Le lavage de cerveau des électeurs français avant la présidentielle passe maintenant par WhatsApp

Le lavage de cerveau des électeurs français avant la présidentielle passe maintenant par WhatsApp Les actions de propagande anti-démocratique russes qui pullulaient déjà sur Twitter et Facebook s'ouvrent à WhatsApp. Et interrogent sur la volonté des démocraties à stopper la projection de pouvoir des Etats totalitaires via Internet.

La diffusion massive des réseaux sociaux a mis chaque citoyen de n'importe quelle démocratie à portée d'octets – pour un coût marginal nul - d'un semeur de chaos venu d'un Etat totalitaire. Je vais sur Twitter ou Facebook et des gens que je ne connais pas, dont ni le nom ni la nationalité n'ont été vérifiés, m'abreuvent de leurs commentaires sur le système politique et économique dans lequel je vis. Et dans lequel ils prétendent vivre. Ils ne commentent que rarement ce qu'il se passe dans d'autres Etats, moins démocratiques, où les gens meurent de faim. Mais ils sont aussi diserts que véhéments sur la faillite de mon pays où rien ne va. Mon problème est alors de savoir comment différencier un lanceur d'alerte d'un agitateur semeur de désordre. Car Facebook et Twitter sont aussi la soupape démocratique qui permet de dénoncer des faits indignes de la démocratie dans laquelle je vis. Démocratie qui n'en serait plus une si on interdisait à tout un chacun de dénoncer des faits sur les réseaux sociaux, si l'on censurait toute critique au prétexte qu'elle pourrait amoindrir la démocratie ou si l'on disait que seuls les gens intelligents peuvent voter.

Me voila donc face à un "post", dont je dois juger la nature : authentique lanceur d'alerte ou semeur de trouble ? De prime abord, la réponse semble simple, mais quand on entre dans les détails, ça se corse. Car, en réalité, les deux prennent la parole publiquement pour dénoncer les errements de nos systèmes économiques ou politiques. Doit-on se baser, par exemple, sur la véracité des informations diffusées pour dire que, d'un côté le lanceur d'alerte rend des vérités publiques là où l'agitateur propage des rumeurs ou des fausses nouvelles ? De nombreux contre-exemples invalident cette règle. La période du Covid en a été remplie. Si bien qu'il semble plus opportun de regarder les desseins de l'émetteur du message pour en déterminer la nature. Un lanceur d'alerte véhicule des critiques du système pour l'améliorer et en faire profiter le plus grand nombre. Un agitateur semeur de désordre répand des accusations pour faire exploser le système sans volonté que ce qui y succèdera soit meilleur. Ou, pour reprendre le slogan d'un candidat à la présidentielle, "un autre monde est possible" : mais est-il meilleur ou pire que le monde actuel ? Le lanceur d'alerte se bat pour un monde meilleur, le semeur de désordre pour un monde de chaos.

Affaiblir les démocraties est un besoin vital pour les Etats totalitaires car leur survie en dépend

Sachant cela, revenons aux Etats totalitaires dont le problème est qu'ils ne peuvent supporter d'être voisins de démocraties. Si je vis dans une démocratie, je me fiche bien que mes voisins soient gouvernés par des tyrans, au contraire cela m'incitera à voter pour des élus respectables. Mais si je vis dans un Etat totalitaire et que je vois mes voisins vivre heureux et libres dans une démocratie, cela crée des envies. L'Etat totalitaire aura donc toujours vocation à détruire la démocratie voisine. Soit par la guerre physique, on l'a vu récemment – et, contrairement à ce qui est enseigné aux collégiens, l'arme nucléaire n'empêche pas la guerre car un Etat totalitaire en disposant se sait protégé et peut en conséquence attaquer en toute impunité. Soit par l'influence pour dégoûter les citoyens des démocraties de leur système, les plonger dans un état de relativisme extrême et leur faire dire que, in fine, tout se vaut. Et qu'un Etat totalitaire, ce n'est pas pire que mon système incompétent, inefficient, vicié. Affaiblir les démocraties n'est pas un jeu pour les Etats totalitaires, c'est un besoin vital car leur survie à long terme en dépend.

Les Etats totalitaires, et la Russie en particulier, s'emploient à projeter leur pouvoir via Internet depuis des années maintenant, sans réaction des démocraties. Tout commence quand un citoyen français ou américain télécharge un logiciel a priori inoffensif sur son PC. Il y installe sans le savoir un serveur dit "proxy" qui permettra à un internaute russe d'utiliser sa connexion Internet et donc de se faire passer pour un Français lorsqu'il créera un compte sur les réseaux sociaux. Combien de PC sont-ils contaminés dans les démocraties et servent de relais ? Plus de 10 millions, c'est certain. Peut-être 30 ou 50 mais c'est impossible à savoir. Maintenant que notre troll russe peut se faire passer pour un Français, il peut se construire un faux profil (passionné de foot, agriculteur, éleveur de rats, tous ces cas sont réels) et s'insérer dans une communauté liée à sa passion. Il ne postera, au choix, que des articles sur les derniers matchs, des photos de fraises ou de portées de rats. Un bel endormi très peu vindicatif voire pas du tout (sauf quand l'OM perd un match ou qu'il gèle en avril of course). Mais à quelques semaines des élections il va se réveiller et fortement oublier sa passion première pour se consacrer à dénoncer les faillites du système français, canadien ou belge. Surtout belge (c'est une blague belge). Il diffusera pour cela le plus souvent non pas des articles de RT ou de Sputnik, les médias russes, mais des articles du Parisien, du Monde ou du Figaro. Articles dénonçant de vrais problèmes mais dont la répétition créera le dégoût.

Le process est rodé sur les réseaux sociaux depuis les consultations électorales de 2015-2017. Nos amis russes passent donc maintenant à l'étape suivante, les contacts directs par WhatsApp. A l'approche de l'élection présidentielle française, plusieurs Français ont été contactés directement par WhatsApp. Combien sont-ils ? 100, 1 000 ou 1 million, personne ne le sait. Ces messages, rédigés en anglais le plus souvent et parfois en français fonctionnent sur le même principe que les posts Twitter ou Facebook. Nous en reproduisons un exemple ci-dessous parmi tous ceux que nous avons trouvés. Exemple intéressant car on y apprend que la France et l'Allemagne sont des Etats autoritaires et que l'OTAN et la France ont formé des soldats néonazis en Ukraine.

Ce qui est étrange avec cette "cyber guerre d'influence", c'est la réaction des décideurs et penseurs des démocraties. La plupart s'étonnent que ces messages aient un effet sur les décisions des citoyens. C'est ne pas comprendre la propagande. Combien d'Allemands de l'Est ont vécu un choc psychologique intense en découvrant l'ouest, qui ne correspondait pas du tout à ce que la propagande avait voulu leur faire croire ? Si cela a fonctionné pour eux, pourquoi les citoyens français ne pourraient pas, à force de propagande, tout relativiser et considérer qu'après tout, le système russe fonctionne mieux que le nôtre ? Nos décideurs devraient surtout s'interroger sur cette langueur de la démocratie qui ne semble pas vouloir ou pouvoir se défendre face à ces attaques. Comme si elle avait déjà acté sa propre fin et s'y était résolue. Comme le vacancier regardant le dernier coucher de soleil de l'été.

© DR
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