Le directeur financier, l'autre pilote de la RSE

Partout dans le monde, la notion de performance évolue et intègre des paramètres extra-financiers.

Début décembre, Janus Henderson Investors annonçait six nominations au sein de son équipe investissement ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). Quelques semaines plus tôt, c’est la bourse de Milan qui lançait le MIB ESG, premier indice italien axé sur les performances environnementales et sociétales.

Partout dans le monde, la notion de performance évolue et intègre des paramètres extra-financiers. Bien sûr, les exigences légales à ce sujet ne datent pas d’hier, mais la crise que nous traversons a clairement mis l’accent sur l’urgence climatique et sociale, contraignant de fait les entreprises à accélérer fortement la mise en œuvre de modèles vertueux, éthiques et durables. Dans ce contexte, la notion de performance n’est plus uniquement financière. Reconversion forcée pour le directeur financier, que l’on associe, dans l’imaginaire populaire, à un objectif drastique et impitoyable de réduction des coûts ? Pas si sûr. Par la nature même de ses expertises, il est en effet le mieux placé pour collecter et analyser des données, communiquer des informations fiables et transparentes, et faire le lien entre les différentes parties prenantes de son entreprise. Autant de compétences indispensables pour appréhender la performance financière et extra-financière d’aujourd’hui et de demain. 

Une pression généralisée pour une croissance plus vertueuse

C’est une tendance forte depuis quelques années : actionnaires et sociétés d’investissement sont de plus en plus attentifs aux engagements RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Ne nous y trompons pas : au-delà des bons sentiments, personne n’est désireux de verser des fonds à perte. Ainsi, BNP Paribas proclame ne plus financer de sociétés développant des centrales à charbon, car « il s'agit d'activités compromises, où l'on commence à voir apparaitre des faillites ».

Cette pression est généralisée à l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Les consommateurs n’hésitent plus à interpeller les marques et bénéficient même parfois du soutien des pouvoirs publics. On l’a vu l’an dernier au Royaume-Uni, quand une commission parlementaire enquêtant sur le travail forcé des Ouïghours a demandé des explications à Amazon, Nike et Ikea. Les enjeux sont tels que les partenaires commerciaux de l’entreprise demandent également des comptes, voire remettent en question des relations commerciales établies en cas de non respect des impératifs RSE. Le site Boohoo, emblématique de l’ultrafast fashion, a ainsi vu son auditeur historique démissionner par crainte que les pratiques d’esclavage moderne supposé de l’entreprise ne viennent ternir sa réputation.

Enfin, il en est de même pour les salariés qui choisissent de plus en plus leur employeur en fonction des valeurs qu’il incarne. N’est-il pas révélateur que des leaders mondiaux comme Total, qui représentaient hier un Graal pour les diplômés de Grandes Écoles, soient aujourd’hui en peine de recrutement ?

Repenser et mesurer la performance

Pour accompagner l’entreprise dans cette transition vers un modèle plus durable, le directeur financier est certainement au centre de la question. Contrairement à l’image qu’on lui prête, son métier n’est pas tant la manipulation des chiffres que la structuration et la communication de l’information. Dans un contexte où la transparence n’est plus un simple argument marketing, mais une exigence absolue, cette compétence est vitale ! Comité d’audit, conseil d’administration, investisseurs : autant de parties prenantes qui ont besoin d’informations claires, fiables et structurées, y compris sur des indicateurs non financiers.

Mais son rôle va au-delà. Les indicateurs ESG ont bien moins d’ancienneté que les normes comptables. La création d’un référentiel standardisé est donc nécessaire pour mesurer les évolutions dans le temps et comparer les entreprises entre elles. Il ne suffit pas de s’autoproclamer vertueux, encore faut-il le prouver. Le corps de règles applicable à la performance extra-financière n’est pas encore finalisé et évoluera sans doute rapidement, mais il requiert d’ores et déjà des compétences clés en analyse, consolidation et reporting de données.

Intégrer la RSE au cœur de son activité

Construire ce référentiel ne suffira cependant pas à appréhender un futur de plus en plus incertain. Une des missions principales du directeur financier va donc être de co-créer le ou les modèles d’affaires qui permettront à son entreprise d’aligner, plus que de concilier, RSE et performance financière. 

En effet, le greenwashing masque souvent une sous-performance fondamentale. Il ne suffit pas de planter des arbres ou de « compenser », souvent très indirectement, un impact négatif. Monter une fondation n’a jamais empêché de polluer, et par ailleurs, plus personne n’est dupe. C’est donc le modèle économique lui-même qui doit porter les caractéristiques vertueuses que l’entreprise va devoir développer.

Pour durer, il est donc nécessaire de construire un modèle de croissance à somme positive, c’est-à-dire bénéficiant à toutes les parties prenantes d’un écosystème. L’industrie de la mode, pour ne citer qu’elle, en prend conscience. Karl-Johan Persson, alors PDG d’H&M, expliquait que la mode devait passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire et ce à grande échelle. Cette parole commence à porter. De plus en plus d’industries récompensent leurs clients lorsqu’ils ramènent des produits en fin de vie, voire proposent des modèles de location qui intègrent le recyclage dans la chaîne de valeur. Tout en adoptant de meilleures pratiques, les marques fidélisent ainsi leurs clients et font augmenter leur panier moyen.

Le directeur financier est, là encore, un acteur stratégique pour mener cette réflexion par sa connaissance de l’entreprise, de son marché, et sa compréhension globale de la chaîne de valeur. Le titre de Directeur Financier semble limiter la fonction à des notions purement monétaires. Une chose est sûre néanmoins, pour piloter la performance quelle que soit sa forme, il faut un référentiel fiable et une vision d’ensemble. Deux piliers fondamentaux du métier de Directeur Financier.