La saga Bitcoin, épisode 1 : plus qu'une blockchain, une infrastructure

La saga Bitcoin, épisode 1 : plus qu'une blockchain, une infrastructure Si Bitcoin reste avant tout utilisé pour des activités transactionnelles, son infrastructure permet de nombreux autres cas d'usage, souvent méconnus.

C'est un phénomène qui a pris de court la communauté Bitcoin : depuis le 21 janvier, plus de 200 000 NFT ont été écrits nativement sur sa blockchain, une production due au lancement d'Ordinals Projects, projet communautaire initié par un développeur. Par le passé, des protocoles comme Counterparty permettaient certes de créer des jetons non fongibles mais ceux-ci étaient émis sur un réseau parallèle. Ici, les Ordinals sont des fichiers inscrits dans la blockchain Bitcoin lors d'une transaction et donc associés à un satoshi unique (l'unité la plus petite de Bitcoin).

Le projet n'est pas sans diviser : ces transactions remplissent les blocs de la chaîne et présentent donc le potentiel de la congestionner. Pour certains techniciens comme le développeur Luke Dash Jr, il s'agit même d'une attaque. D'autres, au contraire, comme Dan Held, regardent cette effervescence avec bienveillance, considérant que tous les usages de Bitcoin se valent, dès lors qu'ils payent les frais de transaction aux mineurs.

"Bitcoin est très conservateur"

Depuis sa création, l'activité principale de Bitcoin reste en effet ce véhicule de transactions décentralisé et sécurisé défini par sa couche principale ou layer-1. C'est un socle fonctionnel et de fait, mis à jour avec prudence. "En termes de proposition, on n'a pas besoin de plus efficace : Bitcoin marche, il remplit une fonction et le fait bien, nous indique Charles Guillemet, CTO de Ledger à la ville et passionné par Bitcoin à titre personnel. En revanche, Bitcoin est très conservateur, l'ajout de code est très difficile à faire passer et c'est parfois frustrant".

Le logo Bitcoin en pixel art. © Dall-E

Les mises à jour de Bitcoin se déroulent selon un processus similaire à celui de la recherche scientifique : des propositions (BIP pour Bitcoin improvement proposal, ou proposition d'amélioration de Bitcoin) sont publiées par des membres de la communautés et évaluées par des pairs. Le plus souvent, pour adopter cette proposition, 95% des mineurs doivent intégrer une référence à ce code et les utilisateurs mettre à jour leurs nœuds. 

Partisane d'un système fiable, afin de ne pas mettre en péril la valeur circulant sur la chaine, la communauté Bitcoin adopte une attitude historiquement précautionneuse, sinon sceptique, face à ces propositions. Jusqu'à aujourd'hui, ce conservatisme lui a réussi, compte tenu de sa position dominante sur le marché. Le dernier développement implémenté en date est Taproot, une mise à jour activée en novembre 2021 dont l'objectif est de faciliter la création de smart contracts et d'améliorer à terme la confidentialité des transactions.

Bitcoin pour ancrer de la data

Mais en dépit de cette simplicité apparente, de nombreuses entreprises n'ont pas attendu Ordinals pour utiliser Bitcoin pour d'autres cas d'usage. Cofondée en 2016 par les français Gilles Cadignan et Vincent Barat, Woleet est l'une d'entre elles et se revendique "une société de confiance numérique sur la blockchain Bitcoin", selon Gilles Cadignan.  Woleet a tout d'abord débuté en proposant à ses clients de la preuve de temps ou "preuve d'intégrité de la donnée dans le temps" : la société s'appuie sur les arbres de Merkle, une méthode cryptographique, publiés "à intervalles réguliers, quatre fois par jour sur la blockchain".  Une solution notamment intéressante pour "des besoins de propriété intellectuelle, comme preuve d'antériorité, car elle permet de vérifier l'existence de données sans les dévoiler".

Au cours de son développement, Woleet a depuis ajouté la signature électronique de document "comme Docusign ou Yousign, à la différence qu'il n'y a pas besoin d'accéder à ces documents et pour certains clients, c'est très important". Ceux-ci sont présents en France, dans le reste de l'Europe, en Asie ou Amérique du sud et se nomment Danone, Acciona, Sakara, Weproov mais aussi Chanel pour ses boutiques qui recueillent le consentement de partage des données personnelles des clients. La solution de Woleet a convaincu le groupe d'abandonner son prestataire précédent pour Woleet qui lui permet de "recueillir ces centaines de milliers de signatures, sans partager les données à un tiers" et sans les faiblesses de réseau potentielles aux serveurs centralisés. "Il n'y a pas de panne sur Bitcoin, renchérit Gilles Cadignan. Nos clients avaient vraiment un besoin adressé par une autre technologie et l'ont juste remplacé par une autre technologie, plus efficace, moins cher et plus rapide".

Des smart contracts pour la trésorerie ou l'héritage

Au Portugal, deux autres Français travaillent sur des applications Bitcoin, Kevin Loaec et Antoine Poinsot, cofondateurs de Wizardsardine, société qui développe l'application de gestion d'actifs bitcoin dédiée aux entreprises, Revault. La compagnie enregistrée en 2020 s'appuie quant à elle sur les possibilités de smart contract, méconnues, permises par Bitcoin :  en effet, si les blockchains programmables comme Ethereum ont gagné de la traction grâce à la promesse de smart contract Turing-complete, le concept de contrat intelligent a d'abord été pensé par Nick Szabo, cryptographe proche de Bitcoin et inventeur du contrat multi-signature, qui permet à deux utilisateurs ou plus de signer une transaction et ainsi partager un même portefeuille. "Nous travaillons des scripts avancés, qui permettent d'avoir différentes conditions pour des dépenses : le timelock (paiement à une date déterminée, ndlr), le nombre de signataires, des droits différents selon les utilisateurs", nous explique Kevin Loaec, dont les clients sont avant tout des particuliers ou PME, intéressés par ce type d'usages.

Outre Revault, Wizardsardine a récemment annoncé Liana, un wallet uniquement bitcoin qui, en cas de perte de clef privée, permet à l'utilisateur d'en obtenir une nouvelle, en fonction de certaines conditions. Une fonctionnalité très précieuse, notamment pour les problématiques d'héritage. "L'intérêt autour de cette solution est immense, nous l'avons annoncée en décembre et nous sommes débordés par les demandes. De très grosses entreprises Bitcoin s'y intéressent", assure Kevin Loaec.