Le secteur du luxe à l'heure du phygital

Le nombre sans précédent de fermetures de magasins dans le monde a eu un impact particulier sur l'industrie du luxe, où l'expérience émotionnelle et physique du produit reste un facteur clé. Les acteurs du luxe cherchent donc à remodeler l'expérience de vente en cherchant à combiner le meilleur des deux mondes, boutique physique et vente en ligne.

À l'instar des secteurs du commerce physique (brick and mortar), de l’hôtellerie, du tourisme ou de l’aérien, celui du luxe a également été durement touché par les fermetures des magasins durant la pandémie du Covid19. Dans cette industrie de tradition et de personnalisation, la qualité de l'expérience client est généralement aussi importante que la qualité du produit lui-même. Pour les acteurs du luxe, le défi d'être entièrement en ligne a donc été considérable.

Deux décennies après l'apparition de la première expérience de vente en ligne, les technologies actuelles semblent désormais permettre aux marques, de proposer des expériences de vente omnicanal répondant aux normes de l'industrie du luxe.

Avec l’arrivé du digital et de sa démocratisation, les marques de luxe ont réinventé l’expérience client en adaptant leur image. Aussi, porté par l’innovation et précurseur sur les nouvelles tendances, le secteur du luxe s’est fortement appuyé sur les nouvelles technologies, notamment en utilisant la réalité virtuelle (RV) ou augmentée (RA) pour amplifier l’expérience client et recréer une immersion émotionnelle totale.

Ainsi, Gucci offre une expérience virtuelle en proposant de visiter ses boutiques et d’essayer ses produits. La Maison Dior quant à elle, s’est essayée à la réalité augmentée avec son maquillage « virtual try-on ».

Aussi, le développement de nouveaux modes de communication, grâce notamment aux réseaux sociaux, a également permis de recréer une atmosphère de proximité et d'intimité avec les clients. Ces nouveaux médias ont la particularité de favoriser un dialogue continu plutôt qu'un dialogue ponctuel, et ne s'arrêtera pas tant que la demande client ne sera résolue.

Les marques tentent aussi de recréer des moments forts et uniques avec leurs clients, comme Chanel, qui a organisé un concert avec la chanteuse Angèle sur Instagram.

En complément de ces expériences virtualisées, une attention particulière a été donnée lors du processus d'achat du client avec des produits sélectionnés sur-mesure et une livraison personnalisée.

L'investissement colossal dans les plateformes e-commerce prouve également que les marques de luxe entendent continuer sur cette voie et accélérer leur transformation digitale. Ainsi, Richemont et le géant Alibaba ont investi 1,1 milliard de dollars US dans Farfetch. Maserati quant à elle propose ses véhicules sur la plateforme de e-commerce Luxury Pavilion, qui regroupe aujourd’hui plus de 220 marques de luxe (Balmain, Salvatore Ferragamo, Golden Goose, De Beers, Jaeger-LeCoultre, IWC Schaffhausen…).

Si l'on considère que le e-commerce est passé de 12% à 23% du chiffre d'affaires des grandes marques de luxe, ce sont toutes des initiatives fort rentables.

Toutefois, les marques devront encore s'interroger sur les limites de l'expérience digitale du luxe afin de garder leurs codes identitaires et rester fidèles à leurs fondations.

Aussi, pour être considéré comme innovant, faut-il utiliser l'intelligence artificielle des bots ? Doit-on être présent sur l’ensemble des canaux de communication et répondre à tous les clients sans exception pour être considéré comme « à l'écoute » ? Les marques doivent-elles toujours répondre aux attentes des clients en matière d'immédiateté, de disponibilité et de relation afin de pas être sanctionnées pour ne pas avoir pris le train de la transformation digitale au péril de leur ADN ?

N’attendons-nous pas une expérience humaine, une relation privilégiée au moment d’entrer dans une boutique pour s’offrir l’article tant convoité, a contrario d’une relation sans chaleur qu’offre les nouvelles technologies ? Où doit-on considérer la technologie comme une alliée protéiforme, un support d’aide à la vente, un nouveau continuum complémentaire au traditionnel, qui permet de s’adapter à son temps, et de rendre l’expérience client unique ?

N’est-il donc pas nécessaire d’innover et de créer tout en conservant son ADN ?

A l’ère du digital le débat est loin d’être fini. Si l'essence du luxe est puisée dans l’expérientiel et la narration, alors le phygital devient le mode approprié pour enrichir l'univers de la marque et réinventer les points de vente et proposer une myriade de possibles. Ainsi, cette combinaison permet de lier les aspects sécurisants du point de vente à une expérience digitale immersive et personnalisée (collecte de données et enrichissement du parcours client).

Mais si la transformation digitale est déjà engagée pour beaucoup de marques, le cas récent de Bottega Veneta de choisir de suspendre l’ensemble de ses comptes des réseaux sociaux sans explication préalable, n'est peut-être pas aussi anodin qu'on le pense.

Il nous invite donc à réfléchir à l'avenir d'un parcours "haute couture" et de transformer l’espace du magasin en un espace dual, où le digital investit la réalité offrant au client un moyen de faire de son vécu, une expérience nouvelle et enrichie tout en gardant quelques exclusions pour préserver la magie et le mystère de la « lux-périence » où l’expérience en boutique demeure irremplaçable.