Le multicam TV de demain - Le spectateur devient éditorialiste et comment les diffuseurs historiques peuvent s’adapter

La télévision, telle que nous la connaissons depuis 60 ans, vit l’un des tournants les plus significatifs de son histoire depuis l’arrivée de la couleur. Une mutation qui l’entraîne loin de son territoire naturel, le petit écran, vers le monde numérique.

Dans ce contexte de révolution technologique, les diffuseurs sont face à de nombreux challenges.
Le premier et le plus radical pour les chaînes de télévision qui ne connaissent que “des spectateurs” : se retrouver face à des “utilisateurs".La télévision, telle que nous la connaissons depuis 60 ans, vit l’un des tournants les plus significatifs de son histoire depuis l’arrivée de la couleur. Une mutation qui l’entraîne loin de son territoire naturel, le petit écran, vers le monde numérique. Dans ce contexte de révolution technologique (évolution des moyens de transmission et de réception multi-support), les diffuseurs sont face à de nombreux challenges.
Le premier et le plus radical pour les chaînes de télévision qui ne connaissent que “des spectateurs” : se retrouver face à des “utilisateurs".

Devenir une marque médias

Tous les événements d’envergure - qu’ils soient sportifs, historiques ou de divertissement - se doivent aujourd’hui d’être diffusés à la fois via la TNT et internet, et regardés sur smartphone, tablette et écran large de salon. Cette diversité des supports, (dits de “second écran”) et des canaux de diffusion est déjà un changement majeur en soi, que le développement des offres Triple Play et de Catch-up TV - notamment – ont accéléré et que l’arrivée de pure players comme Google, Amazon ou Netflix sur le terrain de l’offre de contenus rend incontournable.
Pour changer, les diffuseurs historiques doivent devenir des “marques médias” et l'évolution des usages qui s’ensuit change foncièrement la donne : en se positionnant pour s’ouvrir aux réseaux et étant « contraints » de proposer contenus et services pour ces multiples écrans, la télévision doit désormais faire face aux attentes des téléspectateurs. Devenus internautes / mobinautes, ces derniers veulent pouvoir (ré)agir à ce qu’ils voient, (inter)agir et partager leur émotion avec les autres utilisateurs.

Du « Temps de cerveau » disponible… à éditeurs des contenus !

Dans cette mouvance, le multicam, qui permet à l’internaute de choisir lui-même l’angle de vue de ce qu’il regarde en sélectionnant parmi plusieurs flux vidéo mis à sa disposition, semble être un premier pas prometteur. Et pourtant...
Ce multicam-là nourrit une confusion chez le diffuseur, une contradiction même et en premier lieu parce que son nom ne lui convient pas.
En effet, dans le monde audiovisuel, le terme “multicam” correspond à l'action de couvrir un évènement avec plusieurs caméras afin que le réalisateur puisse, avec cette variété de points de vue, retranscrire plan à plan , grâce au montage, une vision consensuelle dudit événement. Une vision plus ou moins artistique ou journalistique, subjective dans tous les cas, puisque le réalisateur, seul maître à bord, coupe, tranche et choisit pour tous quel angle de vue est le plus important. C'est son job : éditorialiser pour les autres (pour nous), et nous transmettre l'émotion de l'événement au mieux de son expérience.
Les expériences multicam promises sur internet devraient en théorie déplacer les responsabilités d’éditorialisation : mettre à disposition du spectateur plusieurs angles de vue de l'évènement afin qu’il puisse choisir lui-même ce qu'il veut voir et  donc proposer exactement l'opposé du multicam télévisuel traditionnel.
La tentation du multicam est récurrente depuis au moins 20 ans. Mais aujourd’hui, les technologies sont  matures : Canal Plus a vraiment ouvert le bal en 2012 avec la CanalFootball App, qui propose de revoir des extraits des grandes actions d'un match de foot en replay sous différents angles. France TV a conduit quelques expériences notamment sur le tour de France 2013 et 2014 et sur la Coupe de la ligue - Lyon/Paris-Saint-Germain où la chaîne proposait de voir… les 20 caméras de son réalisateur; et dernièrement, le dispositif multicam de TF1 sur la Coupe du Monde Foot . Toutes ces propositions multicam ont été présentées avant tout sous l’angle du défi technologique relevé avec brio, mais sacrifiant au passage une pierre angulaire du Net : l’expérience utilisateur.
Dans cette liberté apparente d'éditorialiser le contenu vidéo que nous donnent les diffuseurs, se trouve une autre contradiction ou plutôt une résistance.
Car en donnant les clés de la “réalisation” à l’internaute, la télévision “traditionnelle”  crée un schisme fondamental : elle, qui attend de l’attention de ses spectateurs, leur demande de l’engagement, elle qui cherche à capter  des audiences propose une expérience de zapping à la demande. La tentation est alors grande de vouloir mettre le curseur entre deux, de donner un peu, mais d’en garder beaucoup.

Où le Multicam devient outil de gestionnaire de versions (subversion et  révolution)

Sur internet, l'utilisateur est récepteur d'information, mais il modère cette information, puis il émet ensuite le résultat de sa curation.
Pour l’instant, les propositions multicam des chaînes ne  font que la moitié du chemin. L'utilisateur y est simplement récepteur. Cette résistance à lâcher le contrôle sur l’éditorialisation crée un paradoxe dangereux pour les diffuseurs car il faudrait que l'utilisateur du multicam, devenu schizophrène, soit à la fois dans un usage passif et attentif sur son écran principal et engagé, proactif, sur son second écran, voire leader d'opinion puisque, en théorie , il pourrait et voudrait partager sa sous-version du programme.
De ces observations, je pose la question suivante:  les diffuseurs TV sont-ils les mieux placés pour proposer une expérience-utilisateur qui pourrait être la révolution de ces prochaines années ? Sont-ils les premiers prescripteurs d'une expérience utilisateur qu'ils ne pourraient rendre que décevante à moins de changer de paradigme ?
Le multicam deviendrait alors un gadget que l’on sort pour les défilés du 14 Juillet, alors que son vrai potentiel est ailleurs et qu'il y a ici  une  vraie opportunité d'inventer une nouvelle relation avec l’audience . Le web a connu des champions par le passé.  Quel sera le prochain à changer vraiment la donne ?

Où le contenu éditorialisé deviendra l’étendard d’un nombre infini de communautés

Car voici ce que je vois dans cette nouvelle expérience-utilisateur : si l'internaute peut réaliser sa propre expérience de visionnage en direct alors il s'engage au plus haut de la valeur du contenu mis à sa disposition par le producteur ou la marque, une relation de cause à effet se créé entre les deux partenaires. L'internaute peut alors agréger sa propre audience. Il anime sa communauté de fans en partenariat avec la marque. Il monétise aussi, pourquoi pas.
Cela vous parle forcément. Je ne fais que décrire ce qui s'est déjà passé avec les bloggers, les instagrammers, les youtubber, les viners etc…
Le vlogger de demain ne sera pas celui qui produit ou qui agrège des vidéos linéaires déjà toutes faites… mais un réalisateur communautaire avec sa propre ligne éditoriale, qui pourra animer en direct une communauté d'audience parce qu'il sourcera les contenus mis à sa disposition par les détenteurs de droits, les fédérations de sport, les organisateurs d'évènements, de festivals, les labels, toutes les Marques avec un grand "M" et j'y inclus les diffuseurs "historiques" de la télévision et les fournisseurs d'accès internet qui, ayant fini leur mue, seront  devenu plateformes et marques média à part entière.

Le vlogger de demain sera une chaîne de télé à lui seul

La Télévision du futur est à cet endroit qu'il reste encore à défricher et à construire. Elle prendra le risque de montrer ce que l'on coupait auparavant. Elle captera les évènements sous de nouveaux angles. Elle ne renoncera pas à éditorialiser, parce qu'elle comprendra au contraire qu'elle replace son réalisateur  à sa vraie place : celle du metteur en scène, celle d' "Über-director" qui place ses caméras, les commande et donne à voir l'émotion brute afin que chaque internaute choisisse son propre battement. Toute la télévision reste donc à inventer sur internet.