Même pas peur d’implanter ma boite ailleurs !

Les Français se montrent particulièrement frileux vis-à-vis de l'export. Pourtant, contrairement aux idées reçues, les entreprises disposent de nombreux atouts pour passer à l'offensive à l'international.

"Au festival de la tiédeur, les nominés sont..."
Si l'on lançait un  "Concours International de la mollesse à l'export", à coup sûr la France serait nominée dans les catégories "Frilosité d'aller voir ailleurs" et  "Meilleures jérémiades" et remporterait les "Bouillottes d'Or" correspondantes. Ainsi, tels les habitants de la caverne platonicienne, les Français s'auto-dissuadent de sortir de la rassurante cavité. Excellant dans l'art de l'auto-inhibition, ils s'entravent les uns les autres afin de tuer dans l'oeuf toute prise de risque pour conquérir de nouveaux marchés. Un pas à l'extérieur de la grotte, et le soleil vous brûlerait.
Cette image semble tout à fait significatrice : comme les prisonniers de la caverne, ainsi s'expriment nombre d'experts de entrepreneuriat ; les oracles du business qui ont fait profession d'oraison "en prévention", figés ad vitam dans de dogmatiques angoisses devant l'inconnu. A coups d'assertions  du type "surtout pas la Chine, vous serez copiés avant même d'arriver à votre hôtel !", ou "Dubaï, c'est fini. Le marché est saturé. Vous y pensez 15 ans trop tard", ou encore, "Les taxes et contrôles douaniers saigneront à blanc votre business, n'y songez même pas... ", les consciences sont maintenues dans ce bain-marie sécurisant.

Proposons une réponse rationnelle et argumentée à chacun de ces a priori inhibiteurs et nocifs pour notre économie :
La perception tronquée d'un marché français trop petit : La France est la 5e puissance économique mondiale et représente donc un excellent marché test.
L'absence de capitaux à disposition : De nombreux fonds se sont développés allant du "Love money" ou fonds de proximité, aux fonds sans fonds des caisses de retraite américaines (ex : Blackstone, APAX, ...) mais aussi des fonds de premiers tours, de seconds tours, des fonds de restructuration, des fonds d'entrepreneurs, des fonds d'industriels et même des fonds de fonds ou des fonds de pays souverains et même un fond patriotique, le FSI ,  fond de la caisse des dépôts. 
La complexité de la législation, un frein puissant : Non, on peut créer son entreprise en un jour, en contactant la CCI, ou une chambre d'experts comptables...
Le système d'imposition est défavorable : Certes, pour employer une litote, on ne peut pas dire qu'il soit très avantageux. Ceci étant dit, il existe des aménagements qui permettent de l'alléger comme, le  CIR (Crédit Impôt Recherche), des subventions directes à l'emploi, des exonérations, etc.
La langue n'est pas exportable : 200 millions de francophones, la huitième langue parlée (par nombre de locuteurs) devant l'Allemagne (onzième place), champione du monde à l'export...  avec une langue nettement moins pratiquée (80 millions). Tandis que le déficit commercial de la France pèse 51,442 M€ en 2010, de l'autre côté du Rhin les exportations ont augmenté de 18,5% en 2010, avec excédent de 154,3 M, selon l'Office fédéral Destatis !
Il n'y a pas d'aide à l'export : Faux ! De nombreux organismes favorisent précisément l'éclosion de champions français. Citons d'emblée la COFACE, le Crédit Développement, l'Alliance française, les délégations commerciales des ambassades.
Allons plus loin que la seule réponse aux objections des tièdes et des frileux et mettons en évidence le réel potentiel d'un "modèle français". Avec ces simples éléments objectifs, prenons conscience que notre jeu est excellent, envié par nos voisins, et que de ne pas miser serait une erreur de débutant : 
- La France détient le taux de natalité le plus élevé d'Europe
- Un niveau de formation qui est l'un des meilleurs du monde (HEC/ESSEC/ ESCP, Polytechnique, Centrale, Sciences Po, ENA, Normale Sup, Khâgne, Hypokhâgne, ...).  Un système de Bourses performant et forme chaque année des élites prêtes à offrir leurs têtes bien faites et leur énergie !
- Des infrastructures autoroutières excellentes, de nombreux aéroports internationaux dans toutes les grandes villes.
- On trouve sur le marché du travail des salariés parlant la plupart des langues étrangères.
- Un accueil des étudiants et élites du monde entier, attirés par les formations d'excellence et de prestige.
- Le meilleur réseau ferré au monde avec le TGV.
- Un très bon système de santé a aussi pour conséquence d'avoir des salariés en bonne santé.
On ne se rend plus compte du potentiel de notre jeu à force d'avoir les yeux fixés sur lui : rappelons l'évidence trop souvent oubliée, au risque d'enfoncer des portes ouvertes : Paris est au coeur de l'Europe, plaque tournante naturelle, avec une ouverture aisée sur la Méditerranée, par voies ferrées, aériennes, et routières. Paris est à 2h de Londres, 1h30 de Berlin, et dispose d'une jeunesse bien formée et polyglotte !

Trouver les causes réelles de la timidité française

Le frein au développement de l'export, n'est pas simplement dû à un état d'esprit ambiant timide et frileux : la France recense plus de 30 000 entreprises implantées à l'étranger.
- Il faut saluer l'immense succès du processus "auto-entrepreneurs" (et une année 2010 record, avec 360 000 créations). Et, bien que ce chiffre chute en 2011, un sondage Opinionway indique que 1 personnes sur 3 souhaiterait adopter ce statut*. Néanmoins, il reste à déplorer l'absence d'encouragements concrets de l'initiative quand elle est créatrice à l'export, car le problème est réel : déficit de 7 144 milliards en avril, record battu... Il revient dont à l'Etat de stimuler et d'accompagner les ambitions à l'export, et surtout de créer les conditions équitables pour l'ensemble des acteurs en commençant par notre propre marché hexagonal où s'il convenait clairement de mettre fin à la taxe Google, il ne faut pour autant abandonner l'idée de taxer ledit Google...
- Une lutte à armes égales sur le champ de bataille global ! On constate donc deux poids deux mesures, sans surprise, avantageuse pour les holdings internationales, telles que Google qui  ne paie que 2,4% de taxes hors US... Bloomberg a révélé l'optimisation fiscale de la firme : une structure basée aux Bermudes, permet à Google France de déclarer un CA de 51 M et un résultat net de 2M€ en 2009. De même, pour échapper à la lourde imposition (35%) du Trésor américain, la multinationale a choisi les Bahamas comme base arrière. Amazon.fr a  choisi l'implantation au Luxembourg, "plus accueillant", avec une TVA. de 15% permettant pour un CA de 930 millions en France de n'en déclarer que 21,7 en 2010 ! Ce qui signifie une perte nette de recettes de  100 millions d'euros pour l'Etat français en TVA. et une compétition tronquée pour les autres acteurs. 
 
"Qui veut la fin veut les moyens",
 Machiavel

Au même titre qu'on tente de lutter contre les paradis fiscaux, il est urgent de trouver une entente avec nos compétiteurs et rendre équitable le jeu avec les pays artificiellement séduisants au prix d'une fiscalité incohérente sans pérennité sur le long terme. 

Pour conclure, quelques conseils à tous les candidats à l'international : 
Ne pas s'adonner au mouvement de sinistrose panurgique, faire fi des propos alarmistes des déclinologues et se concentrer sur ses propres qualités sans survalorisation des forces des autres.
- Évidemment, le préalable est d'avoir assuré une position forte, pérenne et sereine sur son marché d'origine. D'une manière générale, on ne règle pas des problèmes on en gère sans cesse de nouveaux. Il faut  donc être prudent, c'est à dire en avoir les moyens : provisionner des fonds, ne pas mettre toutes ses billes dans le même sac, etc.

- Trop de prudence tue la prudence : Si l'on attend d'avoir réuni tous les éléments on ne se jette jamais à l'eau. Une fois maîtrisé son modèle, se lancer, franchir le pas ! Eviter le "Syndrome Joseph Grand"  de Camus dans la Peste : employé de mairie tentant la rédaction d'un roman dont il essaie indéfiniment de réécrire en vain la première phrase pour la rendre parfaite. Ne pas laisser reposer son entière confiance au manager providentiel ou à l'équipe en place. Surtout,  continuer de croire en ce qui a fait ses forces, son modèle, ses règles et surtout une chose unique que personne n'aura jamais à la place du porteur du projet : la détermination !
- La persévérance est selon moi la clé fondamentale,  souvent, seule cette dernière entrainera l'adhésion.

En guise de conclusion, cette pensée de Nietzsche, que tout entrepreneur devrait faire sienne : "Je vis du seul crédit que je m'accorde". 


* Sondage réalisé pour l'Observatoire des auto-entrepreneurs en avril 2011 auprès de 2035 français.