De la crise de confiance à la confiance de crise

La crise de la Covid-19 a été une goutte d'eau. Une énorme goutte d'eau, mais juste une goutte d'eau. Celle qui a fait déborder un verre déjà trop plein.

Avant le 17 Mars 2020, personne n'aurait pu imaginer se voir interdit de circulation en France, se voir interdit de sortir de chez soi, se voir demandé une attestation de déplacement. Qui aurait pu penser, que plus d'un million d'entreprises auraient demandé (et obtenu) la mise en chômage partiel de 12,5 millions de salariés ?

Ce n'est pas l'ampleur de cette crise sanitaire qui est extraordinaire : le nombre de morts est certes terrible, mais moins élevé que celui d'autres pathologies auxquelles nous sommes plus habitués. Ce ne sont pas non plus les mesures sanitaires ou de distanciation qui sont extraordinaires, elles sont logiques et nécessaires. Ce qui est hors du commun, et hors de contrôle à ce jour, c'est la crise de confiance qui a découlé de cette pandémie et qui impacte, aujourd'hui et pour longtemps, les organisations et celles et ceux qui les animent.

Une crise de confiance dans les experts et les sachants : "Ce n'est pas grave, une simple grippe", "C'est une catastrophe sanitaire qui s'annonce". Tous savaient mieux que les autres, et nous avons eu tout et son contraire dans la même journée. Qui croire aujourd'hui ?

Une crise de confiance dans nos gouvernants : "ils savaient et ils n'ont rien dit", "Ils ne savaient pas mais ils ont fait croire qu'ils savaient". Que d'interprétations sur les valses hésitations des uns des autres, notamment sur les masques, sur les conférences de presse quotidiennes critiquées mais regardées par tous. Il fallait communiquer, mais personne n'a pensé que "je ne sais pas" est aussi une bonne réponse, acceptable en situation de crise. Aujourd'hui, la moindre affirmation d'un membre du gouvernement est raillée, décriée ou mise en pièce sous prétexte d'une défiance automatique ou d'une joute politique.

Une crise de confiance dans la hiérarchie des entreprises : "On a réagi trop tôt", "On a décidé trop tard", "On aurait dû …". Les décisions des patrons, petits ou grands, ont été jugées et critiquées avant même qu'on en ait vu les effets. Elles ont été parfois le prétexte à des joutes syndicales décalées et inutiles, surtout en pleine crise. On attend pour 2021 entre 50 000 et 100 000 défaillances d'entreprises. Avec autant de licenciements et de plans sociaux, comment reconstruire le lien qui se brisera entre le licencieur et le licencié quand la crise économique s'apaisera, et qu'il faudra réembaucher ?

Une crise de confiance des collaborateurs dans leur mission : "Pourquoi risquer d'être contaminé pour aller travailler ?  ". Qu'ils soient dans le commerce, le service, dans l'industrie, combien de collaborateurs se sont posé cette question, en  comparant leur mission  à celle des infirmières et des médecins, bravant le virus pour faire le job ? Pourtant, quel que soit son métier, chacun a sa place dans la chaîne économique, et il n'y a pas de petite mission. A condition d'y croire. 

Une crise de confiance dans l'équipe : "Vous étiez tranquilles en télétravail quand moi je venais bosser tous les jours". Déjà, on entend ceux qui sont allé au charbon railler ceux qui sont resté chez eux. Les forts et les faibles. Les utiles et les parasites. On se met à penser qu'on a plus besoin des caissières que de leur chef, plus besoin des éboueurs que des banquiers.

Une crise de confiance en soi enfin : "Je peux mourir en allant travailler, ou ramener le virus dans mon foyer, infecter mes enfants, mes parents", ou "On peut me virer du jour au lendemain ". La perte du sentiment d'invulnérabilité, qu'elle soit personnelle et professionnelle, a été majeure. Elle sera durable. Elle impactera la capacité d'audace et d'agilité de ceux qui la subiront, et par ricochet celles des organisations pour lesquelles ils travaillent ou qu'ils dirigent. 

Alors, comment recréer cette confiance, ces confiances, comment rebâtir les liens et redonner l'envie et l'audace de faire et de faire face ? Il faudra désormais faire travailler chacun sur son Quotient Personnel d'Insécurité, pour accepter l'incertitude de notre monde complexe et la nécessaire agilité qui en découle. Rien de naturel : nous préférons ce qui est prévisible, programmable, anticipable. Nous n'aimons pas avoir peur. Mais on n'évite pas la peur, on l'utilise pour en faire une force. Nous avons tous peur d'une seconde vague, d'un autre virus, d'une nouvelle crise. C'est bien ! La peur permet de s'adapter au danger et de prendre des décisions en toute connaissance des enjeux. A conditions qu'elle ne se dégrade pas en angoisse. Alors, parlons de notre peur pour l'apprivoiser, permettons à nos équipes de la verbaliser pour l'accepter et la rendre légitime. Il va aussi nous falloir accepter de naviguer à vue, de juger à l'intuition, de décider sans avoir toutes les informations ni avoir le temps d'envisager toutes les hypothèses. Et donc de prendre des risques, pour se réinventer, pour créer de nouvelles façons de travailler, de communiquer, de vendre, de consommer. 

Les entreprises devront également développer leur Quotient Collectif d'Insécurité : changer de forme et de structure non plus sur le long terme mais à chacune des différentes phases de l'action : lancer un projet innovant, mobilliser les équipes, décider sans certitude, agir dans la complexité et le mouvement imprévisible de l'environnement. Ce polymorphisme sera indispensable pour relancer l'économie, les échanges, l'innovation. Il sera indispensable pour recréer la confiance, les confiances, en interne et en externe. La confiance de chaque collaborateur dans sa capacité à évoluer dans un environnement incertain, avec des informations parfois contradictoires. La confiance des clients pour consommer différemment, mieux. La confiance des entrepreneurs dans leur faculté à sortir du cadre, pour prendre des risques et garder un temps d'avance. Et surtout la confiance dans le collectif, dans l'équipe , pour que tout le monde trouve sa place et que chacun se mette au service des autres : sans cela, il n'y aura pas de monde nouveau, juste un monde ancien, dépassé par sa crise de confiance. A nous désormais de créer cette confiance de crise.