(Ré)apprendre à réfléchir

Débilitant et infantilisant. Tels sont les termes choisis par Julia de Funès, co-auteure avec Nicolas Bouzou de La Comédie (in)humaine, pour décrire le management qui sévit dans nos entreprises.

C'est l’occasion pour l'auteure de déconstruire nombre de fausses bonnes idées – le "bonheurisme" ou le "markethique" d’affichage – et de dénoncer le décalage croissant qui existe entre le discours et la pratique d’un management qui fait fi des aspirations et des talents de ses collaborateurs.

Bien sûr, la solution passe par une organisation réinventée, débarrassée de sa pyramide et de son autoritarisme. Le système managérial hiérarchique doit laisser la place à un modèle qui donne du sens et des responsabilités, la liberté à chacun d’exercer son libre arbitre, de prouver sa valeur.

Pourtant, changer l’organisation, les processus et la gouvernance ne suffit pas. Patrons et collaborateurs doivent se défaire des habitudes héritées d’une organisation et d’un management qui les exonèrent, la plupart temps, de toute réflexion. Happés par le système, ils se contentent de réagir. Presque par réflexe ou par habitude. Il faut donc leur (ré)apprendre à réfléchir pour bâtir une organisation et un management aptes à affronter les défis qui s’annoncent.

Une nouvelle habitude à prendre…

 Nombre de patrons et de managers ont aujourd’hui la volonté d’autonomiser leurs collaborateurs, conscients qu’il s’agit là d’un préalable à l’émergence d’une organisation efficace et pérenne. Problème : nous avons perdu l’habitude de réfléchir au travail. Fondus dans une organisation autoritaire, paternaliste et nourricière, nous nous contentons souvent d’actions réflexes, guidées par l’habitude, l’expérience et la facilité. Baignés dans un environnement qui nous relègue au rôle de simple exécutant, mais nous protège, nous ne faisons qu’agir voire réagir à des stimuli.

 Pour changer le management et l’organisation, il nous faut accepter de quitter notre zone de confort et abandonner cette réflexion "automatique" - que Jesse Agar nous décrit avec brio dans une de ses vidéos de vulgarisation scientifique – pour une réflexion réellement profonde. Car, ne nous y trompons pas. À l’ère d’une économie digitalisée et de l’IA, c’est bien dans notre capacité à réfléchir que réside notre valeur et notre salut.

 Là où les organisations pyramidales hiérarchiques n’autorisaient qu’à répondre aux injonctions, à exécuter des ordres, normés et identifiés, la pratique de Holacracy invite chacun à faire l’effort de la réflexion. Et pour cause, dans cette pratique sociale, chacun est autonome et responsable. Chacun de ses cercles et rôles est aligné sur la raison d’être de l’entreprise. Chacune de ses actions est l’aboutissement d’une réflexion, de priorités, de choix et de décisions préalables.

 …par tous

La nécessité de (ré)apprendre à réfléchir ne concerne pas seulement une minorité de collaborateurs. Elle n’est le monopole de personne et une exigence pour tous. Dans cette nouvelle pratique qui voit le jour, chacun doit être bien conscient de sa responsabilité : patron, ingénieur, ouvrier… Gérer son rôle, c’est d’abord "Penser son travail" avant de le faire,  c’est identifier les freins et les opportunités, définir des actions et des projets, être à même de mettre en place des changements qui impactent l’organisation dans son ensemble. Faites l’expérience autour de vous. Demandez à vos collègues de vous citer au moins un exemple de changement qu’ils apporteraient si la possibilité leur était offerte. Quel que soit le métier, le poste, vous verrez que personne ne restera muet. Chacun est à même d’identifier l’écart qui existe entre sa vision, fruit de sa réflexion et la réalité.

Faire émerger du leadership en chacun

Indéniablement, (ré)apprendre à réfléchir est difficile. C’est pourtant l’unique voie pour permettre à l’organisation de se transformer et de conduire ses collaborateurs vers l’autonomie, la responsabilité et la coopération, vers le self-management.

La pratique de Holacracy permet, encourage et canalise ce surplus de réflexion exigé de chacun et qui conduit chaque collaborateur à faire émerger et exprimer son leadership. Mais elle ne s’arrête pas là. Elle invite en parallèle à être proactif, à être créatif. En cela, Holacracy implique un changement radical de posture de chaque salarié (cf. article 1.2 de sa Constitution).

Ainsi, au lieu de réagir à une demande, un problème, tout collaborateur est invité à créer, à entrer dans une dynamique positive et à créer une "tension dynamique" sur le modèle développé par David Emerald dans son livre The Power of TED : the Empowerment Dynamic. Il quitte sa posture de victime pour endosser celle de créateur. Il est en mesure de se muer en un leader boosté par sa passion, son enthousiasme. Il est le moteur d’une organisation en mouvement.

Finalement, (ré)apprendre à réfléchir c’est accepter ce changement radical qui implique de devenir "celui qui réussit à ne pas séparer travail, action et réflexion" (La comédie (in)humaine, J. de Funès et N. Bouzou), ce collaborateur épanoui dans une organisation efficace et humaine que nous appelons tous de nos vœux.