Marché du conseil, rien ne va plus !

Hier, relativement identifiables et quantifiables, les marchés sont devenus de nouveaux espaces en perpétuelle reconfiguration. Une nouvelle loi les concernant est à écrire : la loi de l'invité surprise.

Les marchés bougent tellement vite et fort, que les méthodes et les recettes qui étaient le fonds de commerce des cabinets de conseil en stratégie notamment, deviennent obsolètes face aux mutations du monde.

La loi de trois et quatre

Surtout connu des étudiants et des professionnels du conseil et de la stratégie pour sa célèbre matrice, dite du BCG, le Boston Consulting Group passe pour l'inventeur du métier de conseil en stratégie. En 1976, le Boston Consulting Group énonce une loi simple, visant à caractériser tout marché arrivé à maturité : la loi de trois et quatre. Elle stipule que :

Un marché concurrentiel stable n'a jamais plus de trois concurrents significatifs et le plus gros d'entre eux n'a jamais une part de marché plus de quatre fois supérieure à celle du plus petit d'entre eux. Cette loi se vérifie encore aujourd'hui pour bien des marchés.

Trois, quatre, cinq... et puis s'en vont

Mais la loi du BCG semble destinée à vaciller. Les marché n'étant plus ce qu'ils sont. Hier des zones relativement faciles à délimiter, mesurer et observer, ils sont devenus des espaces soumis à de multiples variations, qui trouvent leur origine dans la concordance d'au moins cinq phénomènes :

  1. La globalisation - La possibilité offerte désormais aux entreprises d'accéder à des capitaux mondiaux facilite entre autre leur développement international, dans un monde où les cerveaux sont de plus en plus mobiles géographiquement. Hier très discernables, au moins géographiquement, les marchés sont devenus poreux et entretiennent des relations croisées avec d'autres zones géographiques.

2. La disruption - L'accélération du rythme d'apparition des technologies dites de rupture rend possible la transformation radicale, voire la disparition de marché entier. L'exemple de la photo devenue numérique, reste le cas d'école le plus souvent cité. La relative stabilité du marché, pourtant arrivé à maturité, dont a besoin la loi des trois et quatre pour être effective, chavire.

3. L'uberisation - La nouvelle pratique consistant, pour le nouvel entrant sur un marché réglementé, à faire fi de la loi et à y pénétrer avec de nouvelles méthodes rendues possibles par le digital, chamboule tout. AirBnB n'est propriétaire d'aucun hôtel mais concurrence le groupe Accord, tout comme Uber, qui n'a pas un seul taxi, concurrence Taxis G7...

4. Le renouveau stratégique - L'innovation ne porte plus uniquement sur les produits, mais s'est peu à peu immiscée dans les processus, puis les organisations, pour atterrir dans la stratégie elle-même. En l’espace d’une quinzaine d’années, cinq familles de stratégies d’innovation des plus diverses, ont émergé : l’investigation (IBM), la focalisation (Apple), l’open innovation (Procter & Gamble), l’expérimentation (Google), la polarisation (DropBox). Les marchés s'en trouvent reconfigurés.

5. La domination des GAFA - Avec une capitalisation boursière équivalente au PIB de la France, quatre géants du numérique ont acquis des positions dominantes et une richesse leur permettant à tout moment de rentrer sur un marché, simplement en rachetant une entreprise, afin que celle-ci bénéficie de capitaux mais aussi de synergies industrielles propres à bouleverser le marché investi

Bienvenue à la loi de l'invité surprise

Plus fondamentalement, ce sont les règles qui régentaient la concurrence et les marchés qui volent en éclat. Dans l'ordre :

L'explosion démographique, qui donne naissance à de nouveaux géants comme WeChat ; l'urbanisation galopante de certaines zones, qui rend possible l'émergence de nouveaux mastodontes comme Alibaba ; l'hyper-connection, qui rend possible le développement fulgurant de pays émergents (La Corée) ou d'une nouvelle génération d'entreprises (Twitter, Instagram...) ; la redistribution du pouvoir à l'intérieur des marché, du fait de la capacité de certains à exploiter les nouvelles technologies ; l'accélération de la disruption des disrupteurs historiques comme eBay par de nouveaux disrupteurs ; l'uberisation d'Uber lui-même par de nouveaux uberisateurs ; l'affirmation de la puissance de géants du numérique face aux états régulateurs.

Une nouveauté se dégage également : l'arrivée d'un invité inattendu, encore inconnu sur un marché, qui s'assied à sa table, sans y avoir été invité. Il s'appelle tantôt Uber sur le marché du transport, AirBnB sur le marché de l'hébergement, Tesla sur le marché de l'automobile, Skype sur le marché de la téléphonie, PayPal sur le marché du paiement, AWS (Amazon Web Services) sur le marché de l'informatique, etc.

Rares sont les marchés qui ne risquent pas de voir un jour leur relative stabilité dérangée par l'arrivée de l'invité surprise. Cinq types de marchés pouvant être préservés de cette intrusion sont imaginables aujourd'hui.

Les micro-marchés - Trop petits, trop peu rentables et non promis à une croissance, certains petits marchés ne verront pas l'invité surprise débarquer à l'improviste et s’asseoir à leurs tables.

Les marchés locaux - Parfaitement ancrés dans le tissu local (les lainières italiennes; les éleveurs...), dans une réalité physique et géographique (l'extraction minière), certains marchés seront préservés.

Mes marché culturels - Parce que liés à la culture, certains marchés seront protégés. Quel francophone accepterait un service de conseil délivré dans une langue étrangère, quel éditeur de livre pourrait facilement venir marcher sur les plates-bandes d'une maison d'édition locale, quand bien même tous les changements mentionnés ci-dessus continuaient à se produire, quelle intelligence artificielle saura comprendre les subtilités entre le droit français, le droit mosellan et le droit helvétique ?

Les marchés complexes - Parce que sophistiqués, réglementés ou liés au sort des Etats eux-mêmes, comme la banque ou l'énergie, ces marchés bénéficieront peut-être d'une protection.

Les marchés résiduels - Parce qu'ils se seront fait oublier dans le vaste chamboulement qui se prépare, certains marchés continueront à vivre leur vie comme ceux des coiffeurs...

Les marchés ont commencé comme de nouvelles terres à conquérir. Leurs occupants les ont cultivés, puis agrandis, jusqu'à en repousser les frontières. Ils raisonnaient en deux dimensions, en regardant devant eux, derrière eux et à côté d'eux. Puis, les marchés sont devenu des espaces. Il a fallut apprendre à les aborder en trois dimensions, en regardant ce qui venait du dessous ou du dessus (les transports souterrains auxquels pense Elon Musk, les entrepôts volants dont rêve Amazon, etc.). Sont-ils à présent en passe de devenir des trous noirs, telles ces masses sombres qui constituent l'essentiel de notre univers, nous attirent, nous fascinent et nous repoussent ?