En France comme ailleurs, les villes s'attaquent à la pollution sonore avec des solutions connectées

En France comme ailleurs, les villes s'attaquent à la pollution sonore avec des solutions connectées Les collectivités mènent différentes initiatives pour devenir plus attrayantes. Parmi elles, la lutte contre le bruit, source de stress pour les habitants.

Les chantiers du Grand Paris et des Jeux olympiques se multiplient, entraînant dans leur sillage l'implantation de capteurs IoT mesurant la pollution sonore. Ainsi, l'éditeur IoT Vertical M2M surveille sur sa plateforme, par les données d'une dizaine de sondes acoustiques, qu'il n'y ait pas de nuisance sonore perceptible par les riverains pendant la construction du village olympique. De son côté, la start-up Ellona veille à la bonne qualité de l'air et au bruit qui pourrait déranger les chevaux, dans les installations les accueillant avant les épreuves. Et ils ne sont pas les seuls à mener de tels projets. "La mesure des nuisances sonores devient un vrai sujet pour les villes", assure Benoit Gryspeerdt, business development executive chez Wavely, entreprise française spécialisée dans l'analyse sonore, qui enregistre une hausse de la demande client.

Les collectivités doivent devenir de plus en plus attentives à la pollution sonore sur leur territoire. Déjà pour satisfaire une directive européenne datant de 2002 qui impose à une dizaine de villes françaises à proximité d'aéroports de mesurer et de cartographier tous les cinq ans les nuisances sonores. Ensuite parce que la mesure du bruit représente un moyen d'augmenter le confort et la qualité de vie des citoyens. "Les collectivités se rendent compte que les citoyens adhèrent à leur environnement par les sens", assure Jean-Christophe Mifsud, président et CEO d'Ellona. Enfin, mesurer et réduire la pollution sonore permet aux collectivités de s'engager pour une meilleure santé de leurs habitants, via la lutte contre le stress sonore. Selon une enquête de l'Ademe menée en juin 2021, le coût social du bruit en France s'élève à 147 milliards d'euros.

300 capteurs dans le centre de Genève

La ville de Genève a été l'une des premières en Europe à déployer en 2017 des capteurs IoT à grande échelle pour mesurer ses nuisances sonores. "La ville venait de déployer son réseau LoRaWAN, installer les capteurs a été rapide", se rappelle Stefano Crico, responsable des ventes chez le fournisseur suisse Orbiwise, qui a conçu les capteurs pour Genève. Une première expérimentation a été menée dans un quartier résidentiel à proximité duquel est située une autoroute conduisant à la frontière française. Deux ans de mesures ont abouti à une réduction de la vitesse et au détournement des camions pour réduire le bruit près des habitations. Le passage à des bus hybrides a également un impact sur le bruit émis en ville. "En 2019, les quelque 300 capteurs ont été déplacés dans le centre-ville, pour se concentrer sur cette zone et sur la gare", indique Stefano Crico.

Genève n'est pas la seule à s'attaquer aux nuisances sonores. "Barcelone s'y est mise un an après, avec l'aide d'une entreprise locale pour déployer une centaine de capteurs. Depuis un an, Amsterdam s'y emploie pour évaluer l'impact sonore des flux du trafic à certains carrefours", énumère Stefano Crico, qui travaille sur ce projet avant d'ajouter : "En France, la mesure du bruit est la plus souvent réalisée par les collectivités par de la simulation numérique plutôt que par capteur car les solutions restent onéreuses. Nos capteurs représentent quelques centaines d'euros, certaines solutions sont à plusieurs milliers d'euros." Les déploiements d'objets connectés pour cet usage sont donc davantage le fait de maîtres d'ouvrage, comme Bouygues Construction, pour qui Wavely en déploie une centaine par chantier.

Pour Jean-Christophe Mifsud, à la tête d'Ellona dont la solution la plus complète revient à un coût compris entre 300 et 600 euros par capteur, l'explication tient en la faible connaissance du marché : "Les solutions IoT de mesure des nuisances sonores sont peu connues en France, 60% de notre chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger." Pour Benoit Gryspeerdt chez Wavely, l'utilisation d'un microphone explique les réticences : "Malgré les atouts des solutions, les collectivités craignent que les enregistrements puissent être retoqués par la Cnil."

Une donnée contextualisée

Le fonctionnement des capteurs de nuisances sonores assure pourtant l'anonymisation des enregistrements. "Notre capteur enregistre le son ambiant par son microphone. Il contient de l'edge computing pour analyser ce son et envoyer sur la plateforme web sa qualification contextualisée. Par exemple, il alerte si une hausse de décibel est détectée et correspond au passage d'une ambulance ou à un marteau-piqueur", explique Jean-Christophe Mifsud. Son système capte les bruits dans un rayon de 100 m² à l'extérieur. Le studio de développement Rtone s'est associé au spécialiste lyonnais de la mesure acoustique Acoem pour concevoir un capteur de mesure des nuisances sonores dans différentes bandes de fréquence. "Le traitement des données est effectué dans le système avec un algorithme dédié aux usages afin de ne pas remonter de flux de données enregistrées. La gestion des données est très encadrée", certifie Charly Hamy, CTO de Rtone.

La tendance actuelle sur le marché est au couplage des technologies pour permettre aux capteurs de mesurer, dans un même objet, un ensemble de nuisances environnementales. "Notre projet de R&D est d'ajouter la mesure d'autres paramètres à notre capteur, et avec différents réseaux, comme le NB-IoT", confirme Stefano Crico. De son côté, l'appareil de Ellona est déjà capable d'analyser 37 paramètres différents, du niveau de bruit à la pollution olfactive, en passant par les particules fines et la luminosité. Plus de 500 clients dans le monde l'utilisent, à l'image de Vinci ou Elior. Autre exemple avec le fabricant français Upciti qui permet de réaliser, avec un capteur unique, du stationnement intelligent, du comptage de véhicules et de piétons, et de la détection d'encombrants et de nuisances sonores. L'entreprise a par exemple installé une cinquantaine de capteurs dans le centre-ville de Dijon il y a un peu plus d'un an pour remonter, entre autres, les niveaux sonores.

Les perspectives de marché pour ces fabricants IoT sont prometteuses, de nouveaux secteurs s'intéressant à la mesure du bruit. "Le marché historique est porté par les acteurs de la construction, pour maîtriser les nuisances sonores d'un chantier, mais aussi par les aéroports, les ports et les autoroutes", explique Charly Hamy, CTO de Rtone. De nouveaux usages apparaissent en lien avec le développement durable et la smart city. "Nous observons une nouvelle demande pour surveiller les nuisances sonores des éoliennes. Par ailleurs, des propriétaires d'habitations résidentielles veulent s'équiper, à la fois pour garantir à leurs locataires que le quartier n'est pas bruyant, mais aussi pour être sûrs que ces derniers ne soient pas à l'origine de nuisances sonores", constate Stefano Crico. Et Jean-Christophe Mifsud, président et CEO d'Ellona de conclure : "Les villes veulent toutes devenir plus intelligentes et plus durables. Mais il ne peut y avoir de smart city et de smart building sans mesures pour agir."