La nouvelle réalité du monde commercial face au digital

Dans les cinq prochaines années, les clients passeront plus de temps à analyser les produits et services de leurs fournisseurs sur internet que ceux-ci ne passeront à comprendre leur comportement d’achat. Conséquence : 90% du processus d’achat se fera en ligne.

Avec l’accélération de la transformation digitale, le monde commercial et marketing subit une extraordinaire mutation. Quelle est l’ampleur de ce changement et comment les entreprises peuvent-elles s’y préparer ? En se fondant sur son expérience de conseil aux directions générales, Bain & Company a identifié et analysé quatre changements structurels des métiers commerciaux et marketing. Ils affectent toutes les organisations à des rythmes divers.

Premièrement, le client a pris le pouvoir dans la relation commerciale. L’équilibre du pouvoir s’est déplacé du vendeur vers l’acheteur. Selon une enquête menée auprès d’acheteurs B2B en 2010, 60% se renseignaient sur internet en vue d’un achat, aujourd’hui ils sont 90%. L’information disponible est multiforme et de qualité variable. Le client le sait et privilégie une approche dite de « découverte personnelle » ou self discovery. Il va comparer et se forger son opinion en surfant sur de nombreux sites. L’acheteur s’éduque ainsi en amont de son interaction avec le vendeur et finit souvent par mieux connaître l’offre et le marché que le vendeur lui-même.

Deuxièmement, le vendeur est confronté à un véritable mur de complexité. Le processus de vente est passé d’un modèle transactionnel simple à un modèle multi-interlocuteurs. Plusieurs facteurs expliquent cette complexification très déstabilisante pour les commerciaux : l’élargissement des gammes de produits et services, l’arrivée de vendeurs spécialistes qui doivent se coordonner avec des responsables de comptes, l’émergence de nouveaux processus d’achat dans les entreprises (collaboration inter fonctionnelle, apparition de comités d’achat, professionnalisation des départements d’achat - souvent sous l’influence des consultants). Prenons l’exemple d’un vendeur chargé de proposer des prothèses médicales. Il doit entrer en contact avec des médecins très difficilement joignables, dont plus de 50% travaillent pour des institutions dotées de départements achat sophistiqués (hôpitaux, chaines de cliniques…). Ces médecins ne sont qu’un maillon dans un processus de décision qui comprend également des financeurs comme la sécurité sociale ou les mutuelles et des organismes de tutelle. Au vendeur de comprendre la place et le rôle de chacun pour mener la transaction à son terme !

Troisièmement, le numérique accroît la pression des résultats qui pèse sur les vendeurs. En réponse à des entreprises toujours plus soucieuses de maîtriser la rentabilité de leurs investissements commerciaux et marketing, les solutions digitales permettent de mesurer et suivre très finement la performance des forces de vente. Lorsqu’une entreprise équipe par exemple ses vendeurs de tablettes numériques dotées d’outils de pricing ou de localisation de stock, elle investit dans leur productivité et attend en retour un surcroît de performance.

Quatrièmement, le monde de la vente est désormais saturé de données qu’il convient d’organiser et de maîtriser. Avec plus de données sur l’offre, le client doit pouvoir faire un meilleur choix. Avec plus de données sur la stratégie et la performance de son client, le vendeur doit pouvoir mieux identifier ses besoins. Enfin, avec plus de données sur les vendeurs, la direction financière doit pouvoir mieux mesurer le retour sur les investissements commerciaux et le coût d’acquisition d’un nouveau client. Mais ce n’est pas toujours le cas et la mise en œuvre du Big Data dans la sphère commerciale représente un important défi.

Bain a lancé une étude pour comprendre comment les entreprises pouvaient anticiper ces mutations et en tirer le meilleur parti. Le constat de départ est que les entreprises y sont peu préparées. Une enquête menée fin 2013 par Bain auprès de 550 cadres commerciaux et marketing dans le B2B révèle que 60% des entreprises n’alignent pas leurs offres avec leurs segments cibles. Dans seulement 40% d’entre elles, les vendeurs savent comment leur offre se différencie de celle des concurrents. Un petit pourcentage, 35%, assurent une bonne coordination entre le marketing et les ventes. Quelques 30% pensent que la majorité de leurs vendeurs n’ont pas les compétences requises pour effectuer correctement leur mission. Alors que 75% ont fait des investissements en technologie, seules 30% en ont retiré des gains dans leur efficacité commerciale.

Face à ces constats, que faire pour prendre un peu d’avance ? Nous avons identifié six leviers mis en œuvre par les organisations commerciales les plus performantes :

Se focaliser – L’entreprise gagne-t-elle de la part de marché sur ses segments clients clés avec ses offres clés ? Si la réponse est négative, c’est que son modèle commercial ne permet pas d’apporter les bonnes offres au bon client au bon moment, une lacune fondamentale qui frappe deux entreprises sur trois. Un fournisseur de solutions de visibilité sur internet pour les entreprises, est parvenu à maîtriser ce processus. Son système lui permet de préciser, pour une entreprise d’une taille donnée, dans une profession donnée, dans une ville de taille donnée, quelle est sa consommation media totale et sous quelle forme, ce qui lui est vendu aujourd’hui et ce qui pourrait lui être proposé demain.

Connaître la valeur et les valeurs des clients - Les commerciaux savent-ils quelles opportunités poursuivre et sur lesquelles ne pas perdre leur temps ? Connaissent-ils les besoins et le comportement d’achat de chaque client ? Permettre à un commercial de cibler les clients à plus forte valeur et de mieux prendre en compte leur comportement d’achat et leurs besoins c’est lui donner les clés de la réussite. Une grande entreprise de chimie de spécialité a su relever ce défi. Ses clients expriment des attentes très hétérogènes : certains souhaitent un support à leur R&D, certains ont des attentes très sophistiquées en matière de logistique, d’autres n’attendent qu’un service de base au meilleur prix. Pour mieux traiter cette hétérogénéité, ce chimiste a créé sur son intranet « une carte d’identité client ». On y trouve une catégorisation précise des attentes de chaque client (exigences de qualité, processus d’achats, besoins de logistique, besoin de support R&D) et des informations sur ses achats passés et sa loyauté.

Repenser radicalement le mix de canaux - Est-ce que le mix de canaux directs et indirects de votre entreprise est adapté aux opportunités de marché et aux préférences des clients ? L’appétit des clients pour la self discovery, assisté par des technologies de plus en plus puissantes change la donne. Le client agit en ligne et par conséquent le vendeur doit le rencontrer sur internet. Un grand groupe de médias sur internet est ainsi passé d’un modèle monolithique avec une large force de vente terrain à un modèle pluri-canal, comprenant également une télévente et un business center sur internet pour toute une série de besoins clients élémentaires: self-service, renouvellement, réabonnement, etc…

Aligner plus étroitement le marketing et la vente via le « smarketing » - Est-ce que votre marketing et vos ventes sont alignés en termes d’objectifs et de priorités d’action ? Le passage vers un processus d’achat en ligne conduit à éliminer les frontières entre le marketing et la vente. La coopération constante des ventes et du marketing devient essentielle lorsque le processus de vente bascule en ligne. Les Américains parlent de « smarketing » (sales + marketing). Dans certaines entreprises, l’imbrication est tellement forte, que les commerciaux s’occupent des ventes du trimestre en cours tandis que le marketing s’occupe des ventes du trimestre à venir.

Accroître les compétences – Observez-vous une forte disparité de la productivité commerciale dans votre entreprise sans en maîtriser les causes ? La valeur ajoutée du métier de vendeur est en train de se déplacer. Autrefois, il s’agissait surtout de présenter des fonctionnalités et un prix. Aujourd’hui, nous évoluons vers un modèle de spécialistes où le vendeur doit se positionner comme expert, soit dans l’utilisation du produit, soit dans l’apport de solutions spécifiques à un secteur. Beaucoup de vendeurs ne sont pas préparés à ce changement et l’enjeu de formation est crucial pour faire émerger une génération de spécialistes capables d’intégrer de nouveaux outils dans leur manière de travailler.

S’outiller et utiliser les données pour libérer le potentiel commercial - Jusqu’à récemment, les outils informatiques soulageaient surtout les vendeurs dans leurs tâches à faible valeur ajoutée telles que l’administration, la configuration, etc. Aujourd’hui, il s’agit de les équiper d’outils capables de les guider vers les meilleures opportunités et de les aider à transformer ces opportunités en ventes (ciblage, organisation des tournées, argumentaires personnalisés, routines d’optimisation des prix).

Les entreprises qui réussissent l’évolution de leur force de vente dans le monde digital privilégient des solutions techniques simples et évolutives. Elles choisissent des outils logiciels faciles à mettre en œuvre, demandant peu de personnalisation, et aisément reconfigurables afin de coller aux changements fréquents de leur environnement de marché.