NFT et photographie : un mariage aux intérêts croissants

NFT et photographie : un mariage aux intérêts croissants Ce début mai, deux plateformes françaises lancent deux collections haut-de-gamme de photographies en NFT. Un indicateur parmi d'autres du nouveau dynamisme du secteur.

Voilà bientôt dix ans que la première oeuvre d'art numérique scellée sur blockchain a vu le jour sur le réseau Namecoin. Et si l'art visuel constitue avec le gaming l'application la plus répandue des NFT, à travers les avatars dessinés ou les oeuvres d'art génératif, la photographie est, elle, longtemps restée à l'écart de cette innovation technologique.

Sur OpenSea, la marketplace dominante, la rubrique dédiée à la photographie ne distingue pas les tirages uniques des séries de milliers d'exemplaires et c'est une poignée de photographes, comme Justin Aversano (également fondateur de la plateforme Quantum Art), Emanuele Ferrari ou Isaac Wright (aussi connu sous le pseudonyme Driftershoots) qui concentrent la majorité des ventes. "C'est vrai que depuis la création des NFT, le secteur a été largement dominé par les PFP (pour profile pictures ou avatars, ndlr), comme les Bored Ape ou les CryptoPunks. Il n'y a pas eu tout de suite une prise de conscience de la proposition de valeur pour la photographie", analyse John Karp, cofondateur de la NFT Factory Paris et de l'événement NFC Lisbon. D'autres marketplaces, plus proches de galeries, comme SuperRare, Foundation ou Makersplace mettent régulièrement en valeur la discipline mais l'intérêt reste timide. "C'est une discipline encore minoritaire", reconnaît depuis San Francisco Craig Palmer, CEO de Makersplace. " Mais il y a toujours un moment pour une classe spécifique d'art : je pense que c'est le moment pour la photographie".

"On fait de la photo. C'est juste la technologie qui change"

Plusieurs indicateurs vont dans le sens du Californien : mi-avril, le leader de l'appareillage photographique Canon présentait Cadabra, sa propre marketplace NFT, construite sur le réseau Ethereum dont la mise en route est prévue pour cette année. Quelques jours avant, l'agence photo et banque d'images Getty Images lançait avec la plateforme Candy Digital sa première collection d'archives photographiques des années 70 émises en NFT. En France, d'autres acteurs font le même pari : créée courant 2022, la plateforme FocusBloc mise gros sur l'archive photographique. C'est elle qui a réalisé la sortie de la première collection d'archives de Paris Match en janvier dernier sous forme de NFT : 120 clichés de Jean-Claude Deutsch vendus à l'unité au prix de 0.5 ether (soit environ 600 euros à l'époque) en l'espace de… quatre heures seulement.

Depuis, la start-up s'est associée avec Movie Star News, célèbre archiviste américain de photographies de cinéma. C'est une collection de 333 photos exclusives, de Marlon Brandon à Charlie Chaplin en passant par Audrey Hepburn, Peter Sellers ou Sharon Tate, que FocusBloc a ainsi mise sur le marché ce mardi 2 mai au prix de 0,4 ether l'unité, soit environ 670 euros. "On fait de l'édition unique en proposant des licences exclusives", explique Emmanuel Daien, cofondateur de FocusBloc. "Nous sommes sur un segment de luxe.  C'est de l'art, notre public est là pour l'art. C'est notre niche. C'est un marché différent du marché des PFP : nous, on fait de la photo. En fait, c'est juste le médium qui change : la technologie derrière, c'est le NFT." Contrairement au marché des avatars, dominé par la spéculation et le trading, la proposition de FocusBloc s'adresse à des collectionneurs. "Nos collectionneurs les conservent dans leurs vaults (coffres numériques, ndlr). Pour la collection de Paris Match, il y a peut-être eu une cinquantaine de transactions sur le marché secondaire (44, ndlr) et la plupart en provenance de gens qui souhaitaient en fait échanger leur photo pour une autre. Les acheteurs ne viennent pas chez nous pour spéculer : le prix de mint est assez élevé, ce n'est pas pour tout le monde. Ce sont des collectionneurs qui ont une vision à moyen terme et qui aiment le crypto art."

Le haut de gamme est aussi l'optique choisie par les fondateurs de Rhapsody Curated, plateforme dédiée à la promotion de photographes de renom. Egalement lancée en 2022, elle a commencé par la publication de tirages uniques de la célèbre collection "North Korea" du photographe Stephan Gladieu, présentée aux rencontres photographiques d'Arles en 2021. Ce jeudi 4 mai, elle met à la vente des photographies exclusives de Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Henry et Namsa Leuba dans le cadre d'une édition consacrée au climat composée par le curateur Pierre-Elie de Pibrac. "Nous travaillons sur l'art : notre moteur est d'aller chercher les plus grands artistes. Notre volonté fondamentale est de nous concentrer sur une curation extrêmement stricte : chaque photographe qui travaille avec Rhapsody peut potentiellement être exposé dans les plus grandes institutions photographiques", détaille le patron Julien Zanet. "Le NFT est une technologie sous-jacente. 95% des photographes avec lesquels nous travaillons, nous les formons. Ils connaissent en général très peu." D'après le dirigeant, il n'est aujourd'hui plus difficile de convaincre les artistes photographes d'utiliser le support NFT. "Stephan Gladieu, par exemple, est devenu obnubilé par la technologie", poursuit-il. "La direction que l'on a adoptée dès le début rend notre discours avec les photographes très simple parce que l'on voit les choses de la même manière. En fait, on les accompagne dans leur voyage artistique et ils nous font confiance. Les promesses d'une authenticité garantie et une traçabilité ancrée dans le NFT leur parlent."

"Le NFT, c'est la killer app de la photographie"

Une offre technologique qui convainc alors que l'an passé, une campagne de l'ADAGP rappelait que les revenus des 25 000 photographes français avaient baissé de près de 20% entre 2001 et 2017, en grande partie en raison de droits d'auteur bafoués. "Le NFT, c'est la killer app de la photographie", estime même John Karp, par ailleurs investisseur de Focus Bloc. "Il répond à plusieurs problématiques qui existent depuis les débuts de la photographie, et ce, pour les deux parties que sont l'artiste et le collectionneur. Comment authentifier une œuvre ? Comment s'assurer que l'on en est le seul propriétaire et qu'il n'y a pas des dizaines de tirage dans la nature ? Comment garantir le droit de suite ? Le NFT permet tout ça." Un discours partagé par Thomas Domingue, cofondateur de Focus Bloc. "En tant que photographe ou archiviste, pour certifier le fichier digital de la photo, il fallait jusqu'ici signer une impression et l'envoyer par lettre. Ce n'est pas carré. Le NFT règle également le problème des séries aussi, des photographes qui réalisent des dizaines de tirages, sans que l'on ne connaisse le nombre réel. Au bout du compte, le marché devient saturé, ce n'est pas uniforme." Les deux plateformes évoquent aussi, sans en faire une source de revenus principale, la question des royalties, plus aisément collectés et redistribués aux artistes.

"Dans les années 90, il y a eu un switch de l'analogique au numérique. Aujourd'hui, nous avons un virage sur la blockchain. La photo est le médium parfait", assure Emmanuel Daien. Au point d'en faire une technologie standard ? C'est la conviction de ces entrepreneurs. "Nous avons créé Rhapsody Curated car nous partons de ce principe : c'est vraiment le futur. Le mot standard est parfait. Le NFT va entrer dans la réflexion normale d'un artiste au moment de créer son œuvre".