Innovation : les salariés ont la solution !

L’exigence d’innovation est tous les jours plus forte. Pourtant, les entreprises n’arrivent pas à évoluer et continuent de multiplier les jobs à la con. Et si la "déviance positive" était la solution ?

Tout s’accélère. On n’a plus le temps de rien. Alors que nous sommes nombreux à profiter de la trêve estivale, est-ce que nous arrivons pour autant à nous déconnecter du travail ? Les nouvelles technologies devaient nous permettre de mieux maîtriser le temps, mais dans la réalité, c’est plutôt le contraire qui se produit.  

La nouvelle constante, c’est l’accélération. Hartmut Rosa dans son livre Aliénation et Accélération parle de stabilisation dynamique. Un peu à l’image du requin qui doit continuer à nager pour respirer, notre système doit continuer à accélérer et donc à innover pour se maintenir. 

L’innovation, une obligation pour rester dans la course

Car c’est bien l’innovation qui permet aux entreprises de maintenir leur compétitivité. Introduction de nouveaux produits, amélioration de l’expérience client, digitalisation, tout doit être revu et à un rythme de plus en plus rapide. On forme au design thinking, la direction de l’innovation multiplie les hackathons et les learning expeditions, après avoir communiqué sur l’accélérateur de startup, la direction met en avant l’incubateur interne, bref, tout le monde doit être mobilisé.

C’est le cas, par exemple, à la Société Générale qui affirme avoir lancé le plus grand programme d’intrapreneuriat du S&P 500. La banque a ainsi collecté 600 idées et incubé 60 startups internes. A l’heure du bilan, la Société Générale a choisi de faire évoluer le programme pour disséminer la démarche dans les business unit et surtout d’agir sur l’agilité organisationnelle.  

Le paradoxe du changement en entreprise 

Sage décision car c’est en effet l’agilité qui pose problème. Les injonctions à l’innovation butent sur le quotidien des managers. On leur demande de respecter des objectifs et d’atteindre des ratios financiers définis au trimestre. Malgré les efforts (réels) des entreprises pour s’adapter, elles demeurent donc structurellement gérées selon les principes de l’organisation scientifique du travail hérités de Taylor.  

Prises dans cette contradiction, les entreprises, qui voient bien l’urgence du changement, multiplient les nouvelles normes, règlementations, organisations, indicateurs qui ne font qu’aggraver le problème. Le résultat de cette bureaucratisation, c’est une inflation des jobs à la con dénoncée par l’anthropologue et activiste américain David Graeber (Bullshit Jobs). On rappelle que les bullshit job, ce sont des jobs tellement inutiles (voire nuisibles) que même ceux qui les occupent le savent.  

C’est ainsi qu’on va retrouver 

• les larbins qui sont là uniquement pour que le chef paraisse important

• les porte-flingues qui savent que ce qu'ils font est mal, mais c'est leur job (comme vendre des assurances à des personnes qui n'en ont pas besoin)

• les rafistoleurs dont le job est de réparer les dégâts liés à l'organisation du travail et qui auraient pu être évités si on avait agit en amont

• les cocheurs de case qui vérifient qu'on respecte des normes sans qu'on sache trop pourquoi elles sont utiles

• les petit chefs qui encadrent des équipes de salariés pourtant autonomes 

Et le pire, c’est que cette bureaucratisation contamine tous les emplois. Une infirmière ou un médecin, par exemple, passent de plus en plus de temps à faire de l'administratif. 

Accepter l’écart à la règle pour laisser les salariés innover 

Alors pour sortir du cercle vicieux, rien ne sert d’invoquer le dernier concept à la mode. Il suffit de relire l’innovation ordinaire publié par Norbert Alter il y a près de vingt ans. Il y introduit la déviance positive, cette manière dont les acteurs vont s’approprier une invention en dérogeant aux règles et normes établies. Cette déviance est dite positive car elle vise in fine à améliorer la manière dont l’entreprise va s’adapter au concret de la situation. Alors qu’on cherche désespérément du sens dans le travail, c’est précisément cette adaptation qui donnera du sens à l’invention. 

La déviance positive, c’est le quotidien des corporate hackers. Regroupés en association (https://www.hacktivateurs.co) ou en collectif (http://corporatehackers.org), ces salariés militent pour un renouveau du travail. Les programmes d’intrapreneuriat des entreprises sont finalement une reconnaissance de ces nouvelles manières de travailler. 

Mais attention, pour les déviants positifs, il n’y a aucune assurance que leur choix de transgression sera jugé positivement. Il est en effet facile pour le management de sanctionner systématiquement la déviance en s’appuyant sur les nombres normes existantes. C’est d’ailleurs un frein majeur au développement de l’intrapreneuriat. 

Aujourd’hui plus qu’hier, tolérer voire promouvoir les cas de déviances positives est un acte fort de management qui rend possible l’innovation.