Alain Droniou (Amiad) "La mission de l'Amiad est d'intégrer l'IA dans l'ensemble du domaine militaire français"

Alain Droniou est sous-directeur technique de l'Agence Ministérielle pour l'Intelligence Artificielle de Défense (Amiad). Il revient pour le JDN sur les missions de l'agence et les cas d'usage ciblés.

Alain Droniou est sous-directeur technique de l'Agence Ministérielle pour l'Intelligence Artificielle de Défense (Amiad). © Amiad

JDN. Quel est l'objectif principal de la création de l'Amiad ?

Alain Droniou. L'Amiad a été créé par décret le 1er mai 2024 avec pour objectif principal de piloter le déploiement de l'intelligence artificielle au sein du ministère des Armées. Cette création répond à une volonté forte du ministre. L'agence ne part pas de zéro puisqu'elle a bénéficié, dès le 1er septembre, du transfert d'experts en IA issus de la DGA. Notre mission est d'intégrer des briques d'IA pertinentes dans l'ensemble du domaine militaire et d'améliorer ainsi les capacités du ministère. Notre champ d'action couvre un large spectre : de l'IA embarquée dans les systèmes d'armes jusqu'aux applications plus classiques qu'on retrouve dans le privé - gestion des ressources humaines, finances, juridique, achats, etc. L'objectif est de déployer et d'intégrer l'IA dans tous les services pour leurs utilisateurs.

L'Amiad a pour vocation de concentrer des ressources et des expertises de très haut niveau, avec une capacité R&D permettant de développer et déployer de nouvelles solutions d'IA. Cependant, avec un effectif prévu de 300 personnes en 2026, l'agence ne peut pas gérer seule tous les besoins en IA du ministère. C'est pourquoi nous nous appuyons sur un vaste réseau comprenant industriels de défense, startups, PME et l'écosystème national. Notre rôle est d'identifier les acteurs les plus pertinents et d'intégrer les solutions les plus adaptées à nos systèmes.

Notre approche varie selon le niveau de criticité des systèmes et les exigences de souveraineté. Pour les fonctions critiques, nous développons des solutions en interne avec un contrôle accru. Pour d'autres domaines, comme la gestion des RH ou des achats, nous pouvons nous tourner vers des solutions industrielles, éventuellement adaptées à nos besoins spécifiques.

Quels types d'intelligence artificielle sont développés au sein de l'Amiad, et quels sont les cas d'usage qui leur sont associés ?

Nous développons une large gamme d'applications d'IA couvrant différents domaines et technologies. Si les modèles de langage font beaucoup parler d'eux aujourd'hui, nous utilisons également des technologies d'IA plus anciennes qui restent très performantes pour certaines applications, notamment lorsque nous avons des contraintes spécifiques de crédibilité ou des typologies de données particulières.

Nos applications s'articulent autour de quatre domaines clés. Le premier concerne l'accès à la connaissance, où nous déployons des modèles de langage et de fondation multimédias pour faciliter l'enseignement et permettre, entre autres, aux juristes de naviguer efficacement dans la jurisprudence des marchés publics.

Le second domaine vise l'augmentation des capacités opérationnelles, notamment via la détection d'anomalies dans les images, permettant ainsi aux opérateurs de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée en n'intervenant que lorsqu'une situation requiert leur attention.

Le troisième axe se concentre sur l'optimisation des opérations, avec le développement de solutions pour améliorer l'efficacité de la chaîne logistique et optimiser la maintenance des équipements, dans le but d'accroître la disponibilité du parc tout en réduisant les coûts.

Enfin, le dernier domaine concerne l'autonomie et la gestion d'agents multiples : face à l'utilisation croissante des drones dans les opérations militaires, nous développons des solutions permettant à un seul opérateur de piloter plusieurs dizaines de drones simultanément, tout en gardant à l'esprit que l'IA n'est qu'un outil parmi d'autres pour répondre à ce besoin.

Développez-vous également vos propres modèles ?

Nous développons effectivement des modèles en interne, mais de manière ciblée. Notre approche n'est pas de réinventer ce qui existe déjà en open source ou ce qui est développé par des entreprises spécialisées. En revanche, notre priorité est de comprendre en profondeur le fonctionnement de ces technologies. Cette maîtrise est cruciale : si un jour, pour une raison ou une autre, nous perdions l'accès à ces technologies – par exemple dans un contexte où la recherche deviendrait plus cloisonnée – nous devons être capables de redévelopper les outils dont nous avons besoin.

Le domaine militaire présente de nombreuses spécificités par rapport au civil. Une grande partie de notre développement interne consiste à adapter les technologies existantes à nos besoins particuliers. Par exemple, dans le domaine de l'imagerie, il existe de nombreux modèles civils capables de détecter des objets dans des images classiques. Cependant, dès que nous travaillons avec des images infrarouges ou des données issues de capteurs spécifiques, nous constatons souvent une dégradation des performances. Notre travail consiste alors à adapter ces modèles pour maintenir leur efficacité dans nos contextes opérationnels particuliers.

Le recrutement de talents dans le domaine de l'IA étant particulièrement compétitif en France, comment parvenez-vous à attirer des profils hautement qualifiés ? Avez-vous adapté vos conditions de rémunération pour répondre aux exigences du marché ?

Effectivement, nous avons récemment adapté notre grille de rémunération pour mieux valoriser nos experts. Cependant, notre principal atout réside dans la possibilité de servir le pays, une motivation qui résonne fortement auprès de nombreux candidats. Les projets sur lesquels nous travaillons constituent également un argument de poids. Par exemple, travailler sur la problématique des "oreilles d'or" dans les sous-marins ou sur les sonars de nouvelle génération offre des opportunités uniques qu'on ne retrouve pas ailleurs.

Actuellement, l'Amiad compte une centaine de collaborateurs. Notre objectif est ambitieux : recruter deux cents personnes supplémentaires sur les deux prochaines années pour couvrir l'ensemble des compétences nécessaires au déploiement de l'IA. Nous recherchons des profils variés : des ingénieurs spécialisés dans le développement et l'apprentissage des modèles, des data engineers pour la gestion et le traitement des données, mais aussi des architectes et des administrateurs systèmes capables de gérer nos supercalculateurs. Cette dernière compétence, particulièrement pointue, est essentielle dans notre chaîne de valeur.

Les solutions développées par l'Amiad sont-elles conçues pour être interopérables avec celles de nos alliés, notamment dans le cadre de l'Otan ou de l'Europe de la défense ?

Il y a certaines règles sur lesquelles on doit conserver une souveraineté totale, notamment en termes de maîtrise du développement et de confidentialité du travail. Il n'y a pas de doctrine établie, c'est vraiment du cas par cas en fonction des situations qui se présentent. L'objectif est d'acquérir une souveraineté et d'être en mesure de la conserver. On préfère parfois refaire en interne quelque chose qui pourrait déjà exister ailleurs, pour être sûr que si jamais on perdait l'accès à ce qui est fait par d'autres, on puisse continuer à fonctionner. Concernant les projets européens, la question est effectivement de s'inscrire dans ces collaborations. Pour l'instant, nous avons des échanges avec différentes entités à titre expérimental, mais nous n'avons pas encore de projet concret de collaboration au niveau européen.

Quels seront les objectifs principaux du nouveau supercalculateur déployé à Suresnes ?

Mis en service au second semestre, le supercalculateur classifié permettra de travailler sur des données sensibles au niveau du ministère, pour entraîner des gros modèles et développer des applications dans le champ des multimodalités, notamment sur de grandes images. Il permettra de mettre en service l'IA sur les réseaux du ministère et de faire de l'inférence pour des applications métropolitaines.