Comment les chaînes de télévision peuvent-elle faire la TV de demain ?

Le lancement de Netflix en France vient encore un peu plus bousculer le paysage audiovisuel français. Est-ce que les acteurs historiques seront en mesure de créer la télévision du futur? De quelles armes disposent-ils ?

On y est, Netflix, le leader américain de la  vidéo à la demande par abonnement, est en pleine phase de lancement en France. Venant défier les acteurs historiques de la télévision sur leur terre, cette arrivée musclée met un coup d’accélérateur au mouvement de transformation de la TV telle que nous la connaissions encore il y a peu. La multiplication des terminaux, la mobilité, les contenus accessibles par Internet avaient déjà bousculé l’écran plat du salon et ses programmes imposés à heures fixes par les grandes chaînes. Mais la télévision va devoir cette fois composer avec une vraie révolution qui touche à notre manière même de la regarder. Cette révolution soulève une vraie question : celle de son obsolescence dans sa forme actuelle.
En effet, depuis plusieurs années, l’idée selon laquelle le téléviseur traditionnel serait amené à disparaître est régulièrement évoquée avec il est vrai, en corollaire, l’avènement des tablettes, phablettes, et autres smartphones qui accaparent de plus en plus notre temps d’écoute. Je suis persuadé pourtant que la télévision conserve toute sa place au sein du foyer et ce, à condition toutefois de rester en adéquation avec les attentes des téléspectateurs et leur offrir – collectivement ou individuellement – des contenus de qualités et des expériences différentes. Ce leitmotiv doit perdurer mais aussi et surtout évoluer pour tenir compte des nouveaux formats numériques et des nouvelles habitudes d’écoute. Reste à savoir si les fournisseurs traditionnels de services vidéo seront en mesure de s’adapter.
Les acteurs historiques – câblo-opérateurs, opérateurs de télécommunications, chaînes de télévisions – sont quelque peu bousculés par de nouveaux entrants : start-up Internet, distributeurs, fabricants de matériel, éditeurs de jeux vidéo, et autres opérateurs de services OTT. Ces jeunes pousses n’ont aucun mal à développer de nouveaux services vidéo numériques autour d’une idée de base et à concevoir les écosystèmes adaptés. Pour leur part, les opérateurs traditionnels se retrouvent pénalisés par des infrastructures complexes, peu agiles et inadaptées au monde digital. Ils leur manquent la flexibilité qui leur permettrait de repenser leurs processus de fond en comble, de transformer leurs modèles économiques, ou de s’affranchir de partenaires avec lesquels ils collaborent depuis de nombreuses années. Or, les chaînes de télévision et les câblo-opérateurs doivent aujourd’hui cohabiter avec de redoutables acteurs, à l’instar de Netflix ou d’Amazon, dont le succès auprès des téléspectateurs et les parts de marché ne cessent de croître.
Jusqu’à présent, les opérateurs historiques ont su répliquer et proposer des services numériques comparables, quoique moins innovants et offrant une intégration moins poussée. De telles initiatives ressemblent plus à des mesures de défense qu’à une véritable stratégie de conquête de parts de marché. Ils doivent, selon moi, développer des services numériques accessibles, adaptables, et qui capitalisent sur leurs atouts spécifiques. Pérenniser une marque à l’ère du numérique passe donc nécessairement par une analyse complète de ces services et la mise en œuvre de mesures appropriées. La première d’entre elles consiste à équilibrer les coûts et les revenus de façon à valoriser au mieux le contenu digital.
À cet égard, une étude (*) révèle que si plus de 30 % des consommateurs se disent prêts à accroître leur budget consacré à l’achat d’appareils intelligents, ils ne sont que 12 % à envisager de payer plus pour accéder à du contenu vidéo. Cette tendance qui ne semble pas prête de s’inverser, dégrade la rentabilité des fournisseurs de services vidéo dans la sphère numérique. Pour parvenir à cet équilibre, je crois que les acteurs traditionnels de la chaîne de valeurs du contenu ont tout intérêt à décloisonner leur infrastructure et leurs services communs au profit d’une architecture horizontale. Cela présuppose une rationalisation de leurs opérations et le déploiement de services en mode cloud, la prise en compte des retours d'information venant du consommateur afin de corriger les trajectoires de leur services et l’introduction de nouveaux modes de monétisation ou de valorisation de l’expérience télévisuelle.
Le maintien et le développement des relations B2C sur l’ensemble des canaux numériques constituent ensuite un excellent moyen de générer un volume significatif de données pertinentes sur les habitudes des clients et leurs pratiques d’usage. Les opérateurs en mesure de proposer un contenu attractif doivent mettre en place des processus pour recueillir et exploiter ces données. Leur analyse permettra ensuite de développer de nouveaux produits engendrant des relations plus fortes et personnalisées avec les consommateurs. Une fois rassemblées, ces données peuvent être mises à profit pour réaliser une segmentation plus fine des consommateurs, optimiser les prix, cibler les publicités, voire contribuer au succès de la production de contenus.

Un autre vecteur d’intervention concerne les capacités informatiques

Dans les entreprises traditionnelles, où cette fonction conserve un rôle majeur, sa contribution au développement de services numériques apporte des avantages tangibles. La numérisation de la distribution, de la production, et de la diffusion induit une évolution en profondeur du modèle opérationnel des entreprises du secteur Media. Grâce à l’informatique, les opérateurs de services vidéo sont mieux armés pour s'adapter à ce changement. À cet égard, des architectures ouvertes et intégrées, à même de permettre le déploiement de ces services numériques sur différents médias, constituerait un atout de taille.
Mais une telle stratégie peut toutefois nécessiter des investissements et le développement de diverses compétences techniques au sein des directions techniques. Parmi ces compétences, figure notamment la capacité à intégrer les canaux numériques aux architectures d'entreprise.
Enfin, il me semble important de conjuguer disponibilité des programmes et flexibilité de la bande passante. En effet, les plates-formes vidéo existantes n’ont pas été conçues pour faire face à la prolifération des écrans à laquelle nous assistons aujourd’hui.
Or, le nombre d'appareils connectés dédiés à la vidéo devrait dépasser la population mondiale d’ici à 2017. Pour répondre à ce phénomène, les fournisseurs doivent se doter de processus et d’architectures de diffusion communs, tout en réduisant leur coût d’exploitation. Mais il leur faut tenir compte de l'existence des services vidéo sur IP, qui tendent à complexifier la diffusion plutôt que l’inverse.
Une approche globale est donc nécessaire pour relever ce défi et transformer un modèle opérationnel reposant sur des domaines (traitement du contenu, régie, distribution, équipements) en un modèle centré sur l'utilisateur des services.
Dans une dizaine d’années, le paysage audiovisuel français tel qu’il se présente aujourd’hui aura profondément changé, sous l’impulsion et la capacité d’innovation de nouveaux entrants d’une part, et l’évolution des modes de consommation d’autre part. Les opérateurs historiques disposent donc d’une marge de manœuvre réelle mais limitée dans le temps pour entreprendre les changements structurels nécessaires à leur survie sur ce marché.

(*) Etude réalisée par Accenture (avril 2014)