Le bien-être en entreprise : une question d'intérêt

Se sentir bien dépend toujours des circonstances, c’est-à-dire des interactions du milieu dans lequel nous vivons. Le bien-être ne peut donc pas être défini a priori à partir de lois morales ou d’un code de conduite, mais il repose sur une organisation intelligente ad hoc et sur le respect par tous des intérêts de chacun.

Le bien-être en entreprise n’est pas une question de morale, mais de bon sens. De même, au niveau d’un individu, la santé du corps et de l’esprit ou le bonheur n’est pas tant un bien en soi, une valeur morale universelle, qu'un bien pour soi, c’est-à-dire un intérêt personnel. L’intérêt, c’est le bien que chacun recherche pour soi ; la morale, c’est le bien pour tous, mais pas forcément pour chacun, et c’est bien là son paradoxe. Prendre le bien ou le mal comme valeurs en soi, absolues, entraîne des raisonnements trop abstraits, trop éloignés de la réalité et de chacun, pour susciter l’adhésion de tous. Le bien-être ne peut donc pas se définir par une série de « recettes » coupées des préoccupations des salariés, ce qui montre aussi la limite d’un certain type de conseil en entreprise, trop a priori pour être adapté. Or, d’une part, le bien et le mal sont trop intimement liés dans les circonstances pour être définis avec précision et, d’autre part, leur distinction reste encore relative à l’interprétation de chacun. C’est pourquoi la morale nous semble souvent excessive, voire autoritaire, par manque de lueur, de vitalité, de force de conviction. Larochefoucault écrivait d'ailleurs : « Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer ».

Les intérêts doivent se fondre par le dialogue afin d'atteindre le bien-être

Nous travaillons avant tout pour notre propre subsistance et nos besoins, pour ceux de notre famille et de nos proches, avant de travailler pour les besoins des autres. Il n’y a donc rien d’immoral à concevoir l’intérêt personnel, à l’origine, comme naturellement égoïste, si nous acceptons de ne pas nous y limiter. En effet, l’intérêt et le bien-être du manager, ne peuvent diverger de ceux de son équipe, ce qui relève encore du bon sens. Bien-être et intérêt sont d’ailleurs intimement liés : Le bien-être, c’est l’intérêt adapté et approuvé, en accord avec l’intérêt des autres, donc libre de se réaliser puisque dénué de contraintes organisationnelles. Or un salarié libéré des contraintes organisationnelles est plus disponible pour contourner les contraintes environnementales. Le manager comprend ainsi qu’il doit dialoguer, négocier afin que son intérêt s’adapte, fasse corps et donc se prolonge dans l’intérêt de l’équipe et dans celui de chaque ressource humaine de l’entreprise. Le dialogue fonde ainsi l’intérêt général, mais il n'est lui-même possible que si l'organisation est découpée en unités suffisamment petites pour pouvoir s'accorder. Donc même si l’intérêt managérial est avant tout politique ou financier, il ne peut se résoudre entièrement à ces deux aspects. En effet, le besoin d’appuyer son autorité sur la dominance hiérarchique est déjà symptomatique d’un manque de confiance en soi et en l’autre. Quant au quantitatif, il dépend nécessairement du qualitatif, là où l’inverse n’est pas toujours vrai. Il est donc difficile d’être rentable aujourd'hui si le bien-être ou la qualité des conditions de travail est négligé, car la lassitude et l’injustice ressenties sous un management autoritaire finissent toujours par produire des dépenses outrancières.
 
L’intérêt général protège les intérêts particuliers des tensions

Par la loi de Yerkes et Dodson, la psychologie nous montre qu'un individu a besoin d’un stress moyen, ni peu ni trop, mais une juste excitation, pour atteindre une motivation et une efficacité maximale. Si nous avons peu de stress, l’importance que nous accordons à l’objet de ce stress est trop faible ; avec trop de stress, en sur-stress, elle est trop forte. Après, tout dépend des capacités de chacun, mais il est évident que le capital d’énergie d’un employé est plus élevé si le stress le motive, le pousse à se dépasser plutôt que s’il le presse, l’oppresse et donc le freine, voire l’arrête. Un individu en sur-stress est plus fatigué et fatigable, moins lucide et motivé, il s’adapte moins bien physiologiquement et psychologiquement, et donc a plus de risques d’avoir des maladies ou des accidents. La tension qu'il génère réduit son champ de vision, accroît son angoisse, le rend plus irritable, l’empêchant ainsi de réfléchir sereinement, de se comporter intelligemment, de créer, tant il est pris, voire submergé par les causes de ce sur-stress. Ce qui constitue non seulement une dépense importante en temps, énergie et argent, mais encore un manque à gagner considérable, pour l’entreprise comme pour notre société. Or la tension générée par le sur-stress est palpable quel que soit le milieu où nous nous trouvons, elle se répand en contaminant tous ceux qui l’approchent et d’autant plus si sa durée et son intensité sont importantes. Elle finit ainsi par toucher insidieusement tout le monde, y compris les managers et dirigeants qui perdent donc leur propre intérêt, et jusqu'à leur santé, dans la perte de l’intérêt général, c’est-à-dire ici le bien-être de chacun.
 
Manager par la peur, c’est gâcher les forces vives de l’entreprise, les siennes comme celles des employés ; de même, manager par le vide, mettre à l’index, au placard, c’est encore créer des tensions inutiles. Un employé inadapté à une entreprise doit être convaincu de partir ou être renvoyé dans les règles et au plus vite, ce qui peut se révéler difficile si la direction est en conflit avec les salariés. Il est donc de bonne augure de respecter le précepte stratégique qu'un bon dirigeant doit savoir bien s’entourer, c’est son bien-être à lui. Créer une efficacité relationnelle dans une organisation, en la fondant sur le dialogue, revient alors à pérenniser son efficience et sa croissance. C’est encore fondre son intérêt dans celui de ses collaborateurs, et faire d’un bien pour soi un bien pour tous. Ainsi le manager devient bienveillant, non pas par des principes éthiques ou moraux aux interprétations troubles et sans fin, mais à la mesure même de son intérêt, c’est-à-dire par l'adéquation avec l’intérêt de son équipe et celui de son entreprise.