Pas à pas, Youtube se rapproche du monde de la TV

Pas à pas, Youtube se rapproche du monde de la TV Avec son offre Youtube Select et une audience grandissante sur la TV connectée, la plateforme vidéo avance ses pions pour séduire les annonceurs TV.

Après avoir fait main-basse sur le marché du digital, Google a annoncé début 2019 vouloir s'attaquer au marché de la télévision. Le géant de la publicité a depuis réussi à convaincre Bouygues Telecom de choisir sa technologie pour bâtir son offre de publicité TV segmentée. YouTube, qui a généré 15,15 milliards de dollars de chiffre d'affaires à lui tout seul en 2019, est un autre atout dans la mission que Google s'est assignée. L'audience de la plateforme vidéo est colossale. 41,7 millions de Français de plus de 18 ans s'y sont rendus via leur ordinateur, smartphone ou tablette en avril dernier (soit un taux de couverture de près de 83% des internautes français), selon Mediamétrie//Netratings. Surtout, Youtube est de plus en plus souvent consommé depuis un écran de télévision, qu'il s'agisse de TV connectées ou d'IP TV. Chez un des opérateurs télécoms, c'est même l'application la plus consommée dans l'environnement box, largement devant TF1, M6 et même Netflix, selon une source interne. En France, plus de 15 millions de personnes se sont rendues sur Youtube depuis leur écran de télévision en mars 2020, selon des statistiques internes à la plateforme vidéo.

En France, plus de 15 millions de personnes se sont rendues sur Youtube depuis leur écran de télévision en mars 2020

Les annonceurs de l'Hexagone peuvent depuis peu diffuser des campagnes Youtube spécifiques à l'application télévision. "Aucun annonceur n'a encore sauté le pas en France, c'est peut-être encore un peu tôt", révèle Pauline Butor, head of Youtube and media ads pour la France. La plupart y diffuse néanmoins des campagnes, l'écran de télévision étant proposé par défaut à un annonceur qui paramètre une campagne pour desktop et mobile. Mais les budgets consacrés restent minimes. "Le marché français est beaucoup moins développé que le marché américain où Youtube a lancé cette offre en premier", constate Emmanuel Crego. Le directeur général adjoint de Value Media prend l'exemple d'une récente campagne lancée pour l'un de ses clients. Sur 140 000 euros investis, moins de 200 euros sont allés dans de la télévision connectée. Rien à voir avec les Etats-Unis où la TV connectée est, d'après l'IAB, le support vidéo digital préféré des décideurs américains.

"Le problème, c'est que les acheteurs continuent d'associer Youtube à un univers au sein duquel les contenus sont peu qualitatifs"

Cette nouvelle typologie d'inventaire permet néanmoins à Youtube de proposer une offre qui se rapproche de celle des chaînes traditionnelles, en termes de reach et de taille d'écran. "Le problème, c'est que les acheteurs continuent d'associer Youtube à un univers au sein duquel les contenus sont peu qualitatifs", analyse Sébastien Robin, expert en TV OTT. Les quelques scandales de brand safety de ces dernières années, concernant la présence de contenus vidéos terroristes et de commentaires à portée pédophile, n'ont pas arrangé la réputation de l plateforme. "Même si Google fait beaucoup d'efforts, ça reste de l'UGC (user generated content, ndlr), ça n'a rien à voir avec les contenus léchés de la télévision," abonde Emmanuel Crego. Google n'a jamais investi, comme le font Amazon, Netflix ou Apple, dans du contenu qu'il package lui-même. "Les acheteurs ne sont pas encore suffisamment rassurés pour y mettre les budgets de la TV", estime donc Sébastien Robin.

La plateforme vidéo la plus populaire au monde veut néanmoins leur prouver le contraire. C'est du moins l'ambition de son tout nouveau programme Youtube Select, qui doit permettre aux annonceurs de choisir d'associer leurs publicités à des contenus triés sur le volet, dont la compatibilité avec les marques premiums est vérifiée par les équipes de Youtube. "Nous avons lancé le programme Youtube Select pour donner plus de souplesse aux annonceurs dans le choix des contenus associés à leur campagne média", justifie Pauline Butor. Les annonceurs n'auront plus à passer par les équipes de ventes de Youtube, comme c'était le cas avec le prédécesseur de Youtube Select, Google Preferred, pour choisir les programmes de leur choix. Ils peuvent le faire directement depuis l'interface d'achat. "Ils bénéficient également d'options de ciblage avancées, par centres d'intérêt, là où seul le ciblage socio-démo était proposé via Google Preferred", ajoute Pauline Butor. Autre nouveauté : les annonceurs peuvent acheter l'inventaire avec un CPM garanti sur une fenêtre de 120 jours. "Cela donne plus de visibilité et de sécurité à un annonceur qui ne veut pas prendre le risque de voir ses coûts s'envoler", précise Pauline Butor.

Mais Sébastien Robin n'est pas convaincu que ce soit suffisant pour inciter les annonceurs TV à transvaser une partie de leur budget vers Youtube. "C'est une offre au CPM alors que les acheteurs TV sont des gens qui achètent au GRP (le gross rating point est le nombre moyen de contacts publicitaires obtenus sur 100 individus de la cible visée, ndlr)." Si les agences médias communiquent depuis quelques années sur l'évolution de leur organisation, avec la fusion des pôles TV et digitaux en un seul pôle qui achète de la vidéo sur tous les devices, c'est dans la réalité plus compliqué. "Les univers restent très cloisonnés. C'est peut-être un problème de génération, le monde de l'achat média en télévision évolue peu sur le sujet", observe Sébastien Robin.

Youtube a lancé courant mai une enquête pour mesurer l'impact de son inventaire TV sur la perception de marque

Youtube essaie, de son côté, de faire bouger les lignes. La plateforme a lancé courant mai une enquête pour mesurer l'impact de son inventaire TV sur la perception de marque, le brand lift, pour voir s'il a plus d'impact que l'écran mobile. Les résultats devraient être communiqués prochainement. "On sent que Youtube essaie de trouver des indicateurs communs avec le marché de la télévision pour entrer dans les plans médias. Mais cela reste pour l'instant un vœu pieux", analyse Emmanuel Crego. Il faut dire que, même si son audience ne cesse d'augmenter, la plateforme de Google aura du mal à rivaliser avec un environnement qui tire son efficacité de sa puissance instantanée. "La télévision en France, c'est deux-tiers des audiences sur les six premières chaînes et c'est ce qui permet à une marque de monter en couverture très vite, analyse Emmanuel Crego. Ce n'est pas évident à faire en digital, même sur Youtube."

A chacun ses arguments. La télévision est un média de masse, Youtube un peu moins… mais il permet aux annonceurs de personnaliser leurs campagnes à coup de data. "Youtube, c'est un environnement vidéo digital qui offre énormément d'avantages, parmi lesquels la diversité des formats et la finesse du ciblage", décrypte Emmanuel Crego. Les modes de consommation ne sont eux non plus pas comparables. "La télévision, c'est du direct, dans son salon. Youtube, c'est une consommation beaucoup plus personnelle, le plus souvent sur son mobile." Rapprocher ces deux univers, sous le prétexte que tous les deux sont de la vidéo n'a, selon l'expert de chez Values, pas vraiment de sens. "C'est même prendre le risque de déclencher une guerre des prix et paupériser ces deux univers", estime Emmanuel Crego. Ce serait d'autant plus dommageable qu'il y a, à en croire Pauline Butor, de la place pour tout le monde. "Youtube peut être un bon complément de la TV en permettant aux annonceurs d'aller chercher d'autres audiences, comme les petits consommateurs de TV, par exemple", suggère-t-elle. "Cela prendra peut-être un peu de temps mais je ne doute pas que Google réussisse à se faire une place sur ce marché", conclut de son côté Sébastien Robin.