En 2018, la data nous mettra dans tous nos états

La montée en puissance de la data engendre de nombreuses questions technologiques et éthiques. L'Europe serait bien inspirée de s'en emparer. Plus que d'économie, il s'agit de souveraineté et de démocratie.

En fin d’année le jeu de mot est une tradition qui s'impose. Les plus mauvais calembours restent encore acceptables à l’heure des bêtisiers en tous genre, qui ont une vertu principale : réaliser à quel point nous absorbons ces déchets sans nous en apercevoir. Toute l’année, sans que cela nous fasse rire. Il nous faut la "pause" de la fin d’année pour réaliser que tout n’est qu’illusion et superficiel, en tous cas pour l’essentiel de ce qui nous est présenté. 

Car la véritable valeur, comme dans tout bon tour de magie, repose dans l’invisible, l’enfoui, le masqué, ce dont les outils de la superficialité nous distraient. La Data, le Dieu Data, l’or noir de l’âge digital. La data Reine est aussi présente que l’oxygène, que chacun inspire et expire, sans réaliser son existence. La "data rit" de rendre "da-tarés".

La data a compris que le changement de l’humanité échappait à sa conscience, à la vue humaine, qui à force d’être aveuglée par son smartphone devient presbyte, avant de devenir totalement aveugle. La data est si grosse qu’elle devient invisible, trop petite pour la vue humaine. Elle est substance, évanescente, une transpiration sans odeur, une "matrix" invisible, qui se construit chaque jour. Elle se construit à notre insu, en faisant de nous, de gentilles petites fourmis travailleuses, qui ne réclament ni compte, ni salaire, ni retour.

Devons nous avoir peur de la data ? Avons nous le choix ? Pourrions nous fermer les doigts plus fort et en freiner ou stopper le passage ? Ou pourrions nous encore, lui assigner des tâches et lui en interdire d’autres ? Ce sont de bonnes questions à se poser quand on fait le bilan d’une année pendant laquelle le mot "data" fut l’un des plus prononcé, dans toutes les conférences, les médias, les BP des start-up…

La data, les données personnelles, un combat perdu

Nous pouvons brûler nos valeurs cardinales. Celles qui furent longtemps au fronton de la plupart des Républiques démocratiques du monde libre. Le respect de la vie privée, la protection de l’intimité, le droit à l’anonymat. Nous l’avons lessivé, enterré, nié et rejeté grâce aux réseaux sociaux, à l’utilisation des plateformes et des moteurs de recherche étrangers. Une large partie de nos enfants, jettent sans réflexion leur vie personnelle, souvent pour se donner l’impression d’en avoir une, et de compenser un cruel vide de contenu par une quantité toujours plus forte et l’illusion procurée par la vitesse.

Les Européens ont fait de Google leur champion, et ont décidé qu’un ridicule petit bénéfice personnel (3 millions de réponses à chacune de leur recherche, sans avoir à payer, et sans consulter plus de 3 réponses en moyenne) méritait de livrer sa vie à un acteur qui en a fait un bénéfice personnel majeur, ayant les moyens de diriger le monde (21 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2016). 2 milliards d’individus Facebook chaque jour, gratuitement, permettant à la compagnie de réaliser 11 milliards de dollars de profits.

L’Europe pourra serrer les doigts et imposer sa législation sur les données, les utilisateurs ne veulent plus se passer de ces services et la data passera dans les filets. D’une façon ou d’une autre, les restrictions auront un effet aussi limité que peut en avoir une législation qui touche 370 million de personnes dans un monde qui en comptera 10 milliards en 2030.

Le confort et la facilité l’emportent sur la réflexion. Les Européens ont délaissé le cerveau pour le pouce. Ils hériteront du majeur. Bien dressé et étoilé.

La data est la nouvelle religion, à qui nous confions les "clés du camion". Pour le meilleur et le pire. Le meilleur, car nous pourrions effectivement être mieux soigné, par une médecine plus préventive. Nous pourrions mieux gérer l’énergie, l’eau dont la rareté sera la source de tant de conflits et de désastres (Sahel en tête). Nous pourrions savoir et mieux apprendre.

Tout cela camoufle une volonté de domination qui rend la perspective moins drôle. Nous pourrions être plus contrôlé, sous promesse de sécurité. Mieux soignés en échange d’uniformité de conduite. Mieux informés en échange de confiance aveugle sur la source et la qualité de l’information. Délesté d’une mémoire encombrante en échange d’une mémoire déportée et exploitée. Chaque technologie recèle son "pour" et son "contre", et seul l’usage que nous en ferons compte. La question est ailleurs.

La data est une question de souveraineté. Elle est également le carburant d’une fuite vers l’avant, d’un monde qui espère, que cette révolution de la donnée permettra de corriger 50 années ou plus, d’errances, qui ont endetté les pays occidentaux, maintenus dans la pauvreté les émergents, appauvris les classes moyennes, chassés les seniors, asphyxiés la planète, accru les écarts de richesse, généré chômage et déséquilibres sociaux et j’en passe.

Nous sommes persuadés que le calcul a faire pour changer le monde exige une masse énorme de données, que l’homme doit être mieux connu et "calculé" afin de lui dicter une attitude plus responsable que celle que son absence de véritable conscience collective oublie de lui imposer, que nous devons donner pour mieux recevoir, que la data servira de filtre et de centrale d’épuration, en récupérant de la donnée sale pour en faire un monde propre.

C’est le pari ultime, qui pourra réussir ou échouer. Réussir et le faire démocratiquement. Ou échouer et l’imposer de façon autoritaire, y compris en remplaçant l’homme si il se rebelle un peu trop.

La véritable question est donc double, et je vous laisserai sur votre faim de débat, pour ne pas perturber une digestion déjà compliquée par les excès gastronomiques commis par nos mères qui veulent prouver que les années passent mais pas leur talent à nous nourrir !

Question 1 : A qui profitera le data-crime ? Les USA ? La Chine ? L’homme ? Certaines sociétés ?

Question 2 : En feront ils, nous, un usage démocratique, data-cratique ou un outil au service du maintien de la domination d’une minorité ? (data-mination).

En clair, face à l’incertitude et pour finir avec humour avons nous intérêt à une "Da-tarie" (moins de data), pour éviter un coup de da-tapette sur les doigts ? Devrions nous nous abandonner à la lecture du "Da-Talmud" pour voir le monde sous des angles plus divers, complémentaires, ou antagonistes ? Ou revenir à des choses simples, comme la communion homme-animal, que nous sommes toujours malgré nos prétentions, et revoir en famille "Da-k-ta-ri". Il est en temps que l’année commence, toutes mes excuses pour ces jeux de mots lamentables et tous mes vœux pour une année 2018 plus riche en réflexions !