Réforme de la formation, un an après quel bilan ?

Un an après leur mise en œuvre, quels regards porter sur le compte personnel de formation et l’entretien professionnel, deux des principaux dispositifs introduits par la loi du 5 mars 2014 portant réforme de la formation professionnelle ?

Des dispositifs plus ou moins connus

L’enquête conduite à l’automne 2015 par le Groupe de formation Demos auprès de 191 responsables formation apporte des réponses nuancées : si près de 4 responsables formation sur 5 avaient communiqué auprès de leurs salariés sur la réforme de la formation professionnelle, tous les dispositifs n’avaient pas fait l’objet de la même attention. Dans 71% des cas, le compte personnel de formation (CPF)  avait été communiqué en interne. Objet de toutes les attentions, il avait bénéficié par ailleurs d’une campagne de sensibilisation orchestrée par le Medef entre fin mai et fin septembre 2015.

A l’inverse, l’entretien professionnel qui est entré en application le 6 mars 2014, simultanément à l’entrée en vigueur de la loi, n’avait fait l’objet d’une information que dans 20% des cas. 18 mois après sa mise en place, seule la moitié des entreprises l’avait par ailleurs mis en place, majoritairement par le biais des managers directs, alors qu’au 7 mars 2016 tous les entretiens professionnels devront avoir été réalisés : la loi du 5 mars 2014 porte en effet obligation pour l’employeur d’organiser au moins tous les 2 ans des entretiens professionnels individualisés, distincts des entretiens d’évaluation.

Le CPF s’est-t-il pour autant installé dans le paysage de la formation professionnelle ? Le bilan est là encore à nuancer.

CPF, des résultats en demi teinte

Sur l’ensemble de l’année écoulée, près de 210 000 dossiers ont été validés. C’est peu, en référence aux 515 000 dossiers de formation financés en 2014 au titre du droit individuel à la formation (DIF) par les organismes collecteurs des fonds de la formation professionnelle (Opca). La complexité de mise en œuvre du CFP, contrairement au DIF pour lequel les conditions de mobilisation étaient relativement souples, explique ce démarrage difficile : seules des certifications inscrites sur des listes nationales, régionales et de branche (RNCP) sont éligibles au CPF. Ces certifications étaient au nombre de 12 736 à fin décembre 2015.

Sur ces 210 000 dossiers validés, seules 2 616 actions ont été conduites à leur terme et financées en 2015, représentant à peine plus d’1% du total.

Bilan en demi teinte également s’agissant de la mobilisation du CPF par les salariés : près de 4 dossiers sur 5 ont concerné sur 2015 des demandeurs d’emploi pour des projets de formation d’une durée moyenne de 585 heures, contre 150 heures environ pour les projets de formation engagés par les salariés. L’appropriation du dispositif par les salariés et les entreprises étaient loin d’être acquises à la fin de l’année 2015

Alors que le CPF montre toutefois de réels signes de vigueur depuis septembre 2015, ne risquons nous pas pour autant une impasse budgétaire pour la formation des salariés, compte tenu de l’impact de la réforme et du plan "500 000" demandeurs d’emploi présenté en janvier 2016 par François Hollande ?

Des interrogations sur le financement

Les nouvelles règles de financement de la formation professionnelle, en particulier la suppression de l’obligation légale de participation des entreprises de 300 salariés et plus au titre du plan de formation (« 0,9% » plan de formation), vont fortement impacter cette année les organismes financeurs de la formation professionnelle (Opca).

La contribution annuelle des entreprises est en effet ramenée à 0,55% ou 1% selon la taille de l’entreprise. Jusqu’à l’an passé, les entreprises s’acquittaient de leur obligation de participation à la formation professionnelle selon les dispositions antérieures à la loi du 5 mars 2014, représentant entre 0,55% et 1,60% de la masse salariale selon la taille de l’entreprise.

Selon des estimations établies fin 2014 par les services du ministère du Travail et de l’Emploi, les Opca pourraient voir le montant théorique de leur collecte au titre du plan de formation et transitant par eux diminuer de plus de 80% dès cette année, représentant un  "manque à collecter" de près de 3,2 milliards d’euros.

Les organismes collecteurs des contributions au titre du congé individuel de formation (CIF) sont profondément impactés également par la réforme de la formation professionnelle, notamment du point de vue financier. En effet, ces organismes (Fongecif, Opacif) ont perdu avec la réforme leur fonction de collecteur, au bénéfice des seuls Opca. Ainsi, la plupart des Fongecif et Opacif estimaient fin 2014 que leurs ressources pourraient diminuer de l’ordre de 15% à 20%.

D’autres incertitudes vont peser en 2016 sur les financements de la formation professionnelle au bénéfice des salariés : le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), qui collecte chaque année 900 millions d’euros sur les fonds de la formation professionnelle, voit la part de ses financements consacrés aux demandeurs d’emploi progresser d’année en année. De près de 27% en 2013, les financements du FPSPP fléchés vers les demandeurs d’emploi, vont passer à 38% de ses engagements, avec un effet accélérateur produit par le plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi supplémentaires annoncé en janvier dernier par le Président de la République.

Sans remettre en cause l’utilité de ce plan ambitieux  de formation au bénéfice des moins qualifiés - un million de demandeurs d’emploi ont un niveau inférieur au bac et 700 000 inférieur au CAP, l’orientation durable des fonds du FPSPP au bénéfice des demandeurs d’emploi ne risque-elle pas de s’opérer aux dépens de la qualification des salariés et de la sécurisation de leur parcours professionnel, l’un des objectifs premiers de la loi du 5 mars 2014 ?

Il serait regrettable qu’en 2016, au moment où les dispositifs se déploient effectivement, la contrainte financière ne vienne opérer un coup de frein. Dans cette hypothèse, il est fort à parier que cette réforme  (comme les précédentes en 2004 et en 2009) ne survivrait pas à la prochaine échéance présidentielle, faute de résultats… et de recul suffisant pour pouvoir apprécier ces derniers dans la durée.