Comment Webedia est devenu un géant de l'Internet français

Comment Webedia est devenu un géant de l'Internet français Allociné, Overblog, Jeuxvideo.com... Le groupe a déboursé près de 240 millions d'euros en l'espace d'un an pour bâtir une audience de plus de 20 millions de visiteurs uniques en France.

C'est peu dire que l'annonce de la prise de contrôle de Webedia par le financier Marc de Lacharrière et son groupe Fimalac, en mai 2013, avait surpris. Que venait faire le propriétaire de sociétés de production, de salles de théâtre et... de l'agence de notation Fitch Ratings sur Internet ? L'officialisation, moins de deux mois plus tard, du rachat d'Allociné donnait alors naissance à un groupe de 14,6 millions de visiteurs uniques, devenant le 13e groupe Web en France, pour un business de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013. 

Comme le clamait alors la présidente de sa branche développement, Véronique Morali, "Fimalac ne fonctionne pas comme un fonds d'investissement classique mais pratique une forme de capitalisme familial". Une conviction que le groupe s'est attaché à mettre au service d'une ambition : devenir un poids lourd du Web hexagonal. De quoi transformer le groupe en "usual suspect" dès lors que bruissent les rumeurs de vente d'un site Web important en France. Le site de recettes de cuisine 750g.com cherche un partenaire financier pour accélérer sa croissance fin 2013 ? Webedia met entre 8 et 10 millions d'euros pour financer son augmentation de capital et lui permettre de se développer plus rapidement à l'international. 

A chaque rumeur de rachat, Webedia comme usual suspect

A peine deux mois plus tard, le groupe va également officialiser le rachat du réseau de diffusion vidéo français Melberries et celui du portail de contenus et d'e-commerce Diwanee, très actif au Moyen-Orient, pour une somme comprise entre 25 et 45 millions de dollars. L'occasion de diversifier un chiffre d'affaires jusque là fortement dépendant des soubresauts du marché publicitaire. 

 
Les acquisitions de Webedia
Date Société Audience en avril 2014 (en milliers de visiteurs uniques) Montant de l'opération (en millions d'euros) Part du capital CA 2013 (en millions d'euros)
Source : JDN
17/05/2013 Webedia 15 756 36,6 65,2% 30
11/07/2013 Allociné 8 154 68,3 100% 20
18/12/2013 750g 2 794 6 61,5% 2,2
18/12/2013 Exponaute Non significatif 0,3 100% NC
26/02/2014 Melberries NC NC Majoritaire NC
26/03/2014 Diwanee NC 18,5 à 33 Majoritaire NC
15/04/2014 Overblog 10 705 2,5 100% NC
05/06/2014 Jeuxvideo.com 4 368 90 100% 15
    Total : 20 100 (dédupliqué) Total : 222 - 237    

Depuis, Fimalac a poursuivi sa marche en avant avec le rachat d'Overblog. Dédupliqué avec l'audience de Webedia, qui était de 16,7 millions de visiteurs uniques en février 2014, cet apport permet au groupe de dépasser la barre des 20 millions de visiteurs uniques et de se positionner aux côtés du groupe CCM Benchmark (éditeur du JDN) comme l'un des médias pure-player les plus puissants de l'Hexagone. 

A peine le groupe a-t-il le temps de réfléchir aux synergies qu'il va déployer entre la plateforme et sa galaxie de sites que l'on apprend qu'il met cette fois la main sur Jeuxvideo.com, le forum le plus actif de France dans le domaine. Et si le bijou a perdu de son éclat, avec une audience d'un peu plus de 4,4 millions de VU, il n'en reste pas moins un business fructueux de  15 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour un Ebitda supérieur à 40%. Ici encore Webedia fait tourner la planche à billets avec le versement en cash de 90 millions d'euros, soit tout de même la valorisation d'Hi-Media jusque-là propriétaire du site. 

Une couverture de 40% sur les 12-24 ans grâce à jeuxvideo.com

Un bel investissement pour mettre la main sur le leader d'une verticale au sein de laquelle Webedia était totalement absent. Un moyen également de rajeunir une audience jusque-là majoritairement composée de 25-49 ans. "Avec JeuxVideo.com, nous avons un taux de couverture de 40% sur les 12/24 ans. Cela fait de nous le 1er sur cette cible, très loin devant Skyrock ou Melty qui disent s'accaparer cette audience", explique ainsi Cédric Siré

Le patron de Webedia a de quoi se réjouir. Il est désormais à la tête d'un groupe de près de 450 collaborateurs, après avoir investi entre 220 et 240 millions d'euros en l'espace d'un an. D'autant que la mutation du groupe, pas des plus faciles, semble s'être bien passée, réussissant même à emporter l'adhésion des collaborateurs d'Allociné. "L'opération a clairement permis d'inverser la dynamique de la société et dessiner une véritable stratégie d'investissement sur le long terme", explique un collaborateur pourtant plutôt dubitatif à l'époque de l'annonce du rachat de son groupe.  

Si le pari est clairement réussi dans l'Hexagone, avec une audience potentielle (et dédupliquée) de plus de 20 millions de visiteurs uniques qui en fait le numéro 1 français, au coude à coude avec CCM Benchmark et Orange, le principal challenge de Webedia sera désormais de grandir à l'international. Car si Webedia revendique des activités à l'étranger au travers de filiales au Brésil, en Allemagne, en Espagne et en Turquie, celles-ci représentent encore une part mineure de son chiffre d'affaires. Sur les 80 millions de revenus que la société projette de réaliser cette année, 15% proviendront vraisembablement de l'étranger, "mais avec une croissance de 100%", nous précise Cédric Siré. Un ratio qui reste toutefois plutôt maigre au regard du poids de l'audience internationale de Webedia, qui représente près de 60% de son audience totale.

Près de 4 millions d'euros de CA au Brésil en 2014

Le plus bel actif du groupe reste de ce point de vue Allociné qui cumulait près de 30 millions de VU à l'international au moment du rachat. Mais le portail de cinéma peinait déjà à monétiser cette audience à l'époque, ne disposant pas de connexions localement. Diwanee et Melberries mis à part, le portefeuille des sociétés acquises est pour l'instant essentiellement circonscrit à l'Hexagone. Un problème puisque le business model publicitaire de Webedia, fortement axé autour des opérations spéciales et des actions de brand content, n'est pas facilement scalable. "Certes mais nous comptons aujourd'hui près de 80 collaborateurs au Brésil et y prévoyons un chiffre d'affaires de près de 4 millions d'euros en hausse de 300%", rétorque Cédric Siré. 

S'il veut s'affranchir de cette étiquette franco-française qui colle un peu trop à la peau d'acteurs tels que Dailymotion ou Viadeo, il va toutefois devoir réfléchir à investir dans des sociétés "internationales". Ce qui implique d'aller jouer des coudes avec des groupes aussi puissants que lui. Un challenge autrement plus difficile que de concourir dans un secteur hexagonal pour le moins moribond.