Trésorerie et intelligence artificielle en trésorerie : où en sont véritablement les entreprises ?
La fonction trésorerie, longtemps perçue comme conservatrice, s'ouvre progressivement à l'IA. Entre promesses technologiques et réalité opérationnelle, où en sommes-nous vraiment ?
Un secteur en pleine interrogation
Depuis deux ans, l’Intelligence Artificielle s’impose dans tous les débats de transformation digitale des entreprises. La fonction trésorerie n’échappe pas à cette tendance, mais avec une particularité : l’écart entre l’intérêt exprimé et les déploiements effective reste considérable.
Les directions financières européennes sont aujourd’hui dans une phase d’exploration active. Les retours de terrain montrent un décalage important entre l’intérêt exprimé pour l’IA et les déploiements effectifs : nombre d’entreprises étudient le sujet ou mènent des projets pilotes, mais rares sont celles qui ont véritablement franchi le cap du déploiement à grande échelle. Cette prudence s’explique par les spécificités d’un métier où l’erreur peut coûter cher et où la réglementation impose des contraintes strictes.
Les premiers terrains d’expérimentation
Pour autant, trois domaines émergent comme particulièrement prometteurs pour l’application de l’IA en trésorerie.
- L’amélioration des prévisions de trésorerie constitue le cas d’usage le plus exploré. La méthodologie consiste à s’appuyer sur les motifs constitués par les flux de trésorerie passés (données endogènes) pour prédire le futur. La qualité et la quantité de données sont clés dans le succès d’un projet d’analyse prédictive. De surcroît, les algorithmes de Machine Learning peuvent théoriquement analyser des volumes considérables de données historiques et identifier des corrélations complexes entre les flux financiers et des facteurs exogènes (saisonnalité, indicateurs macroéconomiques, comportements clients). Les premiers retours d’expériences montrent des améliorations de précisions encourageantes, particulièrement sur le court terme.
- L’automatisation des processus administratifs génère quant à elle des résultats plus immédiats. Classification automatique des mouvements bancaires, rapprochements intelligents, détections d’anomalies des flux : ces applications s’appuient sur des technologies IA désormais matures et produisent des gains de productivité mesurable sur les tâches répétitives. L’IA générative offre des perspectives très prometteuses. La capacité à interpréter des documents non structurés permet de mettre en œuvre des processus automatisés de réconciliation de documents (contrats, amendements ou confirmation de transactions complexes ou structurées). Ces processus, réalisée manuellement, bénéficient ainsi d’une technologie permettant de gagner en efficacité opérationnelle, et tout en réduisant les coûts et le risque transactionnel.
- La gestion prédictive des risques représente un troisième axe d’innovation, notamment pour anticiper les tensions de liquidité, détecter les signaux d’alerte sur les contreparties ou optimiser les stratégies de couverture de change. Toutefois, la complexité des marchés financiers et leur caractère partiellement imprévisible limitent encore certaines applications pratiques.
Des obstacles techniques et humains
Le principal frein au déploiement de l’IA en trésorerie reste la qualité des données. Contrairement à d’autres fonctions de l’entreprise, la trésorerie manipule des données financières critiques qui exigent une fiabilité absolue. Les modèles IA nécessitent des historiques complets et structurés, un prérequis que toutes les organisations ne remplissent pas immédiatement.
Expliquer le fonctionnement des algorithmes constitue également un défi majeur, les trésoriers ont besoin de comprendre les recommandations qu’ils mettent en œuvre.
Enfin, comme dans tout projet, la conduite du changement représente un enjeu organisationnel fondamental. Les équipes de trésorerie vont devoir développer une culture « data » tout en préservant leur expertise métier.
Vers une adoption progressive et raisonnée
Face à ces constats, les entreprises adoptent une stratégie d’approche progressive en commençant par des projets pilotes sur des cas d’usage simples et mesurables, avant d’envisager d’étendre progressivement le périmètre.
Cette prudence contraste avec l’enthousiasme parfois excessif des discours sur l’IA. Les organisations qui s’engagent dans cette voie avec réalisme et persévérance construisent un avantage concurrentiel durable.
Vers une fonction trésorerie réellement augmentée
Au-delà de son application technique, l’IA transforme progressivement le rôle même du trésorier. Libéré des tâches administratives les plus répétitives, le trésorier pourra se concentrer sur l’analyse stratégique et la création de valeur. Cette évolution s’inscrit dans une tendance plus large de repositionnement de la fonction, qui passe d’un rôle de gestionnaire de flux à celui de partenaire stratégique de la direction générale.
L’IA devient ainsi un levier de transformation plutôt qu’une simple amélioration technologique. Elle permet aux directions financières de repenser leur processus, leurs compétences et leur contribution à la performance globale de l’entreprise.
L’IA en trésorerie n’est donc plus une question de « si » mais « quand » et « comment ». Les organisations qui réussiront leur transition sont celles qui sauront allier ambition technologique et pragmatisme opérationnel, en gardant l’humain au cœur de la démarche. L’avenir appartient à la trésorerie augmentée !