Gare à la panthère : L'Oréal condamnée pour parasitisme

Depuis des décennies, la maison de luxe Cartier a adopté, parmi ses signes distinctifs, l'image d'une panthère, représentée tant en bijou que sous une forme publicitaire. En reprenant l'image d'un félin tacheté dans le cadre d'une publicité pour le parfum Opium de la marque "Yves Saint-Laurent", L'Oréal, licenciée de cette marque, a commis une faute source de parasitisme.

Les marques de luxe s'appuient chacune sur un univers bien précis, qui se caractérise par des motifs graphiques, des couleurs ou des sons, et que leurs titulaires respectifs défendent bec et ongles pour dissuader quiconque de se les approprier. Un exemple manifeste de cette stratégie peut être trouvé dans cette affaire opposant deux maisons internationales, Cartier d'une part et L'Oréal d'autre part.

Cartier est, comme chacun sait, un joailler dont l'un des styles reconnaissables entre tous est l'utilisation de félins, en particulier une panthère. Ce félin à la robe tachetée a été décliné depuis plus de cent ans sous forme de bijoux (bagues, bracelets, broches...), d'objets de luxe (horloges, montres...) et même de parfum ("Panthère"). 

En l'occurrence, Cartier a reproché à L'Oréal, titulaire d'une licence sur la marque "Yves Saint-Laurent" dans le domaine de la parfumerie, d'exploiter l'image d'une panthère dans le cadre d'une publicité pour le parfum "Opium", en reprenant également certains codes couleurs de la maison, en particulier les tons rouge et or.

Cartier a assigné L'Oréal devant le Tribunal de commerce de Paris au titre d'actes de parasitisme. Il est à noter que Cartier n'invoquait ni violation d'un droit de propriété intellectuelle ni la commission d'actes de concurrence déloyale, mais celle d'actes de parasitisme. Si les deux notions sont souvent confondues en jurisprudence (qui utilise régulièrement l'expression de "concurrence parasitaire"), Cartier a ici choisi de les identifier pleinement. La concurrence déloyale supposerait la preuve d'un risque de confusion, difficile à rapporter en l'espèce, notamment parce que le parfum "Opium" est lui-même particulièrement réputé. Le parasitisme serait pour sa part le simple fait pour un tiers de se placer dans le sillage d'un autre opérateur économique et de profiter des investissements de ce dernier, "sans bourse délier", comme nous l'enseigne la jurisprudence.

En première instance, Cartier a obtenu gain de cause, le Tribunal ayant effectivement considéré que L'Oréal avait en quelque sorte marché sur les plates-bandes de Cartier en optant pour l'image d'une panthère, alors même que le parfumeur revendiquait l'utilisation d'un félin, un léopard, dans le cadre de campagnes précédentes. 

En appel, la condamnation a été confirmée par un arrêt du 21 octobre 2015 en des termes particulièrement éloquents.

D'une part, sur le plan des principes, la Cour d'appel a donné une définition nette du parasitisme économique, en choisissant, comme l'y invitait Cartier, à le distinguer de la concurrence déloyale : "le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; à la différence de la concurrence déloyale, il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion".

Cette définition est particulièrement intéressante car elle oppose les deux notions sur quasiment tous les plans : nécessité ou non d'un risque de confusion, acte positif en matière de concurrence déloyale ou simple imprudence admise en matière de parasitisme, et y compris sur le mode probatoire : alors que la concurrence déloyale ne peut être prouvée par un faisceau d'indices, la démonstration du parasitisme peut résulter d'éléments plus disparates, appréciés globalement. Cette définition fera probablement date si elle est confirmée par la Cour de cassation. 

D'autre part, en l'espèce, la Cour a confirmé l'analyse du Tribunal et retenu, après analyse de produits et campagnes publicitaires, qu'effectivement, la panthère tachetée était l'emblème de la Maison Cartier depuis de nombreuses années et qu'en particulier, loin d'être banale, l'image d'une panthère évoluant dans un environnement urbain faisait partie de l'identité visuelle de cette maison. 

Or l'utilisation d'un même animal par L'Oréal, associé à des couleurs rouge et or, dans le cadre d'une campagne promotionnelle, constituait, selon la Cour, "une reprise des codes visuels utilisés par la Maison Cartier", source d'agissements parasitaires.

L'Oréal a été condamnée à payer un million d'euros à Cartier en réparation du préjudice subi, ce qui consiste en une indemnisation forfaitaire peu compatible avec le principe de réparation intégrale mais très courante en pratique.

Sous réserve d'un éventuel pourvoi en cassation, cette décision permet donc à Cartier de marquer son territoire graphique et promotionnel de manière ferme et opposable à quiconque souhaiterait réutiliser les mêmes codes. Il est à noter, toutefois, que la Cour a bien rappelé qu'il ne s'agissait pas d'interdire globalement l'utilisation d'un félin dans le cadre de toute campagne promotionnelle. Cette utilisation est un indice, naturellement pas le plus neutre, d'une volonté de s'inspirer de la communication d'autrui.