Congés illimités, semaine de 4 jours, horaires sur mesure... Ces entreprises françaises qui ont franchi le pas

Congés illimités, semaine de 4 jours, horaires sur mesure... Ces entreprises françaises qui ont franchi le pas Les horaires et temps de travail sont un marqueur de la vie en entreprise, une contrainte que les salariés doivent accepter pour le bon fonctionnement de l'organisation. Pourtant, certaines entreprises s'en affranchissent.

Choisir librement quand et combien de temps partir en congés, ne travailler que quatre jours dans la semaine, fixer soi-même ses horaires : une utopie pour les salariés, une mesure anti-productive pour les entreprises ? Certaines organisations prouvent pourtant le contraire.

Ainsi, à l'agence de développement web YesWeDev, les salariés déterminent eux-mêmes leurs horaires et leur lieu de travail. Tous sont aux 35 heures hebdomadaires, lissées sur deux ou trois semaines. "On peut dire 'là je ne suis pas bon, je reviens dans deux heures'", explique le dirigeant Charles Dupoiron.

PopChef, solution de restauration d'entreprise, a mis en place "une organisation libre des congés", terme que le fondateur François Raynaud De Fitte préfère à celui de "vacances illimitées", avec en contrepartie des objectifs trimestriels. "En tant que dirigeant, je ne demande à personne si je peux partir en vacances, mais tous les trois mois je dois rendre des comptes au board. Il n'y pas de raison que les salariés soient traités différemment". Ils prennent en moyenne six semaines de congé par an.

Chez l'éditeur de solutions professionnelles Anikop, les salariés ont  des congés et des horaires libres, sans objectif à échéance précise. Pour simplifier la gestion des ressources humaines, tous ont progressivement été passés au statut de cadre. Sa maison mère, le géant du commerce informatique LDLC, est, elle, passée à quatre jours de travail par semaine, sans baisse de salaire. Tout comme la société de recrutement Welcome To The Jungle, où les salariés prennent leur mercredi ou leur vendredi, avec révision chaque trimestre, afin de ne pas frustrer ceux qui n'ont pas le jour souhaité.

Chez Love Radius, fabricant de porte-bébés, vendredi est jour de congé, mais uniquement de mai à septembre. Le fondateur Olivier Sâles tenait à "créer du contraste", et l'activité commerciale est moins soutenue à cette période. Dans les deux entreprises, on assure qu'il ne s'agit pas d'une approche "radicale" : les salariés peuvent gérer une urgence sur leur jour de repos ou prendre deux heures pour finir une tâche… Ce qu'ils faisaient auparavant le week-end.

Est-ce que les salariés en profitent vraiment ?

Les difficultés ne sont pas forcément celles que l'on croit. Pour toutes les entreprises, les abus sont quasiment inexistants. Selon Isabelle Rey-Millet, directrice générale du cabinet de conseil en management EthiKonsulting et professeure à l'Essec, ils ne surviennent que si l'entreprise donne "de la flexibilité alors qu'elle a une culture du contrôle".

Ainsi, si YesWeDev est revenue sur les congés illimités, c'est parce que les salariés n'en profitaient pas vraiment. Pour Charles Dupoiron, "ce genre d'avantage est à installer quand les gens sont plus seniors. Juniors, ils ne réussissent pas toujours à savoir combien de temps va leur prendre une tâche". Côté horaires, s'ils ne sont pas un sujet quand chacun travaille de son côté, "quand on prévoit un travail à plusieurs et que l'un ne vient pas, cela crée des tensions. Mais on en discute. Et cela arrive partout".

Chez PopChef, François Raynaud De Fitte reconnait que "c'est inégal, il y a un ou deux profils qu'on doit pousser à partir, mais c'est vrai dans toutes les boites". Le directeur associé d"Anikop Nicolas Perroud explique que " les premiers mois de mise en place, certains n'osaient pas, il y avait un peu de chambrage. On a résolu ça en discutant beaucoup. "

Cette plus grande flexibilité peut-elle s'accompagner d'une pression accrue ? Pour Marion Trancoën, responsable communication de Love Radius, "au contraire, on est plus concentrés et plus légers". Pour François Raynaud De Fitte, il s'agit plus d'une "responsabilité, une pression saine", et il avoue n'avoir "jamais compris l'argument de la pression, c'est plus lié à la culture d'entreprise".

Chez Welcome To The Jungle, certains ont eu des difficultés à s'organiser sur quatre jours. Ce qui a conduit à la création d'un podcast sur la gestion du temps. La directrice générale Camille Fauran, explique aussi que "quand un projet n'aboutit pas ou que la deadline n'est pas respectée, il y a le risque de dire 'le problème c'est la semaine de quatre jours', mais souvent il est ailleurs et se serait posé quand même". A Love Radius, Olivier Sâles raconte que "certains revendeurs ont pu être un peu irrités, parce que cela donnait des idées à leurs propres équipes. Mais c'est vraiment anecdotique".

Autonomie et confiance, clés du succès

Pour Isabelle Rey-Millet, "la base c'est de lâcher la carotte et le bâton pour passer à un système où les gens sont responsables et autonomes", ce sur quoi insistent d'ailleurs toutes les entreprises interrogées. Pour François Raynaud De Fitte, il est important d'avoir des "objectifs tangibles pour savoir ce qu'on attend de nous".

La communication est primordiale, car chacun doit savoir quand les membres de son équipe sont disponibles ou pas. Les plannings individuels ne doivent pas pénaliser le fonctionnement de l'entreprise : un roulement est souvent nécessaire pour assurer un interlocuteur en permanence aux clients, les réunions doivent être prévues selon les disponibilités de chacun. Et des moments de rencontre de l'équipe restent indispensables.

Chez Anikop, "il y avait des questions avant la mise en place : est-ce que les gens vont regarder combien de vacances j'ai pris ? Il y a eu un travail en amont, les salariés ont écrit une charte interne morale, et on a eu un accompagnement juridique ainsi que celui d'un coach pour le changement". Nicolas Perroud estime le succès possible avec "une vraie croyance du dirigeant sur le bien-être". Pour Isabelle Rey-Millet, "le changement dépend du relais hiérarchique : dans certaines entités le manager est plus rebelle, croit plus en la nature humaine".

Mais elle incite aussi à agir en concertation avec les salariés. Elle cite l'exemple de la création d'une chaine de production dans une usine, où les salariés, impliqués dès la conception, puis laissés en autonomie, sans contremaître, ont mis en place la semaine de quatre jours, sans perte de production. Avantage pour l'entreprise : "un jour pour faire de la maintenance préventive, au lieu d'avoir un jour de panne par mois". YesWeDev a aussi mis en place une gouvernance collective, car "celui qui fait sait le mieux quelle est la meilleure organisation".

Dans ces entreprises, les pratiques et la nécessité de chaque règle sont questionnées régulièrement. Isabelle Rey-Millet avertit qu'il faut "identifier les facteurs clés de succès et les contraintes externes, pas celles que l'entreprise se donne arbitrairement".

Une meilleure organisation du travail

Aucune entreprise interrogée n'a constaté de chute de productivité. Pour Charles Dupoiron, "l'objectif, c'est plus une amélioration de la santé mentale que de la productivité, mais cela y contribue aussi". Isabelle Rey-Millet assure qu'on peut mesurer "plein d'autres éléments que les chiffres habituels : l'absentéisme, qui coûte 108 milliards d'euros en France mais est peu regardé. Le turnover, qui dans certaines entreprises dépasse 20%, avec un coût élevé de réembauche. Alors que quelqu'un bien dans son métier y reste, et peut aussi former de nouveaux arrivants".

Camille Fauran note que la semaine de quatre jours oblige les salariés à revoir leur organisation du travail, réduire les réunions. Surtout, elle offre une "soupape : certains ont une autre activité professionnelle sur leur jour off, pour d'autres cela permet de s'enrichir intellectuellement différemment, prendre du recul sur sa vie professionnelle, passer plus de temps avec ses enfants".

Cela a aussi amené une réorganisation de l'entreprise, avec des créations de poste pour que les salariés se concentrent sur leur cœur de métier, notamment dans le service commercial avec le développement de postes d'avant-ventes. Ce qui a permis d'augmenter le taux de rendez-vous des commerciaux.

Pour Marion Trancoën, l'organisation de Love Radius à quatre jours une partie de l'année est idéale, même s'il faut "apprendre à hiérarchiser encore plus" sur les périodes à quatre jours. Et le retour à cinq jours donne "un jour de plus pour faire autre chose, comme de la veille". Selon elle, les salariés "essayent de le rendre ce qu'ils reçoivent, c'est du donnant donnant".

Plusieurs entreprises notent aussi que ces avantages profitent concrètement aux salariés, mais sans grever le budget comme le feraient de fortes hausses de salaire.

Une autre philosophie du travail

Ces organisations reflètent une autre philosophie du travail. Isabelle Rey-Millet "espère que revoir la conception un peu étriquée des horaires va se développer. Cela devient impératif pour les générations qui arrivent. Il y a un vrai mouvement, lent mais qui avance."

De l'aveu des entreprises, une vision plus flexible des horaires est souvent un critère pour les candidats en recrutement. Même s'il faut faire attention à ce que ce ne soit pas leur principale motivation. Pour Nicolas Perroud, "cela se repère facilement. Mais beaucoup viennent pour le projet, les valeurs, et ça c'est un vrai critère de recrutement".

Isabelle Rey-Millet reconnait que chaque système ne peut être "généralisé à toutes les entreprises", mais " beaucoup de choses peuvent être adaptées, même dans les entreprises percluses de contraintes. Chaque entreprise doit avoir une réflexion spécifique, y compris sur des métiers différents qui nécessitent peut-être des aménagements différents".

Pour elle, "c'est dans la nature humaine d'avoir envie de bien faire et de se rendre utile, on le voit avec le bénévolat". Les entreprises qui responsabilisent leurs salariés s'appuient sur "le principe de motivation intrinsèque", plus efficaces que des contraintes externes. "Les gens ont besoin d'un cadre d'action mais pas qu'on leur dise comment faire les choses".