La transformation numérique de l'enseignement supérieur ne peut plus attendre

Pour se moderniser, les établissements d'enseignements doivent changer tant leurs méthodes que leurs contenus, en mettant l'accent sur la collaboration et les soft skills.

La Une de Libération du 16 septembre 2020, titrée “Une rentrée en démerdentiel”, illustre bien la cruelle réalité du terrain dans l’enseignement supérieur : rien n’était prêt pour absorber les immenses besoins de modernisation. Alors que la crise a poussé les entreprises à accélérer leur transformation numérique, le monde de l’éducation n’a pas opéré la même mutation. Alors que les MOOCS et autres formations concurrencent depuis presque dix ans l’enseignement supérieur sur internet, les méthodes de collaboration entre élèves ou de partage des ressources entre étudiants et professeurs, ont en réalité peu évolué. Pendant le confinement, les enseignants ont dû improviser pour continuer un métier nécessairement altéré par les conditions sanitaires, sans directives sur les meilleurs moyens d’y parvenir. Leur aisance à utiliser la technologie a donc déterminé au moins en partie la qualité de l’enseignement délivré.

Pour rappel, le secteur est également l’un des plus affectés par la crise actuelle. Selon l’UNESCO, les fermetures d’établissements liées au COVID-19 ont affecté près de 70 % de la population étudiante mondiale. Aujourd’hui, élèves comme enseignants sont condamnés au pire des deux mondes : un présentiel imposé sans possibilité de respecter la distanciation ni les gestes barrières, sans que soit proposée une alternative satisfaisante s’appuyant sur les technologies et les pratiques de collaboration à distance ayant déjà largement fait leurs preuves en entreprise.

L’enseignement doit s’adapter aux pratiques des élèves et des professionnels   

Naturellement, les étudiants ne comprennent pas l’immense fossé qui sépare l’enseignement du reste de la société. Les élèves actuels ne voient pas les nouvelles technologies comme nouvelles. Elles sont un acquis faisant partie de leur vie. Que les institutions chargées de les préparer à la vie professionnelle soient à ce point en retard, tant en termes de contenus que de pratiques, sur ce qu’ils observent ailleurs leur est incompréhensible. Comment les blâmer, quand la culture technologique des établissements d’enseignement supérieur est encore ancrée dans le XXe siècle ? On y parle toujours infrastructure, archives, et base de données, alors que l’on devrait parler personnalisation, collaboration et services. Comment pourraient-ils comprendre que leur magasin de chaussures favori leur propose des services personnalisés en fonction de leurs goûts et de leur historique client, mais qu’ils ne sont qu’un numéro de dossier aux yeux d’un secrétariat ouvert quelques heures par jour au sein de l’institution censée préparer leur avenir ? 

La transformation de l’enseignement doit s’articuler autour d’une vision et d’une méthode. La première étape est de replacer le souci des étudiants au cœur de toutes les décisions, en s’adaptant à leurs attentes. Or celles-ci ont rapidement évolué ces dernières années : loin de rester passifs, ils s’attendent à un ensemble personnalisé d’expériences et d'outils d’apprentissage leur permettant d’interagir avec leurs enseignants, l’administration et leurs camarades. Si l’enseignement et l’entreprise sont bien évidemment très différents, il faut savoir prendre le bon de ce qui se passe dans les entreprises. En l’occurrence, le travail collaboratif y a été largement facilité. Deuxièmement, le contenu des enseignements ne peut plus se limiter à une hyperspécialisation des savoirs. 

Développer les compétences plutôt que l’hyper-spécialisation

D’un part, ce modèle n’est plus adapté à l’entreprise, où les savoirs-faire évoluent constamment. Si une connaissance technique est bien évidemment nécessaire, le développement des compétences humaines permet à chaque établissement de se distinguer alors que les programmes sont relativement similaires. A l’avenir, il sera plus important de pouvoir apprendre à apprendre, de se former régulièrement à un nouveau métier ou à un savoir-faire, plutôt que de rester cantonné à un domaine. Le futur du travail est incertain ; ne pas préparer les étudiants à cette incertitude serait une erreur. Par ailleurs, cette observation est valable dans le monde de la recherche, où la fertilisation croisée des disciplines donne lieu à des travaux toujours plus complets. Certains chercheurs comme Jean-Pierre Balpe se focalisent depuis plusieurs années sur l’algorithmie de la poésie, mêlant mathématiques, linguistique et littérature. La capacité à mêler différents savoirs est donc critique et l’ultra-spécialisation ne répond plus à aucun impératif, tandis que les compétences humaines, ou soft skills, se font toujours plus importantes. Or, répondre à cet enjeu nécessite de faire appel à des enseignants qui ne sont pas toujours sur site, renforçant encore le besoin de collaboration à distance.

La transformation doit être tangible

Bien entendu, la transformation numérique est un processus long et massif. Les établissements doivent donc se focaliser sur des chantiers prioritaires de long terme, mais ponctués de petits changements visibles et immédiats. Drew Cook, directeur des technologies à l’Université Lincoln, préconise d’adopter une approche structurée pour comprendre l'université en tant qu'organisation, sa structure, sa gouvernance, ses influences externes, ses informations et ses processus avant d'essayer de déterminer quelles technologies sont nécessaires. La création d’un solide réseau wifi adapté au nombre d’appareils connectés (jusqu’à trois par étudiant !) ou encore un basculement vers le cloud sont autant d’éléments tangibles à-même de faciliter la vie de tous. Travailler avec des consultants externes, ou faire appel à des influenceurs, sont également des moyens de transformer non seulement l’établissement mais également son image, afin de créer une marque pérenne. Traquer l’innovation, remettre l’étudiant au centre, et s’appuyer sur tout le panel des technologies disponibles, doit être la nouvelle feuille de route de tout établissement qui veut adapter son enseignement aux besoins d’aujourd’hui.