À quand la gestion des compétences collectives ?

La gestion des compétences s'est imposée comme une pratique incontournable du management des ressources humaines. Elle reste toutefois - encore aujourd’hui - uniquement orientée individus, alors que le travail se veut aujourd'hui plus collaboratif qu'hier. Alors, à quand une gestion des compétences collectives ?

Depuis plus de 20 ans et l’accord ACAP2000 (Accord sur la Conduite de l’Activité professionnelle) signé par les entreprises du GESIM et quatre organisations syndicales (dont la CGT) en 1990, la gestion des compétences s’est très largement installée comme une pratique incontournable du management des ressources humaines. Relevant l’importance de cet accord, Alain Lelaube, journaliste au Monde, écrivait alors : « Tous les tabous sont bousculés. Désormais, la position d’un salarié de la sidérurgie ne sera plus définie en fonction du poste de travail occupé. L’homme et son métier comptent plus que son rapport à la machine. Son salaire de base sera établi à partir d’une classification qui sera elle-même fondée sur la somme de ses compétences, et de ses connaissances, reconnue par un diplôme ou non. »

La logique compétence constituait une réponse au déclin du modèle taylorien-fordien et devait permettre de faire face à un ensemble de mutations auxquelles étaient confrontées nos entreprises : mutations économiques d’abord avec une exacerbation de la concurrence et la nécessité non plus de faire uniquement volume, mais aussi de se différencier et maitriser (plus qu’auparavant) les coûts ; mutations également sociales avec un travail moins manuel et  plus intellectuel répondant bien à une population active globalement mieux formée et en attente d’un travail plus stimulant ainsi que d’une meilleure reconnaissance de leurs compétences.
En s’appuyant sur les compétences mobilisées en situation de travail par les salariés, la gestion des compétences a permis de sortir d’une stricte logique poste de travail et faire significativement évoluer la gestion de la relation d’emploi dans nos entreprises. Ainsi, rémunération, formation et carrières sont aujourd’hui très largement définies par l’évaluation des compétences réalisée par les managers.
Et il faut s’en féliciter ! Du point de vue des salariés, une telle évolution, à n’en pas douter, a constitué - et constitue encore aujourd’hui - un levier important de motivation des salariés tout autant qu’une source de prises de conscience de la nécessité de gérer leur employabilité. La gestion des compétences a ainsi ouvert le chemin de l’individualisation des pratiques de gestion des ressources humaines. Au niveau organisationnel, cette dernière a contribué à favoriser l’adaptation des entreprises aux nouvelles règles de concurrence et a ainsi permis de gagner en flexibilité et en réactivité.
Aujourd’hui, nos entreprises doivent faire face un environnement toujours plus exigeant rendant impératif de créer les conditions organisationnelles et managériales pour essaimer une culture de  l’innovation sous toutes ses formes. Parallèlement, si l’on en croit la récente enquête Gallup sur l’engagement des salariés, de nouveaux relais de motivation doivent être trouvé afin de mieux impliquer cette majorité de salariés désengagés. Une meilleure prise en compte du travail collectif constitue une voie possible.
Selon les enquêtes Changements Organisationnels et Information, 59 % des salariés interrogés déclarent « réaliser une partie de leur travail en groupe ou collectivement ». Dans neuf cas sur dix, le travail en groupe est « réalisé avec des collègues appartenant à une même unité de travail », mais il n’est plus réalisé indépendamment d’autres collectifs, puisque dans près de 50 % des cas, il est « réalisé avec d’autres personnes de l’entreprise » et dans 25 % des cas « avec des personnes extérieures à l’entreprise ». Le travail collectif n’est en soi pas nouveau. Même dans l’ancien schéma fordo-taylorien de travail, le collectif était présent, mais Taylor ne s’intéressait qu’à l’individu isolé sur la chaîne de montage quand il mit en place son Organisation Scientifique de Travail (OST). Aucune place n’était faite aux formes collectives de travail. Ce qui a changé ces dernières années, c’est le regard que les responsables d’entreprises portent sur le travail collectif en lui reconnaissant une valeur ajoutée ainsi qu’en tentant de le promouvoir. Ainsi, le travail collectif n’est plus clandestin, mais constitue un enjeu managérial et stratégique dont les entreprises doivent se saisir.
Des recherches en management ont montré qu’une compétence collective se construit dans l’échange, via l’engagement des individus dans la discussion collective des modalités de réalisation de leur travail. Cet engagement produit par exemple ainsi un langage opératif commun, des représentations partagées, ou encore une mémoire collective. Ces éléments assurent la pérennité de la compétence collective et apportent surtout un surplus de performance (dans une considération élargie d’efficience, d’adaptabilité, de flexibilité, de rentabilité, d’innovation, de qualité ou encore de bien-être au travail). Alors, innovons, et gérons les compétences collectives !