installé. Il faudra un effort de communication et que les banques intègrent Wero de manière simultanée pour essayer de changer les habitudes des consommateurs", prévient Laurent Mangel, senior manager banque chez Magellan Partners, un cabinet de conseil qui accompagne des banques françaises dans l'intégration et le déploiement de Wero.
Outre le sans contact, des solutions comme Apple Pay ou Google Wallet rendent possible le paiement par téléphone et renforcent ainsi l'attractivité de la carte bancaire. Tout comme le click to pay, dernière innovation des réseaux Visa et Mastercard (et bientôt CB) qui permet de payer en ligne sans saisir le numéro de sa carte. "Wero ne proposera pas une immense plus-value par rapport à toutes ces solutions", poursuit notre spécialiste des paiements. "En plus de la concurrence de ces champions mondiaux, l'EPI sera aussi à la bagarre avec des fintechs locales". Par exemple, des start-up comme l'italien Satispay ou le français Delupay proposent elles aussi des alternatives à la carte bancaire. "Les solutions de paiement sont trop nombreuses, le consommateur risque d'être perdu. Encore plus si on ajoute à tout cela le projet d'euro numérique…".
Disparition des intermédiaires et des frais de réseau
Mais pour Laurent Mangel, l'EPI peut compter sur un "atout considérable" pour séduire les Européens, à savoir "regrouper sur une même interface de nombreux cas d'usage". En effet, Wero permettra le paiement en ligne, le paiement en magasin et le paiement de pair à pair. Un service de Buy Now Pay Later sera également intégré, tout comme "d'autres services innovants" selon l'EPI. "Les utilisateurs pourront passer d'un cas d'usage à un autre avec simplicité et autonomie", prédit Laurent Mangel.
Le grand public ne constitue pas le seul acteur que Wero devra séduire. Il faudra bien sûr convaincre les commerçants. Si on ne connait pas encore les taux de commission fixés par l'EPI, "la tarification sera forcément un levier pour se démarquer". La carte bancaire étant éliminée du circuit de paiement, les intermédiaires comme Visa et Mastercard disparaissent de l'équation. Une donnée importante. En plus de supprimer les frais de réseau qui servent à rémunérer ces acteurs, Wero pourrait "offrir davantage de souplesse dans la négociation des commissions entre une banque et un commerçant". De quoi garantir à ce dernier "une certaine flexibilité au niveau de la gestion de sa trésorerie", assure Laurent Mangel.
Bizum, un Wero d'Europe du sud
Quoiqu'il en soit, le projet que porte l'EPI, à savoir développer un moyen de paiement européen souverain, parait louable. Deux éléments viennent toutefois noircir le tableau. D'abord, pour notre expert, "le consommateur ne se soucie guère de la souveraineté européenne quand il doit choisir un moyen de paiement".
Surtout, Wero ne concerne pas toute l'Europe. En effet, la majorité des pays du Vieux continent ne font pas partie du projet à ce jour. C'est par exemple le cas des banques espagnoles. Celles-ci ont lancé leur propre solution de paiement nommée Bizum. Une solution qui possède un temps d'avance car elle propose des virements entre amis depuis 2016 et gère des transactions en ligne entre commerçants et particuliers depuis 2020. Bizum, qui revendique 27 millions d'utilisateurs actifs, est intégré à 70 000 boutiques en ligne, dont Amazon (malheureusement, le manque de chiffre sur les volumes de ces transactions e-commerce ne permettent pas de juger clairement son succès). Par ailleurs, Bizum a également conclu des accords d'interopérabilité avec les services de paiement mobile Bancomat Pay (Italie) et MB Way (Portugal) et s'avance donc comme un sérieux concurrent à Wero. Un de plus.