Il donne le volant à son ami ivre et sans permis et touche 20 000 euros d'indemnités : la Cour a tranché
C’est l'histoire d’une virée entre amis qui, dix ans plus tard, se retrouve au cœur d’un important démêlé judiciaire. Le 22 novembre 2014, Monsieur X et Monsieur J se sont donnés rendez-vous au pied du château médiéval de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Ce soir-là, l'idée n’était pas de visiter l’édifice du Xe siècle, mais d’aller cinquante mètres plus loin, au Bouchonnet.
Dans ce petit bar du centre-ville, les deux hommes s'amusent, échangent les verres puis continuent leur soirée au domicile de l’un et l’autre. Chez eux, l'herbe s'ajoute aux boissons et c’est enivrés et sous substance qu'ils prennent la route, direction : le domicile de Monsieur X. C’est ici que l’histoire bascule.
Trop saoul pour conduire, Monsieur J s’installe dans sa voiture côté passager. Monsieur X n’a pas le permis de conduire, mais il a l'habitude de “dépanner des potes quand ils sont trop saouls”. Problème : ce soir-là, lui aussi est drogué et ivre - son taux d’alcoolémie sera mesuré à 1,04 gramme par litre de sang. Qu'à cela ne tienne ! Il prend le volant et met la première.

Leur petite vadrouille enivrée s'arrêtera quelques minutes plus tard. Pris de vitesse, Monsieur X perd le contrôle du véhicule au milieu d’un virage. Le choc est violent et les blessures profondes : hémorragie cérébrale, fractures de la mâchoire et du nez, perte d'une dent, rupture des voies urinaires, contusions pulmonaires et fractures lombaires. Cinq mois d'arrêt de travail suivront, et Monsieur J en sortira avec un déficit fonctionnel permanent de 5%.
Qui va devoir payer pour l'accident ? Monsieur X, le conducteur drogué ? Ou Monsieur J, passager et propriétaire du véhicule qui a laissé le volant à son ami ? C'est ici que débute un bras de fer juridique qui va durer dix ans.
Ni Allianz, assureur de Monsieur J, ni le Fonds de garantie pour les victimes ne veulent passer à la caisse. C’est que les sommes en jeu sont conséquentes : 49 460 euros de frais médicaux à rembourser à la CPAM, 3 000 euros de frais de justice, 20 000 euros de provision qui financeront en partie les indemnités totales de Monsieur J.
Le 2 octobre 2015, le tribunal correctionnel de Nantes condamne le conducteur pour blessures involontaires, conduite sans permis et défaut de maîtrise. Puis, lors d'un second jugement sur les intérêts civils, les juges valident la position d’Allianz. Monsieur J ayant laissé le volant à son ami ivre et sans permis, il est trop impliqué dans la création du risque, ne peut prétendre à l'indemnisation.
En 2023, la Cour d'appel de Rennes confirme cette décision. Un nouvel acteur entre alors en jeu : le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, organisme public qui indemnise les victimes lorsque le responsable n’est plus assuré. C'est lui qui devra payer la totalité des indemnités.
Mais le 19 novembre 2024, la Cour de cassation renverse la table. Elle casse l'arrêt de la Cour d’appel de Rennes et tranche : Allianz doit payer. Les juges s'appuient sur une directive européenne de 2009 qui protège les victimes d'accidents de la circulation. Selon ce texte, confier le volant à une personne sans permis ne suffit pas à priver Monsieur J de son droit à réparation. En tant que passager, il reste un tiers lésé. L'assurance Allianz devra donc l’indemniser intégralement.
Une décision inédite selon plusieurs spécialistes, mais Nicolas Ferté, avocat en droit automobile, reste prudent : “Certes, la Cour de cassation a rendu cet arrêt, mais cela ne signifie pas que sa position ne puisse plus évoluer.” Nicolas Ferté souligne que la jurisprudence n’est jamais figée : “Elle est faite pour être discutée, remise en cause et faire l’objet d’interprétations nouvelles. Si l’on considérait qu’un arrêt ne peut plus être questionné, le rôle des avocats et les procès perdraient tout leur sens.”