Télétravail : ce que la SCOP nous apprend sur la motivation des collaborateurs

Une grande part de la motivation au travail tient à l'appropriation de ses propres tâches, les spécificités du modèle de la société coopérative et participative (SCOP) semblent le démontrer

Contraintes en 2020 d’adopter le télétravail en un temps record et sans conduite du changement, la majorité des entreprises dont le modèle économique le permettait ont eu le temps de s’apercevoir qu’elles pouvaient fonctionner dans ce mode. Pour certaines, l’expérience s’est même traduite en gains de productivité.

Si, au début, des voix s’élevaient pour décrier ce mode de travail et prôner un retour massif au bureau, il semble aujourd’hui de plus en plus admis que nous sommes entrés dans l’ère de la flexibilité. Mais au-delà de la question de la présence et de l’éloignement, il est sans doute essentiel de s’interroger sur la nécessité d’encourager l’appropriation de leur travail par les collaborateurs de l’entreprise, afin que la confiance ne soit plus synonyme de présence.

L’alternance d’épisodes de retour au bureau et de télétravail recommandé, voire obligatoire, ont transformé le rapport du salarié au bureau. Si pour certains le travail à distance est subi, pour d’autres, il offre une possibilité de gérer son temps différemment. Pour beaucoup, au-delà des préférences personnelles, la flexibilité est devenue la norme.

Si certains rêvent encore « à la vie professionnelle d’avant », invoquant des arguments, d’ailleurs valables, comme la souffrance, l’isolement et le renforcement des disparités sociales ou encore le risque d’une perte de créativité ou d’identification d’informations essentielles, directement liés à l’échange qui naît en dehors des réunions formelles (la fameuse sérendipité, aussi largement discutée que peu analysée), beaucoup reconnaissent que le monde du travail a irrémédiablement changé.

Parmi ceux qui ont le plus souffert de ce bouleversement, les « manageurs ». Selon une étude [Source : Le Parisien], 66 % des managers (et 72 % des femmes) trouvent cette fonction stressante. La moitié trouvent que leur métier est devenu trop difficile depuis le premier confinement (56 % dans les entreprises de moins de 1 000 salariés). 13 % d’entre eux déclarent même qu’ils n’aiment pas diriger leur équipe.

Beaucoup avouent la difficulté à exercer le mode de management qu’ils utilisaient jusque-là avec succès. La redéfinition des modes de management liés à la crise sanitaire a sans nul doute créé des difficultés dans certains environnements, pourtant toutes les entreprises n’en ont pas pâti de la même manière et certaines entreprises, 100 % en télétravail, fonctionnent de manière satisfaisante, au moins sur le plan opérationnel (l’isolement, le manque d’échanges informels, l’ergonomie du poste de travail peuvent nuancer ce constat).

Il est donc intéressant de s’interroger sur les raisons de ces disparités. Évidemment, il convient d’abord de rappeler que toutes les activités ne se prêtent pas au télétravail de la même manière — les activités liées au secteur informatique et au marketing, par exemple, sont plus facilement « télétravaillables » — et qu’il est des stratégies plus faciles à mettre en place dans une TPE que dans une multinationale.

Pourtant il existe un dénominateur commun à l’ensemble des entreprises, associations, administrations et regroupements : la motivation.

On s’accorde volontiers à dire que sur un plan personnel, les trois éléments clés de la motivation sont : l’autonomie, l’envie d’être bon dans ce que l’on fait, et le besoin de donner un sens à sa vie.

En un mot, une grande part de la motivation au travail tient à l’appropriation de ses propres tâches, dans un environnement de travail placé sous le signe de la confiance mutuelle, et idéalement dans un contexte d’épanouissement personnel.

SCOP : appropriation du travail et épanouissement

À ce titre, les SCOP (Sociétés coopératives et participatives) sont représentatives de l’environnement dans lequel le changement du mode de travail n’a qu’un impact limité sur la motivation du collaborateur.

Pour rappel, la SCOP est une société coopérative et participative, de forme SA, SARL ou SAS dont les salariés sont les associés majoritaires, et le pouvoir y est exercé démocratiquement. Les salariés détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. La part travail — ou participation aux bénéfices — répartie entre tous les salariés, qu’ils soient associés ou non (au minimum 25 %, plus de 40 % en pratique), compte aussi dans les spécificités de ce format d’entreprise.

Par nature, ce mode de gouvernance se prête éminemment à l’appropriation, non seulement de l’entreprise, mais aussi de son succès, et in fine des tâches qui participent de ce succès.

Philippe Bernoux, dans son ouvrage, « Mieux-être au travail : appropriation et reconnaissance » daté de 2015, explique ainsi que les ouvriers s’aménagent « des marges d’autonomie pour réaliser au mieux leur tâche, et créent dans la production des stratégies d’ajustements et d’inventivité. » Cette appropriation constitue un rouage indispensable au bon fonctionnement de l’organisation.

Il précise par ailleurs que l’appropriation est « multidimensionnelle : qu’il s’agisse de l’espace de travail, du temps, des gestes ou de la gestion, les salariés investissent tous les interstices qui leur permettent d’adapter la prescription du travail aux impensés et imprévus qu’impose le travail en train de se faire. »

Parce que « fondées sur la délégation, un équilibre entre liberté et responsabilité, et des pratiques de gestion des ressources humaines soumises à la délibération », les SCOP cumulent les caractéristiques qui permettent l’appropriation du travail et la motivation. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans certaines SCOP, les postes de DRH et managers ont été créés bien après la mise en place d’une organisation du travail en autonomie.

 L’autonomie y était déjà omniprésente, la structure hiérarchique n’est venue que dans un second temps pour orchestrer la coordination des activités et assurer le suivi humain.

Télétravail : le casse-tête de l’appropriation et de la motivation

Bien qu’elle repose sur une recherche en observation participante dans un atelier d’OS menée dans les années 1970, l’analyse de Bernoux se prête tout autant au télétravail effectué dans une économie devenue numérique.

S’il n’existe pas encore d’étude sur le sujet de l’adaptation des SCOP dont l’activité le permettait à des conditions de télétravail inédites, il y a fort à parier que les résultats de cette étude (peut-être à venir ?) démontreraient qu’on y a observé moins de problèmes de transformations que dans des organisations disposant d’un modèle de gouvernance plus traditionnel.

Dans ces dernières, les managers ont manifesté leur désarroi. Les difficultés rencontrées par ces derniers sont directement liées à l’autonomie et l’appropriation du travail des « managés ».

Lorsqu’elles ne se sont pas produites naturellement, l’activité s’en est nécessairement ressentie.

Lorsqu’elles ont eu lieu (on peut imaginer qu’en raison de la rapidité avec laquelle le télétravail a été imposé, les stratégies d’ajustement et d’appropriation ont existé), les managers ont également perdu une partie de leur rôle, tel qu’il existait ou était exercé.

À moins de mettre en place et d’entretenir des mécanismes de suivi régulier de chaque employé, la collaboration numérique distante engendre nécessairement une transformation du lien hiérarchique dans l’entreprise.

Avec la distance et la réappropriation, l’employé devient — enfin — collaborateur. Il n’est plus pour lui seulement question d’exécuter des tâches. Dans une entreprise où les collaborateurs se sont approprié leur tâche, l’autonomie acquise limite non seulement les options de contrôle, mais les rend aussi inutiles. D’autant que l’on a assisté à un effet de bord, puisqu’une appropriation excessive génère des risques de surinvestissement (sur ce sujet les organisations syndicales considèrent qu’il est de la responsabilité de l’entreprise d’assurer un droit à la déconnexion ainsi qu’une évaluation du temps et de la charge de travail).

Il faut donc que le manager soit en mesure d’apporter une valeur différente, par sa compétence, son expérience, sa disponibilité, sa volonté de venir en aide, au sein de l’entreprise. Ces derniers temps, la notion de « servant leadership » a souvent été abordée. Et pour cause, pour beaucoup de collaborateurs, il s’agit d’une sérieuse option de réinvention de la place qu’ils occupent et de leur utilité.