Frauder aux examens en ligne, simple comme une annonce sur Leboncoin
Avec la généralisation des épreuves en distanciel, les étudiants sont nombreux à chercher des professeurs ou des diplômés pour passer les examens à leur place. Pour trouver leur bonheur, ils n'ont qu'à parcourir le site de petites annonces.
Tout se passe sur Leboncoin*. D'abord, vous tomberez sur des annonces de cours particuliers, quelques-unes précisant : "Je refuse de passer des examens à distance à la place des candidats". Preuve que la demande existe. Avec la crise sanitaire et la généralisation des examens en ligne, elle a même explosé. En fouillant davantage, vous finirez par trouver des annonces avec la mention "aide aux devoirs en ligne". Simple aide aux devoirs ? Ou passage d'examens à la place du client ? "La plupart des personnes qui le proposent ne le précisent évidemment pas dans l'annonce", nous explique un étudiant. Pour être certain, il faut les démarcher. En deuxième année d'école de commerce, il raconte : "Pour certaines matières, je révisais au dernier moment et je me rendais compte que je n'y arriverais pas". La solution est à portée de clic. "J'ai commencé à chercher sur Leboncoin." Rares sont ceux qui annoncent clairement la couleur, mais ça existe. Certains précisent qu'ils acceptent… le paiement en CESU.
Comptez environ 80 euros par examen... payables en CESU
Parmi les auteurs d'annonce se trouve ce jeune prof de gestion en lycée. Il donne des cours particuliers depuis plusieurs années. Avec la crise, des étudiants se sont mis à le solliciter pour une "aide" aux examens en ligne. "Au début, c'était un non catégorique", confie-t-il. A l'époque au chômage, il se laisse finalement convaincre par des jeunes qui lui assurent avoir besoin d'aide parce qu'ils ont raté des cours à cause du Covid-19. "C'est différent des flemmards qui n'ont pas envie de bosser", se rassure le prof, qui pense avoir eu affaire la plupart du temps à "des personnes honnêtes, qui étaient réellement en difficulté et ne se reposaient pas sur cette option". Il dit avoir passé "quatre ou cinq examens" à la place d'étudiants depuis juin 2020. "Vis-à-vis de ma morale, c'est un peu délicat, admet-il. Quand j'ai commencé, je n'étais pas prof. Maintenant, il y a un conflit d'intérêt." Les 80 euros engrangés par examen le convainquent toutefois de continuer. Et puis "si ce n'est pas moi qui les aide, ce sera un autre", se justifie-t-il. Autant en profiter, puisque "la demande existe".
"Je reçois en moyenne trois demandes par semaine"
Une ancienne prof, titulaire d'un doctorat en sciences humaines, elle aussi repérée sur Leboncoin, confirme que le marché est "énorme". "De plus en plus d'étudiants achètent leur diplôme", s'agace celle qui a pourtant l'habitude de rédiger thèses et mémoires pour des étudiants. Elle apprécie néanmoins ce moyen "confortable" de gagner de l'argent et se justifie en invoquant le même motif que le jeune prof de gestion : "Si ce n'est pas moi, ce sera quelqu'un d'autre". Pour le passage d'examens en ligne, "c'est 50 à 80 euros. Et je reçois en moyenne trois demandes par semaine". Si elle en refuse la plupart, c'est parce "qu'il faut aller sur l'Intranet de l'étudiant. Ils me donnent le lien du site, le numéro d'élève et le mot de passe pour se connecter, c'est stressant". Pour les étudiants désireux de garder le contrôle, il existe une alternative : prendre en photo chaque question et les transmettre au prof, qui donne les réponses à l'écrit.
Nous avons contacté trois autres auteurs d'annonce proposant des cours particuliers sur Leboncoin, dont la description pouvait porter à croire qu'ils aident aux examens en ligne. Ils se défendent d'avoir accepté de telles requêtes mais confirment recevoir "énormément de demandes", "deux à trois par semaine en période d'examen".
Du côté des étudiants, "tout le monde triche", nous répète-t-on. Et Twitter regorge de témoignages en ce sens. Pour justifier leurs actes, beaucoup dénoncent des modalités d'examen plus compliquées, supposées freiner la triche mais démoralisantes pour ceux qui sont honnêtes : des temps d'examen plus courts pour le même nombre de questions à traiter, l'impossibilité d'accéder à la totalité du sujet d'un coup, questions de réflexion à la place de questions de cours… Bref, autant de bonnes raisons de faire passer leur examen par quelqu'un d'autre, estiment-ils.
Lexamen seffectuera en ligne et INDIVIDUELLEMENT. Aucune triche ne sera tolérée. https://t.co/LhCHdGpDzs
— Ace (@MeidineDfr) May 10, 2020
Un sentiment partagé par notre étudiant en deuxième année d'école de commerce : "Même s'il faudra que je travaille, je ne suis pas inquiet pour le jour où les examens reprendront en présentiel, parce que je sais qu'ils seront plus faciles. En attendant, j'en profite". Sur une vingtaine de demandes pour passer un examen de fiscalité à sa place, il a reçu trois ou quatre réponses positives, et fait son choix en fonction du prix proposé – "habituellement aux alentours de 80 euros, même si on m'a déjà demandé 150 euros" – et du "feeling". Il faut en effet avoir confiance, parce que rien ne garantit de pouvoir compter sur l'inconnu déniché sur Internet. Pour son dernier examen, cet étudiant a payé 80 euros pour obtenir un 12/20. On vous laisse juge.
Afin de lutter contre cette fraude, certaines écoles et universités investissent dans des logiciels de surveillance, filmant les étudiants qui planchent sur un examen en ligne. Un étudiant en master connaît "au moins une vingtaine" d'élèves de sa promo ayant fait passer un examen par quelqu'un d'autre, sans y assister ni même avoir un aperçu des questions posées. Depuis qu'un outil de surveillance a été mis en place, "ça s'est calmé".
Ce genre de dispositifs ne refroidit cependant pas tout le monde. Un autre étudiant d'école de commerce nous raconte s'être rendu chez quelqu'un démarché sur Leboncoin pour qu'ils passent l'examen côte à côte. Beaucoup de ses amis font aussi appel à un tiers : l'un est aidé par sa mère avocate, l'autre par son père qui travaille dans la finance, ou encore par des amis, frères, sœurs plus avancés dans les études. Lorsqu'on a fait le tour de ses contacts, le démarchage sur Leboncoin constitue le dernier recours.
Après avoir usé de ce système pour plusieurs épreuves, l'étudiant est devenu expert en la matière. Selon lui, le marché des examens en ligne de droit est le plus tendu : "Pour vingt demandes, je reçois une seule réponse positive et plusieurs longs paragraphes m'expliquant ce que je risque en fraudant". Reflet des mœurs des diplômés en droit ? Pour son partiel de droit justement, l'étudiant a payé 50 euros, une aubaine. "Par contre, j'ai eu 8,5/20, alors que la personne que j'ai payée est magistrat", se livre-t-il. "J'ai envoyé un message pour me plaindre, resté sans réponse". Pas de service après-vente dans le business de la fraude aux examens.
*Le JDN a sollicité Leboncoin pour savoir si l'entreprise avait conscience du phénomène. Le site de petites annonces, qui a un statut d'hébergeur, passe par des "filtres automatiques informatiques" pour contrôler "les 800 000 annonces déposées chaque jour sur le site" et assure que les "équipes en charge de ces algorithmes ont identifié ce problème de fraude aux examens et sont mobilisées dessus". Le site rappelle que "si une annonce contraire à [ses] règles de diffusion et/ou illicite est diffusée malgré le filtrage automatique, et qu'elle elle fait l'objet d'un signalement par un de [ses] utilisateurs - très sensibles à la qualité du contenu du site - une équipe dédiée peut la retirer a posteriori".