Les deskless : grands oubliés de la transformation digitale

À l'heure de l'entreprise digitale, n'est-il pas enfin temps d'inclure les "deskless", exerçants des métiers qualifiés d'essentiels, dans la transformation numérique ?

Infirmiers, caissiers, serveurs, techniciens, vendeurs, magasiniers… Encensés pendant la pandémie, les « Front-Line Workers » (FTW) représentent 80 % de la population active mondiale, selon Rise of the Deskless Workforce. Exerçant des métiers qualifiés d’essentiels, la plupart d’entre eux sont pourtant "deskless", c’est-à-dire déconnectés du système digital de leur employeur. Démobilisation, sentiment d’exclusion : ce déséquilibre ne va pas sans poser de problème. Il prive également les organisations de précieuses remontées "terrain". À l’heure de l’entreprise digitale, n’est-il pas temps, enfin, d’inclure tous les salariés, sans exception, dans la transformation numérique ?

Les deskless, exclus involontaires de l’entreprise digitale

Le chiffre est difficile à croire : alors que le digital s’est propagé à tous les niveaux de la société, 50 % des Front-Line Workers, qui représentent aussi 2,7 milliards de salariés dans le monde, sont "deskless", littéralement sans bureau, donc sans adresse mail ni accès à la "digital workplace" de leur employeur. Au mieux, ils disposent d’un ordinateur partagé ou d’un accès à celui de leur manager. Rien d’optimum, en tout cas, pour recevoir des informations de manière réactive.

Jusqu’à une période récente, ce fonctionnement ne posait pas de problème majeur. La communication passait par d’autres canaux, qu’ils soient oraux ou papiers. Mais aujourd’hui, le monde a changé. L’intégralité des assets passe par Internet, et la "digital workplace" est devenue indispensable pour booster la productivité des collaborateurs. Présupposant que chacun est connecté, le management attend des salariés qu’ils consultent leurs contenus professionnels sur leurs outils personnels. Ce que refusent naturellement les Front-Line Workers, dont les salaires modestes ne leur permettent ni de se payer le dernier smartphone, capable de supporter des dizaines d’applications, ni d’en changer régulièrement. S’ils doivent télécharger les centaines de gigas de documents de leur entreprise, c’est au prix du sacrifice des photos personnelles. La choix est vite fait !

Le digital, terreau des inégalités au travail

Dans ces conditions, 52% des salariés estiment manquer des informations provenant du siège. Au-delà de simples "loupés" en termes de diffusion, ce déséquilibre crée surtout un fort sentiment d’exclusion. Quand les cadres se plaignent de leurs mauvaises connexions et réclament de grands écrans pour mieux télétravailler, les FTW, eux, n’ont même pas d’adresse mail ! À l’inégalité des salaires, s’ajoute ainsi la discrimination digitale, nouveau révélateur des déséquilibres entre cols blancs et cols bleus. En résulte, inévitablement, une démobilisation pouvant aller jusqu’à la démission ce qui, dans des métiers en tension, s’avère particulièrement coûteux.

L’exclusion digitale des travailleurs de première ligne présente aussi un autre écueil : celui de se priver des informations du terrain, précieuses pour enrichir les traditionnels KPI. Or, les organisations savent peu collecter et mesurer ces retours, pourtant essentiels pour devenir une entreprise véritablement "data driven".

Les Directeurs Généraux doivent impulser le changement

Aujourd’hui, les entreprises se rendent néanmoins compte que penser d’en haut ne suffit plus. Partager l’information avec les FLW est ainsi souhaité par 81% des dirigeants selon Dirigeants, acteurs de la transformation numérique, Dominique Mockly et Louis Naugès. Mais dans la réalité, ce vœu pieu ne trouve satisfaction que dans 29% des cas. Il est donc plus que temps d’accélérer le mouvement. Or, les moyens ne manquent pas : écrans connectés, téléphones mobiles, codes d’accès à des espaces de travail partagés ou encore applications spécialisées dans la collecte des retours terrain. À chaque besoin, sa solution spécifique. Et loin d’être gigantesques, les montants à investir seront toujours moins coûteux qu’un turnover important, nécessitant des recrutements à la chaine.

Désormais, c’est aux Directeurs Généraux de s’emparer de ce sujet transversal. Ils ont tout à y gagner : meilleure implication, fidélisation de leurs collaborateurs, attractivité sur le marché de l’emploi. Les enjeux dépassent largement ceux de la performance opérationnelle. Avant tout, il s’agit de rééquilibrer les attentes de tout le corps social et de remettre du sens dans le travail. Pour faire en sorte, enfin, que les travailleurs du front ne soient plus aussi des salariés du "less" : "less connected" ou "deskless".