Les éditeurs demandent la révision du projet de règlement ePrivacy

Les éditeurs demandent la révision du projet de règlement ePrivacy Les groupes médias européens sont vent debout contre un projet de la Commission qui risque selon eux de mettre à mal le secteur et renforcer l'hégémonie de Google et Facebook.

C'est peu dire que le projet de règlement de protection de la vie privée édicté par la Commission européenne en janvier a exaspéré les patrons de presse. Pour qu'il soit révisé, ces derniers ont donc décidé d'adresser une lettre ouverte au Parlement européen et au Conseil de l'Union à travers leurs médias web et papier. Parmi les signataires : Le Parisien, Les Echos, L'Equipe, Le Figaro, Le Monde, Libération, La Croix, Die Zeit, Financial Times, Frankfurter Allgemeine, Grupa Wirtualna Polska, NRC, Prisa, Süddeutsche Zeitung.

Pour rappel, Bruxelles veut imposer à travers son projet de règlement qu'un utilisateur dise avant toute installation d'un navigateur ou d'un logiciel s'il accepte ou refuse la dépose de cookies. Une manière de rendre la navigation sur Internet moins pénible alors que les internautes donnent pour le moment leur consentement sur chaque site qu'ils visitent, estime la Commission.

"On renforce l'asymétrie du rapport entre les éditeurs de presse et les portails numériques mondiaux"

L'intention est louable… la mise en application l'est moins, jugent des patrons de presse qui rappellent que "90 % de l'accès à Internet sur le territoire européen est contrôlé par quatre entreprises seulement : Google, Apple, Microsoft and Mozilla" et que l'orientation prise par la Commission n'aboutira qu'à "renforcer l'asymétrie du rapport entre les éditeurs de presse et les portails numériques mondiaux". "Sous couvert de protéger la vie privée des internautes - notre but à tous - on empêche les éditeurs de pouvoir mettre en place une stratégie de data et on laisse au contraire la main aux GAFAM", pointe Sophie Gourmelen, directrice générale du Parisien. 

Alors que la data est le nerf de la guerre publicitaire que se livrent géants du Web et groupes médias, donner les clés de la "cookification" des individus aux navigateurs Internet, c'est leur conférer un sérieux avantage. C'est d'autant plus problématique que les quatre acteurs qui éditent les plus populaires d'entre eux sont américains et qu'ePrivacy entraînera donc une concentration des données des citoyens numériques européens dans leurs mains. Ce qui, on imagine, n'est pas l'objectif des experts de la Commission.

Affaiblis face au quatuor Google, Apple, Microsoft et Mozilla, les groupes médias le sont également par ricochet face à un autre géant du Web : Facebook. Car compliquer le travail des éditeurs au moment de recueillir le consentement des internautes qu'ils cookifient, c'est avantager un groupe comme Facebook qui peut lui s'appuyer sur ses conditions générales d'utilisation et les identifiants uniques dont il dispose pour faire du ciblage publicitaire.

"On donnerait un nouvel avantage à des acteurs qui ont déjà un coup d'avance sur nous en matière de  data. Google et Facebook captent déjà les deux tiers du marché de la pub online en France", déplore Emmanuel Alix, le directeur des activités numériques de L'Equipe.

Une incohérence par rapport au RGPD qui s'appliquera en mai 2018

Les éditeurs notent enfin l'existence d'une divergence majeure avec les principes arrêtés par le règlement général sur la protection des données qui s'appliquera en mai 2018. Le texte va obliger chaque site Web à s'assurer que les internautes comprennent comment les données relatives à leur navigation sont recueillies et devra leur donner les moyens de contrôler ce processus. "La création d'un consentement global unique au niveau de chaque navigateur, tel qu'envisagé dans le projet ePrivacy, va à l'encontre de la mise en œuvre concrète de ce renforcement du contrôle par les internautes et d'une garantie de transparence", constatent les patrons de presse. "C'est toute notre logique CRM depuis la personnalisation du contenu jusqu'à la relation client qui est mise à mal", poursuit Sophie Gourmelen. C'est pour Emmanuel Alix d'autant plus inquiétant que "le projet rester très flou et qu'il est difficile de savoir quels seront les cookies concernés."

"Nous espérons une vraie discussion avec l'ensemble des professionnels du secteur, dont les e-commerçants qui seront eux aussi affectés par le texte", affirme-t-il. Un passage obligé sous peine de tuer tout un pan de l'économie du Web. "On risque de détruire le secteur des médias en les empêchant de développer un modèle publicitaire et, in fine, de payer leurs journalistes pour les contenus qu'ils produisent", prédit Sophie Gourmelen.