Facturation électronique : menace ou opportunité pour les experts-comptables ?
La facturation électronique va-t-elle faciliter la vie des experts-comptables ou mettre en danger leur profession ? La question peut sembler légitime, tant ces professionnels sont souvent au cœur de la comptabilité des entreprises, dont la facturation électronique va venir bouleverser les procédures. Mais pour Damien Charrier, président de l'ordre des experts-comptables, elle ne se pose pas en ces termes, et la réforme ne concerne la profession que "par ricochet". Il y voit surtout "une réforme d'intérêt général. Nous accompagnons cette mutation, parce qu'on la considère utile pour tout le monde. D'autant que la facturation électronique est un phénomène mondial : il y aurait un petit risque de décrochage pour l'économie française si on ne la mettait pas en place".
Une évolution des métiers
Les bénéfices de la facturation électronique pour les entreprises (simplification et diminution du temps de traitement, notamment) vont également se faire sentir dans les cabinets d'expertise-comptable quand ils gèrent directement la tenue de comptabilité pour leurs clients – c'est souvent le cas pour les plus petites entreprises. "Un intérêt de la facturation électronique est de réorganiser les flux de facture. Presque un tiers arrive encore au format papier", témoigne Damien Charrier. Et les sources sont multiples, demandant aux experts-comptables un temps considérable pour aller récupérer les factures adressées à leurs clients. Sans compter les appels parce qu'il manque telle ou telle pièce… Des démarches, pas les plus intéressantes pour la profession, qui seront très réduites avec un processus de facturation centralisé et standardisé.
D'une manière générale, Damien Charrier estime que "pour les cabinets, c'est l'opportunité de revoir les processus". Une mutation déjà en cours sur certains aspects : "Nous sommes en train d'organiser progressivement un transfert de compétences des data contrôleurs, qui seront là pour contrôler la donnée en entrée, plus que pour appeler des clients afin de récupérer des pièces".
Il juge également que la mise en place des plateformes de dématérialisation partenaires de l'administration (PDP) permettra aussi à la profession de mieux répondre aux demandes des clients avec par exemple des reportings sur les paiements beaucoup plus étayés. De plus, cette centralisation des flux de données pourrait servir de base aux experts-comptables pour "développer des services à forte valeur ajoutée, plus intégrés, plus globaux : aide au recouvrement de factures, sous-traitance de différents services administratifs".
Le président de l'ordre estime que "globalement, la profession s'est préparée, même si les reports successifs de la réforme n'ont pas fait du bien. Quand on vous demande de vous mobiliser sur un projet, et qu'on le reporte deux fois, cela casse un peu la dynamique. C'est pour cela qu'il ne fallait surtout pas le reporter de nouveau".
Un accompagnement des clients
Les experts-comptables vont être en première ligne pour accompagner leurs clients à travers leurs deux missions principales : la tenue de comptabilité, et encore plus la révision externe des comptes. Un accompagnement qui a déjà commencé, selon le Damien Charrier , et devrait se poursuivre durant toute la période de transition. "Sur la formation et l'information des clients, clairement il y a encore du travail, un peu de pédagogie à faire. En moyenne, les entreprises sont au milieu du gué. Mais n'est pas inquiétant", car il reste selon lui largement le temps pour être prêt dans les délais.
Pour aider les experts et leurs clients, l'ordre des experts-comptables met à disposition un ensemble de fiches et de guides, participe à des évènements comme la journée de la facturation électronique (le 13 mai prochain), communique dans les médias et va lancer une campagne de communication auprès du grand public en septembre.
Quelques risques très opérationnels
Le président de l'ordre des experts-comptables ne considère pas que la facturation électronique pourrait mettre en danger la profession des experts-comptables. Il identifie seulement quelques risques opérationnels, notamment sur la période de transition, jusqu'au 1er septembre 2027, "durant laquelle vont coexister différents flux, et la facturation électronique en sera un de plus". En conséquence, il faudra par exemple "être vigilant sur les doublons, puisque certains vont émettre des factures électroniques et continuer à envoyer une facture papier. Ce sera le rôle des data contrôleurs, en plus de contrôler les dates, les montants".
Le grand nombre d'éditeurs de PDP est aussi un point de vigilance : avec 87 dossiers d'immatriculation déposés, une centaine attendue, l'ordre des experts-comptables s'attend à une concentration du marché. D'où une nécessité de faire attention à la mise à jour des données, au transfert, à la façon dont les données de deux PDP qui ont fusionné seront traitées…
A terme, de façon plus pérenne, les experts-comptables devront être attentifs à "la survenance de tous les changements : que se passe-t-il quand une entreprise change de PDP ? Que se passe-t-il si jamais un problème dans l'annuaire fait que les factures ne sont pas adressées au bon endroit ? Comme à chaque fois qu'on entre dans le détail d'une mécanique, il faudra une connaissance fine des flux. Et ça, c'est ce que savent faire les cabinets d'expertise comptable".
Pour le président de l'ordre, si tout ceci représente un changement qu'il ne faut pas négliger, ce ne sera pas non plus une révolution chez les experts-comptables. "La facture électronique n'est jamais qu'une étape de plus. Depuis que j'ai commencé ce métier, nous n'avons pas arrêté de nous digitaliser".