Erik Leleu (Vinci) : "D'après Vigeo, nos actions en matière de diversité restent à structurer"

Comment, dans une organisation aussi décentralisée que Vinci, décliner engagement pour la diversité, objectifs de recrutements ambitieux, approche originale de la GPEC et incitation à la mobilité interne ? Réponses du DRH.

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Erik Leleu, DRH groupe de Vinci © Christophe Boulze / Photothèque Vinci

Le premier groupe mondial de construction et de services associés vient de publier les résultats de l'audit diversité réalisé par Vigeo dans 40 de ses 2.000 et quelques filiales. L'occasion de revenir, en compagnie de son DRH, sur la mise en place des politiques RH dans cette organisation particulièrement décentralisée.

Pourquoi avez-vous tenu à mener cet audit ?

Erik Leleu. Une idée constitue une orientation forte du groupe : les vraies réussites sont celles qu'on partage. Elle fait d'ailleurs le lien entre vocations capitaliste et sociale de l'entreprise. C'est complètement dans cet esprit que nous avons exprimé notre engagement pour la diversité et l'égalité des chances dans notre Manifeste publié en novembre 2006. Or on ne progressera que si on mesure ce qu'on fait. Nous avons tenu à réaliser cet audit afin de marquer le point zéro, l'endroit d'où on part. Même si certains résultats sont assez moyens.

 
Les résultats de l'audit diversité mené par Vigeo
Thème analysé Note sur 4 Le commentaire de Vigeo
Source : Vinci
Egalité hommes-femmes 2, en progression "Une tendance positive, mais sur des bases à consolider"
Insertion professionnelle des personnes handicapées 2+, en progression "Des orientations et des initiatives volontaristes, mais à renforcer"
Egalité des chances des personnes issues de l'immigration 2+, stable "Un 'ascenseur social' en marche, mais une politique de promotion à structurer"
Emploi des seniors 3-, stable "Une absence de discrimination, mais une politique à engager"

Avez-vous été surpris des résultats ?

Dans un domaine où nous n'avions pas, jusqu'à présent, une démarche aussi volontariste que sur la qualité ou la prévention, ce n'est pas une surprise que nos résultats soient bien moins bons. L'audit montre que nous avons engagé des actions qui vont dans le bon sens, mais de façon disparate, sans les structurer suffisamment. Nous allons donc nous y employer.

Quel plan d'action en tirez-vous ?

Comme toutes les démarches dans le groupe, celle-ci est décentralisée. Ce sera à chaque filiale de mettre en place des actions pour progresser. Au niveau groupe, l'acteur principal sur ce chantier est un comité de pilotage qui se réunit pour partager les bonnes pratiques et rencontrer les partenaires sociaux.

S'ouvrir à la diversité, n'est-ce pas aussi une opportunité pour remplacer les départs à la retraite ?

Au départ, la motivation n'est pas celle-là. Cela n'empêche pas qu'aujourd'hui, nous devons mener une vraie lutte sur le marché du travail. Et cela aussi nous pousse à nous ouvrir complètement sur toutes les formes d'origine, y compris en terme de formation. Dans ce sens, et pour réussir à réaliser 12.000 recrutements en 2008 comme nous le souhaitons, nous avons intensifié nos actions de recrutement en direction non seulement des futurs diplômés, mais également des personnes sans diplôme, à qui nous proposons des parcours qualifiants.

Ce sont des objectifs de recrutement très ambitieux dans le contexte de pénurie de main d'œuvre particulièrement marquée dans votre secteur. Comment allez-vous vous y prendre ?

Les recrutements ne sont pas réalisés au moyen de grosses opérations au niveau de la holding, mais au plus près du terrain. Chaque entité développe donc les actions qu'elle souhaite. Mais plus largement, nous disposons d'un atout sur lequel toutes les filiales peuvent s'appuyer : des centres de formation régionaux qui accueillent les jeunes embauchés dès leur arrivée. On y trouve les dernières technologies de pointe, parfois même plus à jour qu'ailleurs dans l'entreprise. Nos formations, comme leurs outils, sont de qualité reconnue. C'est grâce à cela que nous attirons les jeunes chez nous.

"Un accord de GPEC n'est pas forcément nécessaire, du moment qu'il y a une vision et une réflexion formalisée"

Vinci se targue de mener une politique salariale attractive pour les cadres. En quoi consiste-t-elle ?

Si les salaires sont au minimum égaux à ceux du marché, ce n'est évidemment pas tout. Nous faisons développer l'intéressement dans toutes les filiales. Notre fonds commun de placement, Castor, est très intéressant du point de vue de l'abondement. Notre couverture sociale - complémentaire santé et prévoyance - est de très bonne qualité. Enfin, nous avons mis en place une politique de variables, basés sur les objectifs définis en début d'année. Les cadres à responsabilité peuvent ainsi gagner 30 à 40 % de leur salaire annuel en plus.

Où en êtes-vous de vos accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ?

Je pense que la GPEC ne doit pas être pratiquée ni perçue comme un exercice réglementaire, mais comme un exercice managérial. C'est une vision forte et de long terme, partagée entre le patron, les managers et les représentants du personnel. Un accord n'est pas forcément nécessaire, du moment qu'il y a une vision et une réflexion un peu formalisée. C'est tout ce que nous demandons à nos filiales de faire, avant fin 2008. Naturellement, pas d'accord cadre chez nous : ce serait un non-sens par rapport à notre démarche décentralisée. Ce que nous faisons au niveau de la holding, c'est parcourir le terrain pour recueillir les bonnes pratiques et en nourrir une boîte à idée où tout le monde vient piocher.

Vous encouragez beaucoup la mobilité de vos collaborateurs. Pourquoi et comment ?

Si nous encourageons la mobilité, c'est pour une raison simple : on n'est pas propriétaire de ses hommes. Nous avons donc développé une rubrique mobilité dans l'intranet où les salariés vont voir les postes ouverts. L'ensemble des postes à pourvoir par filière professionnelle, région, entreprise et pays y figure. Nous suscitons également des échanges de collaborateurs et des transferts de compétences entre filiales. C'est par exemple le cas de GTM Terrassement, dont les compétences ont été requises par Sogea-Satom, qui construit des routes en Afrique. Cela a conduit à plusieurs mobilités internes.

"Nous suscitons les échanges de collaborateurs et les transferts de compétences entre filiales"

Vous avez également développé un Observatoire des métiers pour mieux identifier les passerelles entre les métiers...

Je l'avais conçu au milieu des années 90 pour une filiale de Suez. A l'époque, nous avons connu 6 ou 7 années terribles de crise avec des restructurations incessantes. Je me suis dit que je passais peut-être à côté du reclassement de certains compagnons en ne connaissant pas suffisamment les métiers qui, malgré leurs intitulés, leur étaient en fait accessibles. Lorsque cette filiale a été rachetée par Vinci, en 2000, on a réadapté l'Observatoire des métiers pour le groupe. Cet outil à la disposition des services de ressources humaines se révèle particulièrement utile dans les situations telles que celle d'ASF, société d'autoroutes en totale mutation technologique, dont la démarche GPEC nécessitait un tel outil.

Quelle feuille de route RH donnez-vous aux filiales ?

La politique RH groupe tient en deux volets. Premièrement, ce que Pierre Coppey, DRH jusqu'en novembre dernier, a lancé : sécurité, prévention et intégrité physique d'une part, GPEC et dialogue social d'autre part. Et deuxièmement, la mise en œuvre des cinq points de notre Manifeste de 2006 : organisation pour tous les salariés de Vinci d'un entretien par an, engagement pour la diversité et l'égalité des chances, développement de l'actionnariat salarié, recrutement et création d'emploi durable en CDI, encouragement à l'engagement citoyen des salariés, notamment par le biais de notre Fondation. Et c'est tout : c'est la feuille de route exhaustive.

Sans centralisation, comment ne pas sans cesse réinventer le fil à couper le beurre ?

Nous sommes certes très décentralisés, mais nous fonctionnons aussi beaucoup en réseau. En l'occurrence, nous avons mis en place des "clubs pivots ressources humaines" - ainsi d'ailleurs que des "clubs pivots patrons" et autres clubs pivots... Ils réunissent, au niveau local, les DRH de toutes nos branches : énergie, route, construction, concession. Eventuellement, ils viennent avec leur responsable du recrutement, de la formation... Je m'y joins pour parler de la feuille de route. Chacun présente ce qu'il a fait, ce sur quoi il bloque, et les échanges s'engagent. Nous sommes en train de mettre en place des clubs pivots RH dans d'autres pays d'Europe. Et pour finir le maillage, nous allons créer des clubs pivots métiers : recrutement, juristes, etc.

"Nous fonctionnons beaucoup en réseau. Nous avons mis en place des clubs pivots ressources humaines"

Voici un exemple d'idée ayant germé dans un club pivot RH. Nous avons tous à cœur d'européaniser le groupe, notamment par le recrutement. Le club Rhône-Alpes a eu une idée fantastique : jumeler les clubs pivots RH entre pays, pour permettre aux jeunes de venir passer deux ou trois ans en France avant de repartir dans leur pays avec la culture Vinci.

A l'occasion du classement Vigeo des entreprises du Cac 40, en octobre dernier, Vinci est arrivé première entreprise de BTP pour le dialogue social. Quelle est votre recette ?

La qualité du dialogue social est une résultante de notre mode de fonctionnement. Nous ramenons les choses autant que possible au plus près du terrain, y compris en matière sociale. Par ailleurs, la transparence, le peu de formalisme, la liberté de parole et le fait que les dirigeants soient très accessibles font partie de notre culture. Cela aide fatalement à forger un dialogue de qualité.