Réinventer la relation artistes/public à l'aide de nouvelles offres musicales sur Internet ?

Alors que Spotify, Deezer et iTunes semblaient être l’avenir de la musique, ces plateformes numériques sont incapables de compenser la chute incessante des revenus du marché de la musique.

Les artistes, les maisons et les magasins de disques cherchent par tous les moyens à accrocher un public qui lui, demande un accès musical illimité et gratuit. Pour survivre, ils devront définir de nouveaux moyens de partage de la musique. Une chose est sûre : l’expérience musicale du public devra rester au cœur de cette nouvelle donne.
Le constat est là : les plateformes numériques de streaming comme Spotify et Deezer ne sont pas en mesure de faire face à la chute des recettes musicales. Chute raide provoquée par cette même ère numérique, qui a bouleversé le marché de la musique, mais aussi la relation entre les artistes et leur public. Malgré une augmentation des ventes numériques de musique en France de 13 % en 2012, les revenus totaux du marché de la musique ont encore baissé avec nouveau recul de 4,4 %. Au cours des dix dernières années, les recettes musicales ont baissé de plus de moitié.
Le malfaiteur a un nom que l’on connaît bien : le téléchargement illégal. Cela concerne non seulement le téléchargement à l’aide de logiciels pair-à-pair, mais également – et certainement sous-estimé – le simple échange de fichiers numériques entre amis. Comme c’est le cas de la jeune américaine Emily White, 21 ans, qui avait créé un buzz aux Etats-Unis en avouant dans un blog qu’elle possédait 11.000 titres copiés de cd et disques durs de sa famille et ses amis, pour seulement 15 cds achetés !
En même temps, difficile de lui donner tort : alors que la génération précédente passait des heures devant son magnétophone ou son ordinateur pour copier quelques albums, aujourd’hui une entière librairie musicale peut être transmise d’un support à un autre avec un simple clic. Et puis les jeunes d’aujourd’hui préfèrent dépenser leurs sous pour acheter le dernier iPhone qui leur permettra d’écouter en boucle leur librairie musicale, ou pour aller voir en concert l’artiste de leur choix.
Plus encore : ce que souhaite le public, c’est un accès illimité à toute la musique possible et imaginable. Comme le formule Emily White « Tout ce que je demande, c’est la capacité d’écouter ce que je veux, quand je veux et de la façon dont je veux. Est-ce trop demander ? ». Donc plus de librairie musicale sur un disque dur, juste un « nuage » immédiatement accessible de (presque) partout. Elle ajoute tout de même qu’elle espère que les artistes gagneront plus de revenus pour chaque écoute dans ce nouveau modèle.

Car que devient l’artiste dans ce cas de figure ? L’on sait que les revenus provenant de ces plateformes de streaming sont considérablement plus faibles que ceux de la vente de support en dur. Tout cela pourrait néanmoins changer avec les propositions attendues en juin prochain par la mission Lescure sur une meilleure redistribution de la valeur entre les différents acteurs de l'économie numérique. Les offres musicales payantes, dites premium, qui engrangent plus de revenus pourraient être ainsi mieux valorisées et pourraient financer les offres de streaming gratuites.

A titre de comparaison : un artiste doit générer 4,5 millions d’écoute sur Spotify pour gagner l’équivalent du SMIC. Preuve que ce ne sont que les grands artistes qui tirent bénéfice du streaming. Toutefois, ce chiffre omet le fait que les ventes de musiques (en ligne ou en magasin) ne représentent en moyenne que 6% des revenus des musiciens. Le gros de son salaire provient des concerts et de l’usage que l’artiste tire de sa notoriété au profit d’autres artistes.

Et c’est là que l’utilisation de plateformes numériques, notamment des réseaux sociaux, devient un outil précieux pour chaque artiste qui souhaite que son nom apparaisse sur toutes les tablettes et tous les smartphones. La relation entre artiste et public n’a jamais été aussi directe, avec les fans étant en mesure de communiquer directement avec leur idole entre autres par Twitter ou Facebook. Et cette proximité est également habilement utilisée par les artistes à des fins de financement, notamment par le crowdfunding. Ce mode de « financement par la foule » sans intermédiaire d’une maison de disque, connait un succès fulgurant, avec une augmentation de plus de 80% en 2012. Comme l'a soulevé le site TheMediaShaker, l'affaire Amanda White, passée inaperçue en France a fait un énorme buzz outre-atlantique en récoltant 1,2 millions de dollars pour son nouvel album, au lieu des $ 100.000 demandés.

Mais ici encore, un artiste inconnu ne pourra pas espérer récolter une telle somme. Il devra d’abord prouver ses qualités musicales en se montrant le plus possible, en live et en ligne. Plus que tout, c’est la qualité de l’artiste qui continue d’importer et qui favorisera le bouche à oreille (numérique) de sa musique. L’ « expérience musicale » reste l’élément essentiel qui pousse le public à écouter tel ou tel artiste. Dans une ère toujours plus numérique, l’auditeur aspire à de nouveau à du concret.
C’est ce que les artistes eux-mêmes ont déjà compris. Maintenant devra venir le tour des maisons de disques, des distributeurs et des magasins qui sont témoins de leur propre déclin. Au lieu de se concentrer sur les canaux d’écoute et de partage toujours plus innovateurs, il leur faudra redéfinir l’expérience musicale du public. Un public qui a déjà un accès illimité à tout ce qu’il veut, mais aspire à plus de contact avec ses idoles et à plus d’émotions.