Il insulte son patron, est licencié, mais gagne devant la Cour d'appel : son entreprise lui doit 30 000 euros
“Connard !” C’est par ce terme fleuri qu’un reporter d’un journal local a répondu à une critique de son patron, selon la direction. Un deuxième “connard” plus tard et le voilà qui se rapproche de son supérieur, le confronte en criant : “Faites attention car je peux être méchant.”
Après cet échange tendu, sous les yeux des collègues, le salarié a été mis à pied, puis licencié pour faute grave en juin 2012. Malgré ses 28 ans d’ancienneté, la direction juge les insultes trop graves pour être tolérées. Le reporter conteste la décision devant la justice et obtient gain de cause ainsi qu’un joli chèque : 30 500 euros, dont 25 500 de dommages et intérêts.
La Cour d’appel de Reims a considéré que le licenciement était "sans cause réelle et sérieuse”, dans une décision rendue en 2015. Dans une autre affaire, en septembre 2019, un salarié épuisé s’est approché de son patron et a lâché : "Ca fait longtemps que je voulais te le dire, mais tu es un gros con". Là encore, en mars 2025, la Cour d’appel de Lyon a estimé que le licenciement était "sans cause réelle et sérieuse". Pourquoi ? Pourquoi un salarié n’est pas systématiquement licencié après avoir insulté collègues et supérieurs ?

Les injures et menaces sont pourtant des fautes "généralement sanctionnées et donnent souvent lieu à un licenciement lorsqu’elles s’adressent à un supérieur", note Maître Eva Touboul. Selon l’avocate en droit du travail, les juges examinent un ensemble de paramètres avant de trancher. Parmi eux : la fonction de la personne visée par l'insulte – supérieur, collègue, client de l’entreprise -, le contexte de l’altercation - échange privé ou public, sur le lieu de travail ou lors d’un afterwork -, ainsi que l’attitude adoptée par le salarié au moment du jugement.
Reste que deux éléments sont particulièrement déterminants dans ces décisions de justice : l’ancienneté de l’employé et le contexte de l’insulte. “La sanction n’est pas la même si l’insulte vient d’un salarié récemment entré ou d’un employé qui cumule plus de vingt ans d’ancienneté”, précise Eva Touboul. De même, si le salarié est à bout, que l'employeur ne s'est pas comporté "dans les clous", cela peut rendre le licenciement injustifié, même si les insultes sont prouvées.
C’est le cas dans la seconde affaire, le salarié était sous pression et épuisé à force de se voir modifier fréquemment son planning de travail, sans que l’employeur respecte le délai de prévenance prévu au contrat de travail.
Dans la première affaire, la faute du reporter avait été atténuée en raison d’un ensemble de facteurs : sa très grande ancienneté, plus de vingt ans sans antécédents, et la maladresse de son nouvel employeur. Ce dernier avait vivement critiqué un billet du reporter alors qu’aucune critique n’avait été émise contre ses articles jusqu’alors.
"Mais n’allez pas laisser croire à vos lecteurs qu’ils peuvent insulter impunément collègues et employeurs", prévient l’avocate. Si la direction a totalement respecté le contrat, et si elle peut prouver l'insulte, "le dossier est gagné pour elle" : il y aura faute grave.
"Sur ce sujet, il est compliqué de faire des généralités, estime Eva Touboul. Les décisions varient d’une Cour d’appel à l’autre. C’est du cas par cas et c'est soumis au pouvoir d'appréciation des juges."