Chômage, une action sur six fronts : insertion, tutorat, flexisécurité, compétitivité, formation et indemnisation

En France, le taux de chômage pourrait atteindre la barre des 12 % courant 2014. Un record historique qui tient au déficit de croissance mais pas seulement.

En 1993, François Mitterrand déclarait que « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé », exprimant la difficulté à remédier au chômage de masse. La France traverse alors sa première récession depuis le premier choc pétrolier. Le taux de chômage culmine déjà à 10,6 %, après avoir augmenté presque sans interruption depuis deux décennies. 
En 2013, le problème reste entier. Le taux de chômage a, certes, connu deux phases de baisse marquée, à la fin des années 1990 et au milieu des années 2000, lorsque la croissance, en fin de cycle, était la plus forte. Début 2008, il descend même sous la barre des 8 %, pour la première fois depuis le début des années 1980. Mais la double crise (des subprimes puis souveraine) passe par là. Le taux de chômage grimpe d’abord à 10 % fin 2009. L’embellie en 2010 est de trop courte durée pour regagner le terrain perdu. Le taux de chômage ne recule que d’un demi-point, avant de repartir en hausse à partir du deuxième trimestre 2011. Il atteint 11 % deux ans plus tard. Cette remontée va de pair avec la rechute en récession de l’économie fin 2012.  
François Hollande, en fonction depuis mai 2012, s’engage à son tour dans la lutte contre le chômage. Il essaye pour ce faire de nouveaux outils, qui répondent à différents pans du problème :
  • l’emploi et le chômage des jeunes (en particulier pas ou peu qualifiés) et des séniors avec les emplois d’avenir et les contrats de génération;
  • la rigidité du marché du travail avec l’accord sur la sécurisation de l’emploi;
  • la faible compétitivité de l’économie avec le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi (PCCE) [1];
  • la mauvaise allocation des ressources de la formation professionnelle avec la réforme à venir de ce système;
  • les défauts dans l’incitation au retour à l’emploi avec les changements à venir de l’indemnisation du chômage.

Ces avancées ne sont toutefois que des petits pas

Elles ne sont pas suffisantes pour retrouver à coup sûr une croissance plus riche en emplois et, à court terme, pour inverser la courbe du chômage.
Sans croissance, une telle inversion est improbable. Tout au plus peut-on s’attendre à un ralentissement de sa hausse. Jeunes et séniors premiers concernés Compte tenu de l’augmentation de la population active (en moyenne 0,7 % par an), il faudrait, pour maintenir le taux de chômage stable, que l’emploi progresse au moins aussi vite. Mais pour soutenir un tel rythme, la croissance du PIB doit être encore supérieure, compte tenu des gains de productivité (soit une croissance annuelle d’au minimum 1,5 %). Or, dans la période actuelle, ces derniers devraient être accrus par les entreprises pour faire face à l’écrasement de leur taux de marge. Si reprise de la croissance il y a, comme prévu à l’horizon du second semestre 2013, elle sera tirée par les gains de productivité. Une reprise de l’emploi n’est pas attendue avant la mi-2014, et le taux de chômage continuerait de monter jusque fin 2014, pour atteindre 12 % de la population active et établir un nouveau record historique.    
Aux difficultés conjoncturelles du marché du travail s’ajoutent des défaillances structurelles. Un chiffre les résume : le niveau élevé du taux de chômage structurel estimé autour de 9 %. Et si l’on doute de la qualité de cette mesure conceptuelle, une simple moyenne de longue période donne le même verdict : 9 %. Ce chiffre est le produit de nombreuses déficiences, mais le problème majeur du marché du travail français est le taux de chômage élevé des jeunes, notamment des moins qualifiés. Le taux de chômage des 15-24 ans dépasse, en effet, désormais les 25 %, et ceux qui n’ont pas de diplôme d’étude supérieure représentent les trois quarts des moins de 30 ans inscrits à Pôle emploi en catégories A,B,C. Leurs chances de trouver un emploi sont d’autant plus réduites que la demande de travailleurs peu qualifiés tend à diminuer alors que leur offre s’accroît et que l’inverse est observé pour les très qualifiés (demande en hausse et offre en baisse).  

L’emploi des seniors pose aussi question

Avec la réforme des retraites de 2010, le taux d’emploi des 55-64 ans est certes monté de 39 % en 2009 à 44,5 % en 2012 (46 % au quatrième trimestre) mais il n’en reste pas moins inférieur à la moyenne européenne de 49 %, sans parler de son niveau en Allemagne (61 %). De plus, cette amélioration est relativisée par la hausse de leur taux de chômage et par la baisse du taux d’emploi des jeunes (28 % fin 2012 contre 32 % début 2008). La crise n’est qu’en partie responsable de cette baisse. Les jeunes sont certes plus sensibles que les autres tranches d’âge aux retournements conjoncturels mais leurs difficultés actuelles d’insertion sont probablement exacerbées par la durée d’activité prolongée de leurs aînés. Difficultés qui s’ajoutent à celles dues à la dualité du marché du travail, elle-même au cœur du problème.  Il y a, d’un côté, les « insiders », qualifiés, en CDI, peu exposés au chômage, retrouvant assez facilement un emploi, formés et, de l’autre, les « outsiders », pas ou peu qualifiés, occupant des emplois instables (CDD, intérim, temps partiel subi), faisant office de « variable d’ajustement » face aux fluctuations de l’activité, exposés à des périodes prolongées de chômage et dont les besoins de formation sont mal pris en charge. L’opposition entre emplois précaires et emplois protégés est d’autant plus forte qu’il est difficile de passer de la première catégorie à la seconde. La flexibilité des contrats courts, recherchée à en juger la part croissante des CDD dans les flux d’embauches (82 % aujourd’hui contre 70 % en 2000) et dans l’emploi total (8 % en 2011 contre 4 % en 1982[2]), vient compenser la rigidité des CDI (dont la part dans les effectifs reste prédominante, à 76 %), avec, au final, un marché du travail sclérosé. 

La voie classique des emplois aidés revisitée

La première mesure prise par l’exécutif cible l’insertion des jeunes les plus en difficulté avec la création de 150 000 « emplois d’avenir » (100 000 en 2013, 50 000 en 2014). Il s’agit d’emplois aidés, réservés aux jeunes de 16 à 25 ans, pas ou peu diplômés, provenant de zones défavorisées. Les postes à pourvoir proviennent essentiellement du secteur non marchand, dans des activités ayant « une utilité sociale avérée et des perspectives de recrutement durables ».
Ce sont des CDD d’au moins un an, au maximum trois, ou des CDI, payés au SMIC. L’aide de l’Etat consiste à prendre en charge 75 % du salaire pendant trois ans (35% dans le cas du secteur marchand). 
Le succès de ces emplois est incertain. L’efficacité des emplois aidés créés dans le secteur non marchand est, en effet, critiquée. En cause : les défauts d’encadrement et de formation et la durée courte des contrats, qui en font de piètres tremplins vers le marché de l’emploi, seule la moitié des bénéficiaires réussissant à l’intégrer à l’issue de leur contrat. Mais le ciblage des emplois d’avenir, la durée longue du contrat, l’accent mis sur la formation des recrues sont censés accroître l’efficacité du dispositif. Il semble toutefois avoir du mal à trouver son public pour l’instant. Face à cette lente montée en puissance, des discussions sont ouvertes pour assouplir les conditions de création de ces emplois dans le secteur privé.
Le contrat de génération, deuxième pilier de la politique de l’emploi du gouvernement, a un double objectif : l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI conjointement au maintien dans l’emploi d’un senior de plus de 57 ans, lequel exerce alors un rôle de tuteur. Le dispositif diffère selon que l’entreprise emploie plus ou moins de 300 salariés. Les PME de moins de 300 salariés bénéficient d’un allègement de charges de EUR 4 000 par an, répartis en deux moitiés pour chaque membre du binôme. L’aide est accordée pendant trois ans pour le jeune et jusqu’à l’âge de la retraite pour le sénior. Pour éviter les effets d’aubaine (principal écueil du dispositif), les entreprises n’ont pas droit à l’aide si elles ont procédé à des licenciements économiques dans les six mois précédant l’embauche. Les grandes entreprises de plus de 300 salariés ne bénéficient pas de l’allègement de charges mais doivent se fixer des objectifs d’embauche sous peine de pénalités. Le gouvernement vise la création de 500 000 contrats de génération à l’horizon du quinquennat, un objectif ambitieux.     La voie nouvelle de la flexisécurité L’accord sur la sécurisation de l’emploi conclu le 11 janvier 2013 entre les partenaires sociaux entre dans la catégorie des réformes structurelles (nom complet : « Accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » ; acronyme : ANI). Cet accord est important à double titre. Sur la forme, car il est le fruit d’un compromis et du dialogue social. Sur le fond, car il dessine les prémices d’une flexisécurité à la française. 
Il contient, en effet, diverses mesures pour sécuriser davantage les employés [3], notamment ceux en CDD.
C’est, en tout cas, l’objectif de la surtaxe appliquée aux CDD de moins de 3 mois, dont les cotisations à l’assurance chômage vont être majorées [4] (7 % pour les CDD de moins d’un mois, 5,5 % pour ceux compris entre 1 et 3 mois, contre 4 % actuellement). Cette surtaxe s’accompagne d’une exonération de charges pendant trois mois pour toute embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans. La mesure cherche, d’une part, à dissuader les abus et, d’autre part, à inciter les entreprises à recruter davantage en CDI. Il n’est pas certain qu’elle parvienne à ses fins. En effet, les CDD de moins de 3 mois ne se substituent pas à des CDI (c’est plus le cas des CDD plus longs). De plus, dans le contexte actuel de rechute en récession et de perspectives de reprise ténues, ce n’est pas en sanctionnant les contrats courts, source de flexibilité, que les entreprises vont se reporter sur des CDI. Il faut de la visibilité, de la confiance et de la croissance pour cela et toutes trois manquent aujourd’hui. 
Les principales mesures de flexibilité obtenues pour les entreprises sont
la simplification du dispositif de chômage partiel et les accords de « maintien dans l’emploi ». Ceux-ci constituent une réelle avancée et à point nommé. Ils doivent permettre aux entreprises, qui font face à de « graves difficultés conjoncturelles », de préserver leur main-d’œuvre en négociant, pendant une durée maximale de deux ans, une réduction du temps de travail et/ou des rémunérations.
La simplification des procédures de licenciement collectif et la réduction de l’aléa juridique devraient également être, à terme, bénéfiques à l’emploi (l’embauche est plus facile si le licenciement l’est aussi). Cet accord atténue certaines rigidités du marché du travail français. Mais les effets positifs à en attendre devraient rester limités, d’une part parce qu’il ne s’agit que d’une première étape vers un meilleur fonctionnement du marché du travail. Le problème de sa dualité et de la segmentation des contrats de travail n’est qu’effleuré. La flexibilité permise par les accords de maintien dans l’emploi est très encadrée. L’accord ajoute une touche de complexité au code du travail et il renchérit le coût du travail.
Surtout, son succès dépend de son appropriation par les entreprises et les partenaires sociaux, ce qui suppose que chaque partie joue le jeu pour qu’un dialogue s’instaure en lieu et place des relations conflictuelles actuelles. Et cela ne va pas se faire du jour au lendemain. 

Ouverture de voies

En filigrane des développements précédents, la qualification ressort comme un élément déterminant de l’insertion et du maintien sur le marché du travail.
Nombre de mesures lui sont donc consacrées. Le PCCE propose un renforcement des liens entre école et entreprises, notamment au sein de l’enseignement technique et professionnel ; un développement de l’apprentissage ; une plus grande mobilité des jeunes à l’international durant leurs études ; la création d’un nouveau service public d’orientation et de formation ; un compte personnel de formation.

Cette dernière mesure a été reprise dans l’ANI : c’est l’un des nouveaux droits des salariés. Ce nouveau compte serait universel, activable tout au long de la carrière professionnelle, ouvert aux salariés comme aux chômeurs et transférable d’un emploi à un autre. L’ANI introduit également une période de mobilité volontaire sécurisée permettant au salarié de préparer une éventuelle reconversion en effectuant, en accord avec son employeur, un CDD dans une autre entreprise et en ayant la possibilité, à la fin de ce CDD, de démissionner du poste initial ou de le retrouver avec une rémunération au moins équivalente.
Le suivi différencié des chômeurs, le contrat de sécurisation professionnelle, la préparation opérationnelle à l’emploi sont autant d’autres moyens efficaces pour améliorer l’employabilité, fondés sur l’accompagnement et la formation, et que l’ANI incite à plus exploiter. 
La réforme de la formation professionnelle prévue cette année s’inscrit dans ce cadre. C’est une réforme importante, complexe et sensible. Elle doit faire en sorte que l’important budget qui lui est consacré (plus de EUR 30 milliards) bénéficie à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les demandeurs d’emploi, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, le système profitant plus aux salariés en activité et aux plus qualifiés d’entre eux [5]. 
La réforme de l’indemnisation du chômage, également prévue pour la fin de l’année, est plus importante encore et sensible que celle de la formation professionnelle, tout en étant dépendante. Derrière la réduction du déficit de l’assurance-chômage (attendu par l’Unedic à EUR 5 milliards en 2013), l’objectif de fond est d’inciter à un retour plus rapide à l’emploi. Réduire la durée maximale d’indemnisation (24 mois actuellement, 36 mois pour les plus de 50 ans) et/ou son montant maximum irait en ce sens. Le système devrait être moins généreux.
Mais une telle réforme ne peut s’envisager sans une meilleure formation des chômeurs à la clé. Ce qui renvoie à la réforme de la formation professionnelle.  
Si les choses se passent comme pour le PCCE et l’ANI, un compromis devrait être trouvé et ces deux réformes devraient déboucher sur des ajustements significatifs mais à la marge. Pas de réforme de fond donc. C’est pour cela que, prises individuellement, les réformes engagées à ce stade ne sont pas de nature à changer la donne. Certes, leur addition les renforce mais il n’est pas certain que cela suffise à redresser la barre. Il y a encore beaucoup à faire sur chacun des sujets évoqués ici et sur bien d’autres encore, comme par exemple le financement de la protection sociale, la formation des salaires, le niveau du SMIC.

■  Le marché du travail souffre de dysfonctionnements et rigidités structurels, qui exacerbent les difficultés actuelles et compliquent les chances de reprise.
■  L’action du gouvernement se déploie sur six fronts : insertion, tutorat, flexisécurité, compétitivité, formation, indemnisation du chômage.
■  Les mesures déjà engagées sont des petits pas dans la bonne direction. Elles devraient avoir des effets positifs mais limités.

------------------------* Stagiaire à la Direction des études économiques au moment de la rédaction de cet article.
[1] Pour plus de détails, cf. H. Baudchon, 2013, « A la recherche de la compétitivité perdue », Conjoncture n°2, février.
[2] Plus 2% d’intérim (contre une part quasi nulle en 1982, 0,5 %).
[3] Généralisation de la complémentaire santé, recadrage du temps partiel, droits rechargeables à l’assurance-chômage, compte personnel de formation, droit à une période dite de mobilité volontaire sécurisée.
[4] L’intérim et les CDD saisonniers sont exonérés de cette majoration.
[5] Cf. le rapport de janvier 2013 de la Cour des comptes sur « Le marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler les politiques ».