Digitalisation du travail : n'oublions pas l'enjeu humain !

La transformation digitale est essentielle pour toutes les entreprises. Mais avant de changer les outils et les modes de travail, il est primordial de passer par l'humain. Voici quelques conseils pratiques.

Les nouveaux processus digitaux vont-ils rendre mon job obsolète ? Né avant l’internet, suis-je encore pertinent face à la génération montante des digital natives ? Vais-je continuer à m’épanouir dans un monde d’algorithmes où l’ordinateur décidera plus vite et mieux que moi ? 
La révolution numérique amène son lot de rêves mais aussi d’inquiétudes au cœur de l’entreprise. Et ces interrogations touchent à la fois les collaborateurs de terrain et les cadres dirigeants
Nous distinguons dans cet article les blocages psychologiques des besoins objectifs d’adaptation et proposons trois conditions essentielles pour mettre la transformation digitale au service de l’humain : créer et faire vivre un sentiment d’envie et d’urgence, mobiliser la première ligne, apprendre aux collaborateurs à travailler en réseau et par projets… Trois chantiers prioritaires pour le comité exécutif, les directions des ressources humaines et de la communication.

Barrières psychologiques et besoins d’adaptation
Tout ne change pas avec le digital. Malgré leurs inquiétudes, les vétérans de l’entreprise apportent à la transformation digitale une expérience indispensable de leur organisation et de ses métiers. Sans celle-ci, les digital natives ne parviennent pas à faire bouger des structures complexes et la greffe du numérique ne prend pas. De même, la digitalisation des parcours clients exige plus que jamais une capacité de lecture fine des besoins humains, et pas seulement des compétences technologiques. 
Ceci explique pourquoi les sciences du comportement sont aussi populaires que les cours de programmation dans la Silicon Valley. Pourtant le corps social doit traverser quatre évolutions profondes pour réussir sa transformation digitale :
- Un état d’esprit plus entrepreneurial, davantage tourné vers le client individuel et le monde extérieur
- Des méthodes de travail favorisant la co-création en équipes transversales et agiles, capables d’opérer sur des cycles courts et de se recomposer dynamiquement au fil des projets
- Une palette de compétences plus large. Le digital crée une forte demande pour des expertises faiblement représentées dans l’entreprise traditionnelle : chefs de projets, spécialistes de la structuration et de l’analyse des données, experts des méthodes agiles et des nouvelles techniques de programmation… Les recrutements sont difficiles car la demande excède l’offre, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous et les recruteurs ont peu d’expérience de ce type de profil. Fidéliser ces talents est encore plus complexe, car leur motivation première est rarement la loyauté à l’institution.
- De nouvelles relations sociales bousculant l’ordre établi. Inévitablement, la transformation digitale va créer de nouveaux rois et reines : des référents et experts vont émerger sur le terrain en dehors de toutes considérations hiérarchiques et de tout processus RH. Il s’agit de mettre ces énergies au service du plus grand nombre sans les brider ou démotiver d’autres collaborateurs de valeur.

Comment mobiliser et accompagner les collaborateurs au travers de ces évolutions ?

Faire vivre le sentiment d’urgence… et d’envie 
Même si le PDG et le comité exécutif ont l’habitude de montrer la direction lors des grands changements, la tâche est plus difficile avec le digital. Les dirigeants hésitent souvent  à prendre la parole sur un sujet qui sort de leur zone de confort. Ils doivent donc d’abord investir le temps nécessaire pour s’acclimater, se familiariser et s’éduquer afin de mieux embarquer leurs collaborateurs. 
La seconde difficulté est de créer un sentiment d’urgence, face à l’incertitude sur les disruptions numériques à venir. Pourtant, les dirigeants des télécoms, de la grande distribution ou de l’hôtellerie savent tous que la tempête peut se lever soudainement et frapper très fort ! 
Une manière efficace de créer un sens d’urgence et un point de non-retour consiste à s’engager en externe sur la vision digitale de l’entreprise. Ainsi, la communication externe de la SNCF "Digital pour Tous" a été menée en janvier 2015 conjointement par le PDG et CDO (chief digital officer), pour clairement ancrer le digital comme chantier prioritaire. La communication externe a pour autre avantage de préempter le marché sur un terrain très concurrentiel. 
Dans la communication interne, il y a enfin un équilibre à trouver : 
-Inclusif: le digital n’est pas l’apanage exclusif de la génération Z
-Rassurant :le digital nous apportera des gains de productivité, mais aussi de nouvelles sources de croissance et de nouveaux métiers 
-Mobilisateur : nous allons dépoussiérer notre manière de travailler ensemble et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde 
La communication sur le digital est avant tout une occasion unique de mettre la réinvention de l’entreprise entre les mains des collaborateurs de terrain et de célébrer régulièrement leurs innovations.

Mobiliser la première ligne
C’est sur le terrain, face au client, dans les agences, les magasins, les usines et centres de service que naissent les idées digitales. Comment mobiliser ces gisements de créativité ?
L’enjeu humain de la transformation est d’abord de révéler cette énergie collective, de créer un flux continu d’idées, d’apporter au terrain les compétences dont il a besoin et de donner suffisamment de visibilité et de support aux initiatives prometteuses. Plutôt que de décrire une formule magique, nous proposons ici quelques pratiques largement répandues dans les groupes qui progressent rapidement dans leur transformation numérique :
- Ne pas cantonner les champions du digital au siège dans des équipes centrales mais les disséminer dans les structures opérationnelles au plus près du terrain
- Former les managers de première ligne, maillons essentiels de l’organisation, à  encourager l’expression d’idées innovantes
- Exposer le plus grand nombre de collaborateurs aux nouvelles méthodes de design agile et de prototypage rapide
- Inciter le personnel à explorer l’écosystème digital au-delà des frontières de l’entreprise. Une grande chaîne de distribution habitue ainsi ses cadres à rencontrer régulièrement des start-ups afin de mieux évaluer et intégrer des innovations venant de l’extérieur
- Créer un cycle continu d’événements locaux permettant la confrontation des projets en cours, la promotion et diffusion des meilleures innovations et la co-création. Un grand groupe hôtelier rassemble ainsi chaque trimestre les managers de 3 000 établissements sur 70 sites pour des "digital days". Un leader mondial des systèmes de défense organise chaque année cinq événements au cours desquels les collaborateurs présentent plus de 200 prototypes et sélectionnent les quarante qui recevront l’assistante technique et financière du groupe.

Promouvoir le travail en réseau 
Si vous interrogez un collaborateur de Facebook ou de Google, il vous parlera plus volontiers du projet sur lequel il travaille que de la division à laquelle il appartient et vous expliquera comment ses priorités vont évoluer dans les six prochains mois. Cette attitude est caractéristique de l’ère numérique. L’un des plus grands défis culturels des organisations face au digital est de préparer leurs collaborateurs à franchir les barrières organisationnelles et à travailler plus souplement au sein d’équipes inter-fonctionnelles. Il y a en effet peu d’espoir de voir émerger des processus innovants si les équipes ne parviennent pas à construire des ponts entre la vente et le marketing, entre la production et les achats entre les opérationnels et l’informatique. L’enjeu d’ouverture concerne aussi les barrières hiérarchiques et même les frontières de l’organisation car beaucoup d’innovations digitales modifient les rapports entre l’entreprise et son environnement et exigent l’adjonction de compétences extérieures. C’est tout un état d’esprit à réinventer chez des collaborateurs conditionnés à défendre leur division, à opérer en circuit fermé et à contrôler plutôt qu’à partager l’information. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’un leader mondial des gaz industriels ait choisi le thème "networked organization" comme axe fédérateur de son nouveau plan stratégique largement tourné vers l’innovation.

On ne saurait surestimer l’importance essentielle des ressources humaines pour relever les défis décrits ci-dessus. Les RH apportent la légitimité et la compétence nécessaire pour identifier les populations les plus impactées par la transformation, former les managers de première ligne, gérer le pipeline des talents digitaux et recruter de vraies compétences digitales aux bons endroits de l’organisation. Elles sont idéalement placées pour mettre entre les mains de tous les collaborateurs des outils digitaux simples et utiles : applications d’information, bulletins de paie digitaux, réseau social interne… Encore faut-il que les RH trouvent leur place dans l’écosystème digital ! C’est sur cette notion d’écosystème et son importance pour l’entreprise que nous clôturerons ce journal du front de la transformation digitale dans notre quatrième et dernier article.

Ecrit en collaboration avec Virginie Flam