Le COVID-19  place la question du sens au travail sur le devant de la scène

Si l'on s'accorde à dire que la crise du COVID-19 aura accéléré l'adoption de nouvelles pratiques en matière de consommation, d'hygiène de vie ou liées à l'emploi de nouvelles technologies, le sens que l'on attribue à son travail est devenu un sujet sur lequel il n'est désormais plus possible de fermer les yeux.

Il y a 20 ans, lorsque j'évoquais la question du sens au travail, question qui, bien sûr, me taraudait pour moi-même, au mieux, je me voyais rire au nez, ou mon interlocuteur semblait s'attendrir devant des propos si rafraîchissants, dénués de tout sérieux, au pire, on ne voyait pas du tout de quoi je parlais. La stratégie de l'entreprise, ses objectifs, la plupart quantitatifs et opérationnels, semblaient tenir lieu de Sens au Travail pour tous, de signification universelle du travail.

Puis peu à peu, la souffrance de certains est apparue et on a pu en parler. Des ouvrages, des études produits par d'éminents chercheurs lui ont même été consacrés, et un business est né pour pallier à ce phénomène et trouver des solutions. Après le harcèlement moral, le burn-out, le bore-out, et maintenant le brown out, ont été identifiés analysés, dénoncés. À juste titre.

Au cœur de ces phénomènes, qui peuvent être pathologiques, voire délétères pour les personnes qui en souffrent, la question du Sens au Travail se pose toujours. Car elle est existentielle. Sens du Travail pour soi et identité sont intrinsèquement liés. En effet, le travail permet à chacun de s'accomplir en dehors de la sphère intime, de toucher ses limites, de les dépasser, et donc de se développer. Le travail, ce que nous y faisons, la façon dont nous le vivons, et les raisons pour lesquelles nous nous engageons, conditionne et façonne notre rapport au monde. C'est le travail (entendu au sens large, au-delà de l'activité productive salariée ou non) qui nous permet de bâtir notre « œuvre » dans ce monde.

Dans une étude de décembre 2017[i] consacrée au sujet, le cabinet Deloitte met en évidence que le Sens au Travail pourrait être un questionnement universel commun à toute situation de travail et que “Pour construire du sens, chacun d’entre nous doit pouvoir déployer sa pensée. Et pas seulement sur un mode logique mais aussi sensible, en reliant des désirs, des représentations, des affects, des souvenirs… Ainsi, le sens au travail prend vraiment sa source dans l’expérience d’un individu ou d’un collectif : il est impossible de le prescrire en l’imposant de l’extérieur.”

Pour l’essentiel, le sens au travail y est défini par les personnes interrogées comme :

  • Respect des valeurs
  • Utilité du travail
  • Ethique
  • Compréhension des missions
  • Contribution à quelque chose de plus grand que soi
  • Pour quoi, et non pas comment
  • Objectifs clairs dans une stratégie définie
  • Accession à l’information et pouvoir questionner

Lorsque le Sens du Travail s'écroule, l'identité de la personne est remise en cause, elle peut à son tour s'effondrer, au moins en partie. C'est en cela que le travail joue un rôle important dans la construction et la préservation de notre santé mentale.

Or, comme l'indiquent de très nombreux scientifiques, et avant tout les psychologues du travail, mais pas seulement, le sens du Travail ne se décrète pas, ne s'explique pas. Pour trouver du sens au travail, il ne suffit pas de suivre la vision et le chemin qui seraient tracés par un ou une  leader charismatique, aidé(e) de son équipe de management. Non. Le Sens de son Travail est défini, expérimenté, par chacun d'entre nous, qui s'engage subjectivement dans son activité selon ses besoins. Comme le fait justement remarquer le cabinet Deloitte : “Si les organisations veulent se saisir de cette question, et notamment parce qu’elles espèrent accroître l’engagement des individus, elles devront surtout rester vigilantes à laisser à chacun la liberté et les espaces qui lui permettent de construire et déterminer le sens qu’il donne à son travail”.

Pourquoi la question du sens au travail est-elle aujourd'hui encore plus cruciale pour la stratégie d'entreprise ? Car la crise du COVID-19 révèle les failles d'un système en fin de vie, qui doit être refondu.

  • Cette pandémie est due à la propagation d'un virus qui, jamais, n'aurait dû se trouver en contact avec l'humanité, si les écosystèmes avait été respectés ;
  • Elle n'est qu'un élément d'une crise écologique planétaire notamment dû à nos systèmes d'exploitation des ressources naturelles et humaines non renouvelables.

Il est certain que nos systèmes de production, d'échange, nos organisations sociales et de travail, nos modes de vie et de coopération vont devoir changer profondément si nous voulons éviter des phénomènes encore plus graves, et éviter la catastrophe pour tous, et donc aussi dans le monde du travail.

Or, aujourd'hui, après cette expérience de confinement et de lutte sur tous les fronts contre la pandémie (et encore aujourd'hui ailleurs dans le monde là où le confinement continue), chacun ou presque a été en mesure de prendre conscience de la gravité de la situation, et de la fragilité de sa situation singulière. Et beaucoup ont compris qu’il n'est pas de l'intérêt général ni du leur, de contribuer à alimenter et à entretenir, voire à faire croître, une économie et un système social qui ne respectent pas les règles écologiques, celle qui permettent le renouvellement des ressources, l’existence et le développement de la biodiversité, que celle-ci soit naturelle, sociale, ou organisationnelle.

C’est dire si les organisations, les entreprises vont devoir démontrer en quoi elles participent à la régénération de notre monde, ou au moins à sa non-destruction. Sous peine de voir leurs employés, partenaires, partie-prenantes, se détourner d'elles et les quitter, pour ne pas contribuer davantage à la destruction du sens commun, du Sens au Travail, pour tous, et pour chacun.

Ceci n'est possible que si la stratégie prend en compte cet impératif de sens et que des espaces s'ouvrent dans les organisations pour que chacun, quelles que soient sa place et sa contribution, puisse réfléchir et s’exprimer sur ses besoins de sens. Il s'agit de mettre en place des modalités de dialogue et de construction d'un nouveau modèle de leadership,  que j'appelle un éco-leadership.

[i] Sens au travail ou sens interdit ? Pour s’interroger enfin sur le travail – décembre 2017