Le management à la papa touche à sa fin et les entreprises paient l'addition d'une décennie de bullshit managérial
Derrière dix ans de discours inspirants, de teambuilding, d'effets de façade et de soft skills surjouées, les entreprises découvrent en 2025 l'addition du désalignement interne.
Depuis plus d’une décennie, le management d’entreprise évolue dans un décor où les grandes proclamations ont remplacé la réalité du terrain. Les dirigeants ont multiplié les chartes, les annonces de transformation, les slogans inspirants et les programmes de “nouveau leadership”, espérant moderniser des structures qui, en profondeur, n’avaient pas changé. On a glorifié le manager coach, célébré l’écoute active, vanté l’intelligence émotionnelle, mis en scène des séminaires de teambuilding censés révéler l’âme des organisations. Sur le papier, tout semblait évoluer ; dans les faits, très peu de choses ont réellement bougé.
Les entreprises ont souvent confondu la narration du changement avec le changement lui-même. Elles ont imaginé qu’il suffisait de parler culture, sens, autonomie ou bienveillance pour produire un engagement authentique. Mais un discours ne crée rien s’il n’est pas soutenu par une vision, une cohérence de décisions et une architecture organisationnelle qui tient debout. En 2025, ce vernis se fissure brutalement : les entreprises voient remonter les contradictions qu’elles avaient recouvertes de belles intentions.
Les soft skills surjouées produisent désormais des décisions fragiles
Le problème n’est pas que les soft skills soient inutiles, mais qu’elles aient été utilisées comme un cache-misère. On a demandé aux managers d’être plus humains, plus patients, plus à l’écoute… tout en leur imposant davantage de reporting, des objectifs toujours plus mouvants, et une pression opérationnelle constante. Les équipes ont vu se multiplier les discours chaleureux alors même que les décisions devenaient plus opaques, moins lisibles, moins assumées.
Ce décalage a produit un cynisme profond. Car un manager peut manier parfaitement le lexique moderne — parler d’empathie, d’intelligence collective, de co-construction — tout en prenant des décisions qui contredisent chaque mot prononcé. À la longue, les salariés ne jugent plus les intentions, mais la cohérence entre ce qui est annoncé et ce qui se produit réellement. Le management “moderne” a souvent mis en scène un idéal, au lieu de construire des cadres solides où les décisions sont claires et la direction compréhensible.
On parle abondamment de transparence, mais elle se délite dès lors que les décisions structurantes continuent de se prendre entre quelques initiés, loin du discours officiel. On vante l’autonomie, mais elle s’évapore dès que les équipes tentent d’agir sans demander la permission, tant la hiérarchie redoute d’être bousculée. Quant à la confiance, elle s’érode immanquablement dans les organisations où les priorités changent plus vite que les réunions ne s’enchaînent.
Les transformations ratées révèlent aujourd’hui une dette managériale accumulée
Les entreprises paient désormais le prix de toutes les transformations qui ont été annoncées sans être réellement exécutées. Beaucoup de réorganisations ont été pensées comme des projets de communication interne : belles présentations, jolis schémas, storytelling du changement… mais très peu de travail structurel derrière. Les rôles n’ont pas été clarifiés, les chaînes de décision sont restées floues, les outils n’ont pas été alignés avec les promesses, et les habitudes anciennes ont continué à gouverner.
Ce phénomène crée aujourd’hui une forme d’instabilité silencieuse. Les transformations se sont succédé sans jamais aller jusqu’au bout, laissant des équipes désorientées, des managers épuisés et des directions incapables de comprendre pourquoi la machine ne répond plus. Les collaborateurs n’attendent plus des promesses, ils attendent des preuves. Et les entreprises découvrent que ces preuves ne peuvent pas être fabriquées : elles doivent émerger d’une organisation qui fonctionne réellement, pas d’un discours qui essaie de le faire croire.
Le retour de la cohérence devient une exigence vitale
Le management à la papa n’est plus tenable, mais le management vitrine non plus. L’époque exige autre chose : une cohérence ferme entre stratégie, discours, décisions et exécution. Les équipes ne demandent pas des managers parfaits ; elles demandent des décisions claires, une vision stable, des priorités assumées. Elles veulent comprendre pourquoi une orientation change, pourquoi un arbitrage est fait, pourquoi un effort est demandé. Elles veulent des structures qui tiennent, pas des slogans qui brillent.
La cohérence n’est pas une notion abstraite. Elle se mesure dans la stabilité : des décisions qui ne se contredisent pas d’un trimestre à l’autre, un discours qui reflète réellement la manière dont l’entreprise agit, une direction qui ne se cache pas derrière les mots pour éviter les choix difficiles. Lorsque la cohérence est présente, les équipes cessent de perdre de l’énergie à interpréter, à compenser, à reconstruire. Elles peuvent enfin travailler.
Les entreprises qui traverseront 2025 et 2026 avec le plus de solidité seront celles qui auront compris que le temps du théâtre managérial est terminé. Ce n’est pas un changement de mode : c’est une nécessité économique. On ne performe pas avec des slogans. On performe avec une vision assumée, des actes alignés et une structure claire.