Covid-19 : et si le jour d'après permettait à l'Europe de s'imposer dans le concert des nations

La crise sanitaire du Covid-19 met en lumière la nécessité, pour les États, de disposer de filières industrielles fortes et autonomes, et de mettre en place des sas de sécurité pour défendre leurs intérêts dans une économie mondialisée.

Certains voient dans la pandémie du Covid-19 un châtiment divin en réponse à l’arrogance du genre humain, d’autres un phénomène de régulation de la nature visant à rétablir son équilibre et d’autres encore, l’acide lactique du système libéral qui se déverse sur l’humanité. Pour ma part, il me semble que la propagation de ce virus n’est que l'une des résultantes de l’explosion des échanges mondiaux depuis les années cinquante. Ces flux de toute nature (hommes, marchandises, capitaux, information, etc.) ont été permis par les accords de libre-échange, par l'avènement de moyens de transport de grande capacité ainsi que par le développement de la puissance de calcul informatique et des applications logicielles, et de leur mise en réseau grâce aux hauts débits télécoms.

L'analyse de l’histoire récente nous révèle également les limites d’une conception des espaces géographiques et numériques sans frontières. En effet, sans capacité d’absorption des ondes de choc, les crises se sont propagées grâce à un effet domino que nul n’a réussi à limiter, qu’il s’agisse de la crise financière de 2008, de la crise migratoire de 2010, de l’attaque cybercriminelle mondiale Wannacry en 2017, ou aujourd’hui de l’épidémie de Covid-19...

Chaque crise a, à chaque fois, mis en évidence le cruel déficit de souveraineté de nombre d’États Européens affaiblis par leur dépendance industrielle et technologique vis-à-vis de la Chine ou des Etats-Unis. Celle du Covid-19 met aujourd’hui en lumière l’absolue nécessité pour eux de mettre en place des mesures de régulation coordonnées et solidaires. S’ils y parviennent, l’Europe pourrait bien prétendre jouer à nouveau sa partition dans le concert des Nations.

L’approche solidaire, en Europe et avec les pays en voie de développement, est une nécessité absolue

La crise que nous traversons aura un impact durable sur notre économie. N’en déplaise aux promoteurs de la décroissance, si nous ne parvenons pas à doper la reprise de l’économie mondiale, ce seront les populations les plus vulnérables qui en souffriront le plus. Celles des pays en voie de développement tout d’abord, dont les services régaliens risquent de s’avérer bien démunis pour lutter contre cette pandémie sans aides extérieures massives.

La concentration des populations autour de mégapoles encerclées de bidonvilles périphériques constituent pourtant des défis sanitaires dont personne ne parle. Pouvons-nous penser un seul instant que ces populations, potentiellement porteuses du virus, ne chercheront pas à fuir et chercheront à se réfugier dans des pays moins exposés ? Pouvons-nous accepter que l’accès à l’instruction leur soit confisqué et favorise le développement  des populismes ou du terrorisme ? Aujourd’hui, les flots de liquidités injectés par les banques centrales dans les pays riches ne saurait permettre d’endiguer cette pandémie mondiale s’ils ne viennent pas également irriguer les pays en voie de développement pour leur permettre de sortir eux aussi de cette crise.

Nous devons défendre coûte que coûte le modèle sociétal européen

Chacun d’entre nous, quelle que soit son origine, aspire légitimement pour lui et ses proches, à garantir sa sécurité physique, à se nourrir, à se maintenir en bonne santé, à s’éduquer, à se divertir et à pouvoir exercer sa liberté d’agir et de penser. Quoiqu’on en pense, la démocratie sociale européenne, avec toutes ses limites, constitue incontestablement le modèle de société le plus abouti. Il suffit de constater la destruction de dix millions d’emplois aux Etats-Unis, en seulement deux semaines, pour s’en convaincre.

De multiples voix s’élèvent aujourd’hui pour remettre en cause nos institutions ou nos élus. Si nous pouvons légitimement rêver d’un monde meilleur et plus juste, agir de la sorte et sans discernement fait peser une menace grave pour la pérennité de notre démocratie sociale.

Quoi qu’en pensent les plus critiques, l’incapacité à agir de nos élites ne tient pas forcément à leur absence de volonté ou à leur manque de compétences. Elle réside surtout dans la cruelle absence de moyens industriels et technologiques leur permettant de mettre en œuvre leurs plans d’actions. Tenir les élus en place pour responsables de cette situation est profondément injuste. Ils ont hérité des choix industriels calamiteux décidés depuis le début des années 70 et qui se sont accélérés dans les années 80 : celui de la désindustrialisation de la France.

Il faudra également faire attention à la défense des prétendus "acquis" sociaux, unique programme de nos syndicats. Ceux-ci ne manqueront pas, dans ce contexte de précarité accrue, de vouloir recouvrer une légitimité. Il ne s’agit pas de les remettre en question mais d’éviter tout blocage qui ne ferait qu’aggraver la crise économique. Le ralentissement de la production et de la demande qui a touché hier la main d’œuvre industrielle des pays Européens risque désormais de s’étendre à l’ensemble des secteurs de l’économie. C’est elle qu’il faut aujourd’hui protéger.

Sans industrie, la souveraineté de l’Europe et son modèle de démocratie sociale disparaîtront

L’Europe doit aujourd’hui se concentrer sur les aspirations prioritaires de sa population et défendre son modèle de démocratie sociale. Le "plan Marshall" post Covid-19 de l’Union Européenne doit être consacré à rebâtir ou à consolider les filières industrielles sans lesquelles aucune souveraineté ne saurait pouvoir s’exercer : défense, agriculture, santé, éducation, culture et loisirs, nouvelles technologies, etc.

Notre souveraineté doit s’exprimer dans les trois espaces physiques : terre, air et mer autant que dans l’espace numérique pour éviter que nos libertés individuelles ne soient violées, nos emplois délocalisés, notre propriété intellectuelle pillée, notre prospérité dégradée ou notre fiscalité contournée.

Mais à la différence du plan Marshall d’après-guerre, ce programme ne doit pas servir à payer des biens et services américains. Il doit servir à promouvoir les biens et services européens. La commande publique doit donc encourager les initiatives dans ces domaines car le soutien à la demande, plombée par l’assèchement de la trésorerie des entreprises et par l’affaissement du pouvoir d’achat de nombreux ménages, ne suffira pas.

Enfin, les bénéfices du plan devront s’étendre au continent africain qui constitue sans nul doute, au-delà de son réservoir démographique, le relais de croissance utile à notre prospérité commune à venir. L’exercice de notre souveraineté dans les quatre dimensions nous dotera des seuls sas à même de nous protéger des crises de toute nature qui se présenteront à l’avenir. Ils nous doteront également des moyens qui nous permettront de porter assistance aux pays et aux populations les moins favorisés. Ne cédons pas aux sirènes du déclin annoncé du Vieux continent, l’Europe n’est pas finie, bien au contraire. Si l’Europe sait faire preuve de solidarité et de courage politique, son heure a peut-être sonné.