Propriété intellectuelle, stockage de l'œuvre… Quels droits donnent un NFT ?

Propriété intellectuelle, stockage de l'œuvre… Quels droits donnent un NFT ? Le concept de NFT présente encore de nombreuses zones d'ombre auprès du public, notamment en termes de propriété intellectuelle, un flou qui concerne aussi bien les artistes que les collectionneurs.

Acronyme de non-fungible token (jeton non fongible), un NFT est donc un jeton ancré sur une blockchain : chaque jeton présente des caractéristiques uniques et ne peut être reproduit. C'est cette unicité qui suscite de l'intérêt car associé à un bien, le jeton incarne un titre de propriété numérique, et potentiellement indestructible dès lors qu'il est émis sur une blockchain bien distribuée, telles que Bitcoin ou Ethereum.

Le NFT peut ainsi représenter une œuvre artistique (peinture, musique, vidéo, art numérique), un bien immobilier, un ticket d'entrée. Ses caractères numérique et infalsifiable rendent le concept attrayant car la propriété devient dès lors facilement transférable. De plus, la grande majorité des blockchains étant publiques, l'historique des transactions liées au NFT est aisément vérifiable.

La propriété du jeton à distinguer de la propriété de l'œuvre

Bien entendu, comme le veut la technologie blockchain, la véritable possession du jeton ne se concrétise que par la possession de la clef privée correspondant à l'adresse où il réside ; dès lors qu'un NFT est hébergé par un service tiers, le supposé détenteur du NFT s'expose au défaut de celui-ci.

Surtout, la possession du jeton n'implique pas la propriété du bien auquel il est associé. À ce sujet, Emmanuel Ronco, associé IP/IT/Privacy du cabinet d'avocats Eversheds Sutherland à Paris, est clair : "L'accès à une œuvre physique ou virtuelle offert par le NFT ne donne aucun droit ; les droits dépendent de l'usage décidé par l'émetteur de l'œuvre." Plusieurs types de cas existent, nous écrit Emmanuel Ronco :

  • Les NFT sur des œuvres dites "natives" ou "crypto-art", dans le cas desquels l'auteur crée une œuvre aux fins d'émissions de NFT et définit lui-même les paramètres du smart contract. Cela ne pose pas de problème de droit d'auteur puisque la même personne détient les droits et le NFT.
  • Les NFT sur des œuvres préexistantes (non créées initialement aux fins d'émissions de NFT) mais sur lesquels c'est l'auteur lui-même qui décide d'émettre les NFT. Encore une fois, cela ne posera pas de problème particulier puisqu'il y a coïncidence entre l'auteur et l'émetteur du NFT
  • Les NFT qui portent sur des œuvres tombées dans le domaine public (en France, plus de 70 ans après la mort de leur auteur), cas dans lesquels les droits d'auteur patrimoniaux ne s'appliquent plus et ne subsisteront que les droits moraux sur les œuvres.
  • Les NFT qui portent des œuvres protégées par le droit d'auteur et qui sont émis par des personnes autres que leurs auteurs. Dans ce cas, il conviendra d'identifier les auteurs ou leurs ayants-droits et vérifier la chaîne des droits et que celles-ci couvrent bien la possibilité d'utiliser l'œuvre dans le cadre de la production de NFT.

"Les collectionneurs ont acquis une licence au lieu de la propriété intellectuelle"

Dans tous les cas, il faut souligner qu'il est très rare que le titulaire des droits de propriété intellectuelle cèdent ceux-ci : "C'est le cas le plus favorable à l'acquéreur ; dans les pires cas, le smart contract ne renvoie vers aucune condition et dans le cas le plus commun, on parle d'une licence. Les utilisateurs se trouvent ainsi dans le flou car ils ont pu penser acquérir par le NFT la propriété intellectuelle alors qu'en fait, ils ont acquis une licence", poursuit Emmanuel Ronco.

Plusieurs types de licence existent et certaines peuvent être très favorables au détenteur du NFT ; c'est notamment le cas de celle offerte en août par le studio Yuga Labs pour les collections qu'il a achetées en mars 2022, Cryptopunks et Meebits. Les détenteurs de ces deux collections ont ainsi le droit d'utiliser l'œuvre liée à leur jeton à des fins commerciales, sans limite de montant, que ce soit pour des activités virtuelle ou physique.

Dessin issu de la collection NFT Glue Factory Show. © Centaur Studios

D'autres licences limitent au contraire un montant de chiffre d'affaires maximum généré par l'utilisation de l'œuvre : c'est le cas de Glue Factory Show, série animée développée par la compagnie australienne Centaur Studios avec des acteurs et scénaristes hollywoodiens, dont la collection NFT offre une possibilité de commercialisation dans la limite de 100 000 dollars par œuvre : "Une licence qui ne s'étend pas à l'utilisation du nom de notre marque et il y a aussi des mises en garde au sujet de ce qu'il est possible de faire dans le secteur du divertissement et de l'animation afin d'éviter toute confusion avec la série que nous créons", confie au JDN Sam Korotkov, le fondateur du studio.

A l'inverse, la collection VeeFriends émise par l'investisseur Gary Vaynerchuck ne procure à ses détenteurs qu'un droit à des fins personnelles et non commerciales. Enfin, d'autres, comme les créateurs de Moonbirds, ont opté pour le code de propriété intellectuelle Creative Commons 0, synonyme d'une utilisation libre pour tout un chacun, et ce, après avoir pourtant initialement annoncé céder les droits aux détenteurs de la collection.  Une décision incomprise par Raphaël Malavielle, co-fondateur de la collection World of Women, qui estime qu'elle a "enlevé des droits aux détenteurs des Moonbirds". A l'inverse, sa compagne et illustratrice Yam Karkaï et lui ont opté pour un "contrat de transfert de la propriété intellectuelle à tous nos détenteurs de NFT", en leur autorisant tous les types d'usage, sauf ceux qui diffusent des messages de haine, violence ou d'intolérance. "Nous trouvions que les collectionneurs n'étaient pas assez protégés et nous souhaitions les inciter à acheter de l'art", poursuit l'entrepreneur français.

En France, la jeune pousse TokenArt a créé son portail de licences afin de clarifier les différentes possibilités, aussi bien pour les auteurs que pour les collectionneurs : "Nous avons simplifié l'information par des pictogrammes pour que n'importe qui puisse comprendre les droits qu'il a et ces règles sont soit inscrites à l'intérieur des métadonnées du NFT, soit référencées directement dans la blockchain", détaille Clément Fontaine, fondateur de TokenArt. Aux Etats-Unis, a16z, la firme d'investissements crypto d'Andreesen Horowitz, a également publié le 31 août un cadre de licences dédiées aux cas des NFT.

Mais quelle que soit la licence choisie et annoncée, il est important de souligner que l'auteur d'une œuvre reste en possession de son droit moral. Pour qu'il renonce à les exercer, cette expression doit être contractualisée. En l'absence d'écrit, seul l'auteur peut déterminer si l'œuvre peut être modifiée et de quelle manière elle peut être utilisée pour une création dérivée. Dans le cas d'une œuvre associée à un NFT, il est donc possible que l'auteur la modifie, d'autant plus si les métadonnées liées au smart contract lui sont accessibles. En septembre 2021, les acquéreurs des NFT Raccoon Secret Society ont par exemple eu la désagréable surprise de voir leurs portraits dessinés de ratons laveurs remplacés par un dessin représentant une pile d'os. Derrière cet acte, une volonté de l'équipe de développeurs qui souhaitaient "révéler aux gens ce qu'ils achètent réellement".

Un jeton d'accès vers l'hébergement du fichier

Cet événement pose de fait la question du stockage de l'œuvre liée au NFT. En cas de bien numérique, trois cas existent :

  • Si l'œuvre du NFT est généré on-chain (un cas de plus en plus rare sur une plateforme telle qu'Ethereum en raison du coût de transaction car chaque opération implique des frais), alors elle ne peut être détruite tant que la blockchain existe. En revanche, en cas de blockchain peu utilisée ou privée, le risque d'une altération est bien présent.
  • Si l'œuvre du NFT est générée off-chain, alors elle peut résider sur un réseau distribué de serveurs, tel qu'IPFS. Dans ce cas, les métadonnées ne peuvent être changées, à moins d'un consensus de la majeure partie des serveurs ou de l'upload d'un nouveau fichier.  

L'œuvre off-chain peut aussi être stockée sur un serveur centralisé, type Google Drive. Dans ce cas, elle est à la merci du propriétaire du serveur.

Dès lors qu'il est question de durabilité, le NFT on-chain est donc l'actif le plus sûr, d'où l'attrait qu'il suscite. NFT Project manager chez Ledger, Gaspard Broustine évoque notamment les exemples des collections Autoglyph de Larva Labs (à l'origine de la collection Cryptopunks) ou Cyber Brokers de l'artiste Josie Bellini, qui a dépensé plus de 250 000 dollars pour intégrer les différentes couches graphiques des œuvres dans la blockchain. Il reconnait que la question du stockage d'une œuvre reste compliquée : "En tant que nouvel utilisateur, c'est vrai que c'est complexe d'obtenir ces informations. Pour collectionner les œuvres on-chain, il faut déjà être expert." Selon lui, "le standard est désormais le stockage des métadonnées dans IPFS ou Arweave, une blockchain dédiée au stockage de fichiers, grâce à des outils comme NiftyKit ou Manifold.xyz (deux outils no code de création de NFT, ndlr)".

"Un smart contract n'est ni un contrat ni intelligent"

Créateurs de NFT comme acheteurs doivent donc redoubler de vigilance pour s'assurer de leurs droits, d'autant que la législation actuelle doit encore appréhender tous les cas d'usage de cette technologie. Pour le juriste Emmanuel Ronco, "il n'y a pas une nécessité de refonte totale du droit mais certainement une nécessité d'adaptation de certains éléments, une clarification du droit, de certaines stipulations, lorsqu'on aura des contentieux." Il pointe notamment les propositions du rapport du Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique, en particulier celle de "diffuser une documentation pédagogique simplifiée sur les droits d'auteur mobilisés par l'émission, l'achat et la revente des jetons non fongibles et le fonctionnement technique de la blockchain en vue d'informer les acquéreurs, plateformes, ayant-droits et auteurs du droit applicable et des possibilités technologiques réelles qu'elle permet". La responsabilité des marketplaces est d'une manière générale souvent pointée du doigt : "Les informations importantes, comme les licences, ne sont pas assez mises à disposition", confirme Gaspard Broustine. "La première chose à faire serait d'ajouter sur les marketplaces la possibilité d'afficher les licences sur la page d'achat d'un NFT, tout comme un site affiche un lien vers ses termes et conditions", abonde Sam Korotkov. Des dispositions élémentaires mais encore trop rares.

Il en va d'ailleurs de même pour les autres cas d'usage des NFT, tel que l'immobilier. À cette occasion, le juriste Emmanuel Ronco rappelle que le smart contract ne fait pas autorité : "Ce n'est ni un contrat ni intelligent : en France, dans une transaction immobilière, on ne peut pas du tout se contenter d'un NFT, il faut passer devant un notaire avec un acte authentique".