À l'instar de la médecine au travail... Faut-il créer une médecine du chômage ?

Au cours des dernières décennies, le lien entre état de santé et absence de travail est devenu un sujet d'étude majeur - a fortiori depuis 2007 et la montée du chômage. Actuellement, on compte environ 2,4 millions de chômeurs en France selon l'INSEE, soit 8,1% de la population active. Toutes les recherches menées sur le sujet mènent à la même conclusion : le chômage déclenche une dégradation de l'état de santé, que ce soit de manière directe ou non. Il est urgent de créer une médecine du chômage

Depuis quelques années, de plus en plus d'articles et d’études démontrent le lien entre un mauvais état de santé d’une personne et le fait qu’elle soit au chômage. En effet, nous savons aujourd’hui qu’être au chômage sur le long terme nuit gravement à la santé. Cependant, tandis que le monde du travail fait quant à lui l’objet de nombreuses réformes, comme le plan santé au travail et la renégociation de l’assurance chômage, le monde sans emploi semble immobile sur ce plan là.

Cet aspect critique du chômage reste encore ignoré des politiques. C’est pourquoi de nombreuses associations lancent un signal d’alarme à ce sujet. Le 14 décembre dernier, est sortie une nouvelle étude, mettant en avant la dangerosité du chômage sur l’état psychologique et physique des personnes concernées. Quatre associations sont à l’origine de cette étude : Force Femmes, La Cravate solidaire, Solidarités nouvelles et Territoire zéro chômeurs de longue durée. Ainsi sur 977 personnes interrogées, plus de 38% expriment la dégradation de leur état de santé depuis la perte de leur emploi et près de 60% d’entre elles estiment que cela est dû au chômage.

Des problèmes concrets sur la santé du chômeur

Évidemment, le chômage atteint profondément le moral des femmes et des hommes qui le subissent. Pour beaucoup d’entre eux, cela dégrade l’image qu’ils ont d’eux mêmes et ils se sentent isolés. Psychologiquement, c’est très dur, les personnes concernées font face à des dépressions, à une anxiété et une angoisse permanentes, à cause de la longueur, de la pénibilité de la situation et de leurs obligations financières qui se resserrent sur eux mêmes. Tout cela affecte durablement la santé mentale des individus et à long terme. Cette mauvaise santé mentale peut limiter la participation au marché du travail, la recherche et l’obtention d’un emploi.

De plus, ce stress favorise l’émergence ou la continuité dans l’intensité de pratiques addictives, comme avec l’alcool ou le tabac et d’autres sortes de drogue. Cet isolement et cette rétractation affectent autant la sphère sociale, personnelle que familiale de la personne privée d’emploi. Dans les pires des scénarios, l’absence d’activité professionnelle et donc sociale sur le long terme pousse les individus à se suicider. Un rapport de l’Organisation nationale du suicide en 2019 attestait que 30 % des chômeurs songent sérieusement au suicide et que  le risque de suicide des chômeurs est supérieur à celui des actifs en poste, surtout chez les hommes entre 25 et 49 ans.

Physiquement parlant, il est possible que l’individu se dégrade aussi. Forme et santé mentales en prennent un coup. Ce qui agit directement sur le corps. Les dégâts de ces problèmes physiologiques sur le corps peuvent se traduire par une prise de poids, des problèmes cardio-vasculaires et bien d’autres maladies. Le manque d’argent pousse forcément à moins bien se nourrir également.

Il devient donc urgent de se préoccuper beaucoup plus de la santé des chômeurs, car pour la plupart d’entre eux, cet aspect est mis de côté. Beaucoup de chômeurs n’osent plus aller chez le médecin ou ne veulent plus s’y rendre et ainsi ne plus prendre les soins qu’on leur a prescrit, pour des raisons financières et/ou psychologiques.

À l’étranger, les résultats sont les mêmes

La France n’est pas un cas unique dans cette situation. Plusieurs études américaines ont démontré les conséquences du chômage sur ces citoyens. Il a été prouvé que la baisse de revenu engendre évidemment un état de santé plus faible et un fort renoncement aux soins, dû au prix de ces derniers et au système de protection sociale. Aux USA en 2010, à peu près deux tiers de la population déclarait abandonner ses soins pour raisons financières contre environ 15 % au Canada. Le chômage aurait également une incidence énorme sur l’état de santé physique des Américains, avec un nombre accru d’accidents cardio-vasculaires et un état de morbidité plus haut.

En Suède, Marcus Eliason et Donald Storrie ont révélé en 2009 avoir observé une augmentation du risque de mortalité de 44% chez les hommes, sur les quatre premières années de leur chômage, avec un risque élevé de suicide. Concernant les données danoises, Browning et Heinesen en 2012 ont pu confirmer ces résultats, avec notamment l’élévation du risque de mortalité à 79%, l’année suivant la fermeture de l’entreprise.

L’idée d’un système de santé adapté au chômage pour aider les individus concernés

Actuellement aucune aucune mesure n’est prise en termes de santé publique à ce sujet. Plusieurs associations évoquent des solutions à mettre en place telles que :

  • Mettre à disposition des chercheurs d’emploi, des visites médicales et des bilans périodiques pour s’assurer régulièrement de leur bon état de santé et leur montrer qu’ils ne sont pas seuls ;
  • Améliorer la couverture complémentaire santé solidaire, dans le but de minimiser les ruptures de droit et rendre son accès plus simple ;
  • Informer au maximum le travailleur sur leurs droits en matière de santé au moment du solde de tout compte, quand il quitte l’entreprise ;
  • Créer un service d’aide psychologique et rendre son accès gratuit, tout comme aux produits d’hygiène basiques ;
  • Rendre obligatoire un entretien avec un médecin ou un psychologue de Pôle Emploi au bout d’un temps donné, car trop de personnes préféreraient éviter ce genre de rendez-vous ;
  • Effectuer ainsi un bilan sur l’état de santé comme lorsqu’on entre dans un nouvel emploi avec la médecine du travail, mais cette fois-ci avec la « médecine du chômage ».

Quelles sont les limites de ce projet ?

Tout d’abord, concernant l’étude délivrée ce mardi 14 décembre, sur les 977 personnes interrogées, on compte 80% de femmes. Cette étude n’est donc pas représentative car cette proportion est bien supérieure à la place que représentent effectivement les femmes parmi les personnes à la recherche d’un emploi, inscrites à Pôle Emploi. D’autre part, les psychologues de Pôle emploi déclarent ne pas être assez nombreux, ni assez autonomes comparé aux conseillers et ne pas avoir accès à des bureaux pour garantir la confidentialité des individus. Enfin, le problème vient aussi des chômeurs, qui pour beaucoup d’entre eux, ne partagent pas leur mal être, leurs problèmes de santé à leur conseiller Pôle Emploi. Il faut donc donner une nouvelle dynamique à ces gens pour leur donner envie de partager leur expérience et leur état d’esprit, sans avoir peur.

La médecine du chômage, pour assurer la santé des Français isolés et dans le besoin

Ainsi, le chômage est une véritable cause de mortalité et de problèmes de santé chez les chercheurs d’emploi, que ce soit au niveau psychologique ou physique. Beaucoup d’études relayent des effets de la perte d’un emploi sur l’état de santé des individus, effets que l’on peut retrouver sur d’autres surfaces du globe. Il est donc temps de renforcer l’écoute, les conseils sur la santé des personnes concernées et de mettre en place une médecine du chômage. La solidarité l’exige. L’intérêt aussi : car rappelez-vous, nous avons été ou serons tous un jour chômeur.